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Maman d’élèves engagée en faveur d’une meilleure alimentation à la cantine, et ingénieure en agroalimentaire, Marie-Pierre Membrives lance Cantines Rêvolution (pour des cantines de rêve où tous les enfants se régalent). Avec le soutien de l’Association de l’Alimentation Durable, elle entend interpeller les pouvoirs publics et les amener à mettre en place les conditions d’une cantine de qualité, partout et pour tous, tant du point de vue des produits que de la présentation et du goût. Premier objectif de Cantines Rêvolution : la création d’un baromètre de satisfaction national et indépendant permettant d’identifier les attentes des enfants et des parents vis-à-vis de la cantine, et les solutions concrètes déjà mises en place sur le territoire pour les satisfaire. Rencontre avec Louis Jeudi.
Louis Jeudi : Comment définiriez-vous Cantines Rêvolution ?
Marie-Pierre Membrives : Il s’agit d’une initiative citoyenne qui vise à sensibiliser les pouvoirs publics, les opérateurs de restauration collective et leurs fournisseurs, sur le sujet des cantines scolaires, en mettant en lumière les territoires où les enfants se régalent déjà à la cantine, et en mettant le consommateur final au centre de la réflexion et non des pourcentages dans des tableaux. Parce qu’on peut proposer une cantine totalement bio mais dont les plats finissent malheureusement à la poubelle s’ils ne sont pas appétissants ou pas adaptés au goût des enfants.
Vous voulez dire qu’on oublie trop souvent le goût lorsqu’on parle de cantine ?
Je m’implique depuis plusieurs années dans les associations de parents d’élèves des établissements où sont scolarisés mes fils. En participant aux commissions des menus avec les entreprises de restauration collective en délégation de service public, j’ai été choquée par le décalage existant entre les promesses des menus affichés devant l’école où fleurissent labels et noms de plats alléchants, et la réalité du vécu des enfants et des professeurs. Or je suis convaincue que l’école devrait être au cœur de l’éducation au goût des enfants en leur permettant de découvrir de nouveaux produits, de les goûter et de les apprécier, de comprendre l’origine et le mode de production des ingrédients afin de pouvoir faire des choix alimentaires éclairés dans leur vie future. Dans la cantine de mon fils aîné, les dames qui assurent le service ne mangent même pas ce qu’elles servent, partant du principe que c’est forcément mauvais et plus aucun adulte ne déjeune au réfectoire, tous préférant apporter leur gamelle ou s’acheter un repas dans le quartier.
Comment sortir de cette fatalité ?
Justement, il ne s’agit pas d’une fatalité ! Aux 4 coins de France des chefs, cantinières et cantiniers, se démènent au quotidien et démontrent qu’il est possible de régaler les enfants tout en respectant le cadre réglementaire et financier très contraignant de la restauration scolaire (sans pour autant leur donner des nuggets et des frites tous les jours).
Chaque jour des chef(e)s et cantinier(e)s se démènent pour offrir des repas de qualité aux enfants dans un cadre aux multiples contraintes, budgétaires notamment.
Vous avez d’ailleurs interviewé par le passé le chef Sébastien Brun qui officie dans un collège de Touraine et Evelyne Debourg qui a été élue meilleure cantinière de France.
Les combats pour plus de bio, plus de végétal, plus de local ou de fait maison sont nobles, mais moi, ce qui me motive par-dessus tout, et qui n’est pas incompatible avec ces combats, bien au contraire, c’est que les enfants mangent et se régalent. J’ai à cœur que plus aucun enfant n’aille en cours le ventre vide l’après-midi, en particulier ceux qui n’ont pas la chance de (bien) manger à la maison.
Lorsqu’on s’intéresse aux études menées sur la cantine, on se rend compte qu’elles s’intéressent le plus souvent seulement à une partie de l’équation comme la qualité des ingrédients mis en œuvre.
Notre idée, ce serait d’interroger, via un baromètre de satisfaction en ligne, un maximum d’enfants et de parents pour obtenir suffisamment d’informations permettant d’identifier les bonnes pratiques d’un territoire, d’une collectivité à l’autre, en vue de mettre en lumière les communes où enfants et parents sont satisfaits de la cantine. Une fois obtenu, ce baromètre inspiré de celui des Villes Cyclables et de celui des villes marchables permettrait, je l’espère, d’influer sur les pouvoir publics.
