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« Pour espérer faire évoluer les comportements, il faut 3 éléments réunis : le savoir, le pouvoir et le vouloir » lance Delphine Taillez, la directrice de Aprifel, l’agence pour la recherche et l’information en fruits et légumes. En matière de changements de comportements, la filière fruits et légumes frais se trouve confrontée à un challenge de taille.
En effet, Christel Teyssèdre, la présidente d’Aprifel le rappelle : « Les 25-35 ans consomment 3 X moins de légumes et moitié moins de fruits que leurs ainés au même âge, et cette tendance va se poursuivre ».
Alors, que les injonctions à manger « 5 fruits et légumes par jour » martelées depuis plus de 15 ans ne semblent pas vraiment avoir fonctionné, quelles pistes pour espérer faire évoluer durablement les comportements ?
C’était le thème de la conférence organisée par APRIFEL dans le cadre du Salon de l’Agriculture et intitulée « Sciences humaines et sociales, source de leviers innovants pour augmenter la consommation de fruits et légumes ».
Travailler la présence à l’esprit dès le plus jeune âge
Alors que l’on sait tous ce qui est bon pour nous, nous ne faisons pourtant pas vraiment ce qu’il faut . Il existerait un espace entre la rationalité et l’irrationalité alimentaire et sur lequel il est possible d’agir.
En tant que consommateur, on ne peut évidemment pas tout calculer de façon rationnelle, sous peine de sombrer dans de véritables pathologies. Alors, nous mettons en place des mécanismes de décision appelés heuristiques. Ils nous permettent des prises de décision rapides, sous contraintes et avec des connaissances limitées. En revanche, ils ne sont pas toujours compatibles avec les enjeux alimentaires de notre époque.
On peut citer, par exemple, la néophobie (peur de la nouveauté) qui est clairement une des causes de la limitation de la consommation de fruits et légumes chez les plus jeunes. En effet, beaucoup d’entre eux ne connaissent pas les produits ou peuvent être aussi freinés selon leurs aspects. Cela peut être le cas avec la forme atypique d’un légume ou d’un fruit ou une présentation différente de celle habituelle proposée. Par conséquent travailler dés le plus jeune âge sur la familiarité avec les fruits et légumes s’avère la clé pour espérer les faire connaître, reconnaître et faire goûter.
Une étude menée par de l’Association Santé Environnement France (Asef) révèle que 87% des enfants ignorent ce qu’est une betterave et que 25% d’entre eux ne savent pas que les frites proviennent de pommes de terre. Sachant que l’on aime avant tout ce que l’on connait, l’éducation à l’alimentation est une priorité.
On peut citer également les clichés de genre très présents dans l’alimentation. Par exemple, la consommation de viande est traditionnellement associée à la force et à la puissance physique, deux attributs masculins, alors que la consommation végétale va être davantage associée aux femmes.
Au SIAL, sur le stand NOVO VIANDE, on propose aux jeunes garçons de se confronter à un punching ball car « la viande, c’est de l’énergie ».
Les Filles à côtelettes se présentent comme « le premier club gourmand et flexitarien, qui nous réunit toutes autour d’une envie de bien vivre et de mieux manger, libres de tout préjugé et de façon décomplexée » a été créée par INTERBEV (l’interprofession de la viande) afin de positionner une véritable contre norme.
INTERFEL (l’interprofession des fruits et légumes frais) ambitionne de bousculer une image un peu trop sage des fruits et légumes pour faire évoluer les comportements de consommation de la jeune génération et tenter d’associer à cette catégorie la notion de diversité et du plaisir illimité en miroir de notre société.
Prioriser la prescription à la simple information
On peut aussi faire appel aux nudges pour corriger ces biais comportementaux. C’est le sens des approches comme le Nutriscore ou encore Yuca. La prescription avec des couleurs permet de simplifier les informations et d’avoir davantage d’impact. Même si cette simplification peut questionner, dans les faits, cela fonctionne beaucoup mieux que la simple information.
La simple information réglementaire est beaucoup moins impactante que les systèmes de notations utilisant des couleurs comme le Nutriscore ou le PlanetScore.
Recréer du lien entre le produit brut et ses versions transformées
L’école est un lieu important pour l’intégration des normes et donc la création de nos imaginaires. C’est dans ce cadre qu’il faut agir à travers l’éducation à l’alimentation. Pour Nicolas Spatola, chercheur en Sciences Cognitives et Sociales, il faut entre autres lutter contre la discontinuité cognitive et refaire le lien entre le produit brut et ses formes transformées.
Du poivron dans le jardin à la ratatouille, il y a une véritable discontinuité cognitive.
Pour Nicolas Muller de l’INRAE, le point des vue des économistes classiques tend à corriger les défaillances des marchés et permettre aux consommateurs de faire de meilleurs choix en utilisant de façon traditionnelle l’information, mais aussi les taxes (comme la taxe soda), les subventions voire les interdictions.
En termes d’efficacité, 3 pistes émergent selon lui : plus de transparence et d’information, jouer sur les incitations monétaires et encore une fois avoir recours aux nudges. La combinaison entre les informations formulées sous forme de prescription (type scores de couleurs) avec les incitations financières semble être selon lui le combo le plus performant.
Enfin, n’oublions pas que le premier frein à la consommation de fruits et légumes reste le prix. À ce sujet, Delphine Taillez conclut « Il faut détricoter la notion de cherté qui est beaucoup trop rationnelle ». Il faut dire que des années de discours autour des prix les plus bas ont considérablement contribuer à détruire un peu plus la valeur de notre alimentation.