Temps de lecture : 5 min
Le lancement de Andros Be Nuts n’est pas passé inaperçu sur LinkedIn. À la lecture des premiers commentaires, le débat se polarise autour de la question : véritable ou une fausse innovation. Il est vrai que Andros n’y est pas allé avec le dos de la cuillère dans son dossier de presse, dans lequel on peut lire qu’il s’agit d’une « création qui va révolutionner l’univers des tartinables », « un produit unique et inimitable », ou encore qu’avec « cette invention, Andros devient ainsi le fer de lance d’une reconquête et d’une diversification de l’alimentation aujourd’hui et demain ! ». Pour le duo Food Paradoxa (Stéphane Brunerie et Diane Leroy), l’innovation se niche partout. Pour eux, il faut en effet penser innovation augmentée et considérer à la fois l’offre (produits et services), mais également les contenus, les activations, ou encore les méthodes de travail ou de production. Et c’est avec ce prisme qu’ils ont décrypté la sortie de Be Nuts.
Le « peanut butter » n’est pas en effet franchement nouveau. On le trouve traditionnellement en France dans le rayon « produits du monde », qui regorge de « pépites » importées du bout du monde, mais reste un rayon moins performant que les autres en raison notamment du prix élevé de ces produits. Ce fut ainsi le cas du biscuit OREO qui est passé presque inaperçu pendant des années avant d’exploser en France suite à la décision de le positionner au rayon des biscuits. Si Andros a cédé à la tentation d’un nom anglais pour séduire sa cible de jeunes adultes, la marque a toutefois préféré une implantation au cœur du rayon des tartinables, en frontal de l’iconique Nutella. Une façon de le positionner en produit de consommation de masse pour tenter de recruter tous les consommateurs ne connaissant pas ce produit. Côté prix, Andros agit en cohérence avec ce choix – autour de 8 €le kilo, contre 10 € pour Nutella, 18 € pour Skippy et jusqu’à plus de 25 € le kilo pour les versions importées au rayon produits du monde.
Lu sur Linkedin
Une innovation recette
Ce lancement a fait immédiatement réagir les connaisseurs d’un produit américain iconique, le « peanut butter » ou beurre de cacahuète, qui y vont vu une simple adaptation.
Mais Andros a fait le choix de lancer une pâte à tartiner plus proche de notre culture, que ce soit à travers le nom (pâte à tartiner), la texture et le goût. Sa consistance est donc plus onctueuse et plus facilement tartinable (grâce au beurre de cacao) que le beurre de cacahuète, en ligne avec nos usages, notamment au petit déjeuner. Sur le marché, on comptait déjà des beurres ou purées de cacahuètes, mais pas vraiment de pâtes à tartiner de cette saveur. Il faut justement aller aux États-Unis pour trouver un produit s’en rapprochant (il s’agirait d’un mélange de Nutella et de beurre de cacahuète) que Nutella teste au même moment en parallèle de son iconique pâte à tartiner. Pour la composition, le marché français compte une myriade de petites références de beurres de cacahuètes qui rivalisent d’engagements tous plus vertueux les uns que les autres : sans sucre ajouté chez Koro, bio chez Jardin Bio, bio et équitable chez Étiquable, Nutriscore A chez La Fourche et même 99 % de cacahuètes chez Mandy ou 100 % chez Muiezhli. Chez Andros, le Nutriscore est C (non affiché) vs C et D pour les deux recettes chez Skyppy et E pour le classique Nutella. La recette est sans huile de palme et contient de l’huile de tournesol, un choix original et intéressant par rapport au profil en acides gras qui explique sans doute en partie son Nutriscore.
Andros a opté pour un design bleu proche de la couleur de l’Américain Skippy (que peu connaissent) mais surtout proche de la gamme « Gourmand et Végétal ».
Une innovation dans le story-telling pour le marché français
Associée en France à l’apéritif et à l’alcool, la cacahuète n’a pas franchement une bonne image « santé ». Elle rappelle cependant aux connaisseurs l’iconique « peanut butter » américain, cette fois avec une image clairement très « junk food », ou malbouffe. Si les Américains en raffolent, c’est juste parce que c’est irrésistible. Ainsi sur le site Internet américain de la marque Skippy, on peut lire que « Peanuts Butter adds more yum and fun to just about anything » et une assurance massive qu’il s’agit d’un « vegan-friendly snack ». Andros innove en choisissant de valoriser les nombreux bienfaits méconnus de la cacahuète.