Aujourd’hui, il existe une sorte de fatalisme, voire un certain déni de la part de certains élus sur ce sujet, qui estiment souvent que ce n’est pas la cantine qui est mauvaise mais les enfants qui sont trop difficiles, ou les parents trop exigeants, ou que ce qui fonctionne ailleurs n’est pas transposable chez eux.
Or, je crois au partage de bonnes pratiques, sans opposer les modèles, même si chaque territoire a ses spécificités.
Sur quels relais votre initiatives pourra-t-elle compter ?
Nous sommes en contact avec les représentants des deux principales fédérations de parents d’élèves et nous aimerions qu’elles fassent rayonner l’appel à remplir le questionnaire une fois qu’il sera lancé.
J’ai également pu m’entretenir avec une responsable de l’Association des Maires de France et un chef étoilé parisien sensible aux enjeux de l’éducation alimentaire et souhaitant s’investir sur le sujet.
Nous avons également, avec l’Association de l’Alimentation Durable, participé à une réunion de concertation au sujet de la restauration scolaire à l’Assemblée Nationale.
Le sujet des cantines laisse peu de monde indifférent.
Nous sommes par ailleurs à la recherche de financements publics comme privés, pour pouvoir lancer le baromètre. Si vous souhaitez nous soutenir dans cette initiative, n’hésitez pas à nous contacter.
Au niveau des collectivités, qu’aimeriez-vous voir évoluer ?
J’aimerais, pour que tous les enfants savourent leurs repas à la cantine et pour que l’on lutte de manière efficace contre le gaspillage alimentaire, que l’on prête davantage attention à la présentation des plats, aux couleurs, aux textures, aux saveurs.
En parallèle, il semble important d’éviter d’exposer les enfants à des produits de piètre qualité à travers les cantines.
Comment est-ce possible, lorsqu’un contrat de restauration stipule que toutes les volailles servies sont Label Rouge, que l’on serve à des enfants des dés de volaille dans lesquels on retrouve 50% de peau de volaille, de l’eau, des amidons, des arômes et un peu de viande ?
Il faudrait sans doute, dans certains cas, revoir la façon dont sont élaborés les cahiers des charges des contrats de restauration scolaire et la manière dont est vérifiée leur bonne exécution afin, notamment, de parmi les donneurs d’ordres au sein des collectivités des personnes formées pour pouvoir débusquer ces produits-là et d’y trouver des alternatives.
Les parents peuvent se mobiliser mais n’ont pas forcément le temps et les connaissances nécessaires. Or les intitulés des plats peuvent vraiment être trompeurs, comme des plats dont la sauce est élaborée à base de poudre et bénéficiant de la mention « cuisiné dans nos ateliers » par exemple.
Il faudrait arriver à rendre tout cela plus transparent et mettre en place les conditions d’un sourcing vertueux des ingrédients ainsi que la formation et l’accompagnement du personnel jusqu’à l’assiette finale. Dans un contexte de tension sur les prix des matières premières et de l’énergie et de pénurie de main d’œuvre, qui affectent beaucoup la restauration collective, il semble plus que jamais nécessaire de faire preuve de pragmatisme et de remettre l’humain au cœur de la réflexion : les jeunes convives et les femmes et les hommes qui préparent et servent leurs repas chaque jour.
Dans le meilleur des mondes, quelle spirale positive pourrait déclencher ce baromètre ?
On espère, avec ce baromètre, provoquer une prise de conscience et le déploiement des moyens nécessaires au niveau national et local. L’objectif ? Que les collectivités puissent s’inspirer de celles ayant réussi à faire converger enjeux de la restauration scolaire et satisfaction des convives.
En s’appuyant sur leurs ressources en interne, leurs prestataires et leurs fournisseurs, et sur les associations œuvrant dans la restauration collective, l’éducation à l’alimentation et l’alimentation durable, elles pourraient ainsi repenser certains modèles et faire évoluer les pratiques à long terme tout en valorisant les métiers de la restauration collective. Notre conviction n’est pas d’opposer les acteurs ni les modèles mais bel et bien d’être dans la co-construction autour d’objectifs communs.
Des questions sur le baromètre de satisfaction des cantines scolaires ? Envie de le soutenir d’une manière ou d’une autre, de participer à son financement ? Ecrivez à associationalimentationdurable@gmail.com ou marie-pierre@tastebuds.fr