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Tous les sondages qui commencent par « les Français pensent que… » n’ont aucun sens.
Mélanger les choux et les carottes est en effet un des drames de notre époque. De la même façon qu’on ne peut plus raisonner en évoquant le Français ou le consommateur moyen, parler de l’agriculture, comme un bloc monolithique, n’a également aucun sens.
Si les dernières manifestations ont permis la convergence de toute la profession, elle cache pourtant une tout autre réalité et des agriculteurs évoluant sur des planètes différentes.
C’est le regard que porte Bertrand Hervieu, le sociologue spécialiste des questions rurales et agricoles. Celui qui a écrit « Une agriculture sans agriculteurs » avec François Purseigle, s’exprimait il y a quelques jours dans une interview pour le journal « Le Monde » dont en voici une synthèse.
Pour lui, les mesure « techniques » annoncées par le Président de la République ne résoudront pas la crise. Ce profond malaise et cette quête de reconnaissance tient avant tout à des raisons structurelles liées à la recomposition du monde agricole et à sa place dans la société.
« Ces manifestations ont été un moment d’affirmation identitaire très forte, exprimé par le recours généralisé au mot « paysan », qui renvoie dans l’imaginaire collectif, à une relation privilégiée de proximité avec la terre et le vivant. Cet idéal de la petite ferme polyvalente n’a plus grand chose à voir avec les pratiques d’une majorité des agriculteurs d’aujourd’hui, mais il reste très présent dans la société, qui projette sur la profession ses attentes environnementales, alimentaires et paysagères ».
Selon Bertrand Hervieu, les agriculteurs d’aujourd’hui se sont spécialisés et ont des intérêts divergents, voire concurrents même si ils manifestent ensemble. Tous ne sont pas fragiles, loin de là selon lui. Le revenu moyen annuel est de 30 000 euros, mais 10% des + faibles sont négatifs (le salaire du conjoint faisant vivre la famille) et 10% des revenus les + élevés sont supérieurs à 95 000 euros.
L’auteur distingue 3 catégories d’agricultures :
🚜 Une agriculture d’entreprise puissante
10% des exploitations occupe 1/4 de la surface agricole utilisée et fournit presque 30% de la production totale. Cette agriculture négocie sur les marchés mondiaux et fournit l’industrie agroalimentaire et la grande distribution.
🚜 Le modèle traditionnel d’exploitations familiales
Après avoir bénéficié du modèle productiviste, cette catégorie qui reste la plus nombreuse en terme d’effectifs, se retrouve au coeur de la crise. Seules 19% d’entre elles continuent de reposer sur le travail d’un couple, comme c’était généralement le cas il y a 50 ans.
🚜 Les néopaysans
Favorisant la polyculture, ils innovent dans des cultures de niche, du maraîchage, des petits élevages ou se convertissent au bio. Ils optent pour la vente directe et ils recherche des liens de proximité sur leur territoire dont les collectivités dont ils fournissent les cantines.
L’auteur en appelle à une nouvelle approche du métier d’agriculteur, qui n’a pas seulement pour mission de nous nourrir mais qui est le gestionnaire d’un espace (50% de la surface nationale) qui est un bien commun, impliquant d’articuler production marchande avec production d’un environnement riche en biodiversité et en qualité des sols et de l’eau, et de faire en sorte qu’il soit rétribué pour cela.
C’est la raison pour laquelle prévient-il, certaines mesures vont retarder l’échéance d’une transition agroécologique indispensable et aggraver la crise à long terme.