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Quand le mois d’avril pointe son nez dans le Loir-et-Cher fleurissent de nombreuses petites pancartes aux bords des routes de campagne avec la mention « asperges » ! On voit également tous les matins dans les champs des personnes penchées laborieusement la tête en bas au ras du sol telles des autruches. Voici revenu le temps de cette incroyable plante potagère dont le vrai nom est en fait « turion » !
L’asperge est en effet l’un des premiers légumes verts à être mûrs directement après la fin de l’hiver. Savez-vous que 90 % de sa production mondiale provient de Chine ?! Autant vous dire que la France ne pèse pas lourd (autour de 2 % de la production mondiale) et que sa récolte laborieuse n’y est sans doute par pour rien (on utilise un instrument allongé tel un chausse-pied appelé une gouge pour couper l’asperge sous la butte de terre).
Le « french paradox » : des asperges espagnoles chez LIDL (le chantre du « made in France » lors du dernier salon de l’agriculture) !
Pourtant, poussant dans des sols très sableux, sa production française existe bien comme par exemple dans trois régions : le Blayais (et son IGP Asperge du Blayais), les Landes (également avec son IGP Asperge des Sables des Landes) et enfin le Val de Loire dont la Sologne. Cette production traduit parfaitement la notion de terroir, une savante combinaison entre milieu local et savoir-faire qui donne ses spécificités à de nombreuses productions agricoles.
Asperges de « garage »
Eh bien comme tous les ans, je rends visite à cette petite grand-mère qui vend ses asperges dans un petit coin du Loir-et-Cher. On y accède par la cour de la ferme. La pancarte « asperges » est dissimulée à l’entrée d’une grange aussi accueillante qu’une grotte dans la forêt de Blair Witch. Je pénètre dans cet antre avec une puissante odeur de vin (on ne semble pas uniquement faire pousser des asperges par ici) et salue la dame. Une fois, deux fois, trois fois. Elle est là, courbée, un fichu posé sur la tête, sur une chaise en plastique en train de préparer des asperges mais ne me répond pas. Je force la voix, un peu gêné. Elle se relève, pousse un effroyable cri strident en se tenant le buste. Je présente mes excuses pour lui avoir fait peur. Elle me répond que ça lui fait la même chose à chaque fois.
Je choisis mes asperges (différents calibres sont présentés sur un étal de fortune), elle me les « fourgue » dans un « pochon » en plastique et elle procède à la pesée sur une balance. J’ai mes 2 kilos moins 2 asperges. Elle complète. Je paye. Je tente de discuter un peu mais elle me comprend difficilement. Cette grand-mère, qui semble avoir près de 90 ans, a un accent « rocailleux » digne des bigoudaines de la pub pour Tipiak. Je règle le butin et file. Je lui dis que je viens de Tours. Elle a compris et n’en croit pas ses oreilles !
« Je m’arrêtais à voir sur la table, où la fille de cuisine venait de les écosser, les petits pois alignés et nombrés comme des billes vertes dans un jeu ; mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied,—encore souillé pourtant du sol de leur plant,—par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. » Marcel Proust – Du côté de chez Swann
Revenons à notre précieux légume. L’asperge est quand même un produit de toute beauté dont la différence de couleur (et donc de goût) est directement liée à son rapport à la lumière :
- l’asperge blanche ayant poussé entièrement sous terre doit sa couleur à l’absence totale de lumière.
- l’asperge violette a sa pointe décolorée dans de jolis reflets mauves pour avoir osé passer la tête hors du sol.
- l’asperge verte a poussé entièrement à l’aire libre et sa décoloration provient ainsi du développement naturel de la chlorophyle par l’action de la lumière du soleil.
L’asperge est le poireau des riches ! Francis Blanche
Si ce légume fait totalement partie du quotidien dans les régions productrices (on ne compte plus les ventes en bord de route ou « au cul du camion »), il reste relativement noble (avec un prix au kg élevé) voire même un partenaire privilégié des plus grandes tables gastronomiques et en particulier de celles des trois plus belles du Loir-et-Cher :
Côté dégustation, si les recettes à base d’asperges sont innombrables, je vous recommande pour inspiration l’excellent blog de Stéphanie, la bordelaise de la « La Cerise sur le Maillot » et ses Recettes avec des asperges qui donnent vraiment envie.
Je vous recommande également le blog du tourangeau créatif aux recettes ultra gourmandes Julien au Beurre.
Sinon, une façon simple de les apprécier reste encore nature avec une sauce. Mais à ce stade deux écoles s’affrontent : vinaigrette vs crème fraîche !
Team vinaigrette vs team crème fraiche
Personnellement, j’ai toujours mangé mes asperges avec de la vinaigrette dans une assiette préalablement inclinée grâce à une fourchette au dos ! Mais je dois dire que la version à la crème fraîche et au vinaigre balsamique découverte plus tardivement est beaucoup plus gourmande !
Bref, parlons peu, parlons bien.
Comme la saison est relativement courte (d’avril à mai pour les asperges blanches et de mai à juin pour les asperges vertes), disons tout de suite qu’il est important de ne pas passer une plombe à réfléchir à leur accord avec le vin. J’ai donc convié mon ami Romain Leycuras, fin gastronome mais surtout connaisseur hors-paire du bon pif, pour qu’il me livre sa précieuse recommandation et sur le sujet elle est hyper claire.
Ce qui est certain, c’est que le rouge est l’accord interdit ! Le caractère végétal et l’amertume de ce légume feraient ressortir les tanins du vin et un goût métallique ignoble.
Selon lui, il faut se diriger vers un vin blanc sec et vif.
Asperges et vins de sable : l’accord parfait autour d’un même terroir
Pour les asperges de ma « grand mère » du Loir-et-Cher, il me conseille pour garder la logique territoriale un Touraine du Loir-et-Cher en cépage Sauvignon comme par exemple un Touraine, un Touraine Oisly (pile poil le domaine à côté de la mamie) ou encore un Cherverny.
- Cuvée Vinifera de chez Henri Marionnet : un vin de sable de vignes pré phylloxériques (que l’on appelle aussi « franc de pied »). Ce sont les vignes que l’on avait en France avant la crise du phylloxéra. Pour la petite histoire, le phylloxéra (charmant petit insecte dévastateur) n’aime pas les sols sablonneux, raison pour laquelle ce sont les seuls terroirs où les « francs de pied » peuvent s’épanouir. On est ainsi sur un parfait accord de terroir entre les asperges et le vin de sable !
- Le Domaine Oury, joli Sauvignon du cru ( de Fougères sur Bièvre dans le Loir-et-Cher) que vend Julie dans son Camion de la Solognhotte. C’est un « vin de jardin » car Nicolas, le vigneron, ne possède que 4 ha et fait le vin directement dans son garage.
Pour accompagner les asperges IGP du Blayais, Romain conseille tout naturellement un Bordeaux Côtes de Blaye pour bien rester dans la région !
Pour finir, si les asperges se mangent (proprement SVP) avec les mains lors d’un dîner décontracté, entre amis, elles se mangent sinon à la fourchette en commençant par les pointes. Pour les plus motivés, il existe des services à asperge dont celui, très « old school », avec la fameuse faïence barbotine de Salins. Effet garanti sur votre table !
Pour en savoir plus :
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