Le beurre de cacahuète est un aliment mou et riche en protéines inventé par un pharmacien canadien au XIXe siècle. Il fut d’abord utilisé aux États-Unis pour des patients qui souffraient de problèmes dentaires et ne pouvaient mâcher de la viande.
Également appelée « arachide » ou « pois de terre », la cacahuète est une graine oléagineuse issue d’une plante originaire du Mexique. De la famille des légumineuses – au même titre que les lentilles ou les pois chiches – ses fruits ont la caractéristique singulière d’être enterrés par la plante et de mûrir à une profondeur de 5 cm de la surface du sol.
D’un point de vue nutritionnel, la cacahuète brouille les pistes car elle possède des caractéristiques similaires aux fruits oléagineux par sa forte teneur en matières grasses (environ 50%). Même si elle contient un peu plus d’acides gras saturés que ses lointaines cousines les amandes, noisettes ou noix, son profil en acides gras reste intéressant. Et elle a d’autres atouts comme être source de protéines végétales et de fibres.
D’un point de vue cultural, cette légumineuse, peu consommatrice d’eau, nécessite peu d’intrants agricoles et capte l’azote de l’air, enrichissant ainsi les sols en matière organique et azotée. Cette plante robuste pousse sur tous les continents.
Andros fait appel à des sportifs influenceurs pour faire la promotion des bienfaits de la cacahuète comme ici avec la vidéo du joueur de basket Etienne Ca aka Daetienne en visite dans les vergers expérimentaux de Andros ou avec le rugbymen Damian Penaud.
Sur le packaging la marque choisit de valoriser les protéines et les fibres. L’industriel opte également pour un design bleu rappelant les codes de sa gamme « Gourmand et Végétal » qui a fait ses preuves au rayon ultrafrais. Mais Andros n’oublie pas que le driver numéro reste la gourmandise et signe une communication décalée mettant en avant uniquement l’irrésistibilité de sa recette sans aucune mention à ces engagements.
Des films publicitaires WTF qui communiquent sur le côté addictif de la recette sans vraiment s’embarrasser des arguments nutritionnels.
Une innovation dans le sourcing
Les deux plus gros pays producteurs de cacahuètes sont la Chine et l’Inde, qui représentent autour de 60 % de la production. Mais quand on interroge Andros sur leur sourcing, l’industriel affiche clairement sa volonté de changer la donne. « Cette année, nous avons commencé par planter 70 hectares dans le Sud-Ouest. Notre ambition est de produire en Europe, le seul continent à avoir délaissé cette légumineuse », affirme la direction.
Une innovation industrielle
Beaucoup de marques adoreraient une déclinaison de produits avec de la cacahuète, car il y a une forte appétence pour son goût du côté des consommateurs. Mais dans la pratique peu d’entre eux s’y aventurent et rares sont les produits en contenant. La raison ? Il s’agit d’un des allergènes les plus sensibles, car la dose pouvant provoquer des symptômes allergiques graves est très faible. Là encore, Andros innove en faisant le choix de travailler cet allergène dans une usine dédiée construite tout près de son fief à Brive. Un marchepied pour innover grâce à la cacahuète par la suite sur d’autres catégories ?
Dans « La Montagne » l’ambition est affichée « Nous souhaitons végétaliser l’alimentation des Français » prévient Maxime Gervoson, le PDG de Andros.
En conclusion, Andros signe un lancement innovant bien au-delà de la recette, et réussit au passage à couper l’herbe sous le pied à Ferrero, encore en phase de test sur une référence proche. Il ne faut pas y voir le simple lancement d’un simili beurre de cacahuètes, mais bien d’une volonté affichée de contribuer à « révolutionner l’univers des tartinables » afin de « végétaliser un peu plus notre alimentation sans compromis sur la gourmandise ». Son véritable concurrent est donc davantage Nutella (avec sa très controversée recette à l’huile de palme et son nutriscore E) que la myriade de beurres de cacahuètes déjà existants, aussi parfaits soient-ils. Maintenant, reste à savoir si les consommateurs français seront conquis par l’expérience produit. Ce sont eux qui seront les véritables juges de paix pour décider du succès de cette innovation.