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Le pain, l’un des piliers de notre alimentation, est considéré comme l’un des fleurons de la gastronomie française. Pourtant, entre l’évolution de nos habitudes de consommation et la standardisation croissante de l’offre des boulangeries, sa consommation ne cesse de diminuer. La qualité de notre pain se dégrade lentement, car nous lui accordons de moins en moins de valeur et la place centrale de ce qui était « notre pain quotidien » est remise en question. Dans le cadre de la promotion du manifeste Slow Bread de Slow Food, nous avons organisé une soirée documentaire débat à Tours pour éclairer le sujet, imaginer comment faire bouger les lignes en recréant du lien entre le temps, le goût et le coût.
Ravi d’avoir travaillé (aux côtés de Catherine Beaufigeau, Présidente du Convivium Slow Food Tours Val de Loire et de Amanda Yahia de la Fourchette Paysanne) à l’organisation de cet évènement. Ravi également d’avoir participé à cette table ronde organisée à Tours à la Villa Rabelais en présence de Bartolo Calderone, Directeur de l’Ecole Professionnelle de Pizza et Panification Naturelle et coordinateur de Slow Bread, Martin Desplat, paysan-boulanger, Thibaud Férard, compagnon boulanger et Jérémy Desforges, céréalier bio en Beauce et producteur de blés anciens.
Table-ronde à la Villa Rabelais (IEHCA) à Tours le 1er mars 2024. Pour contribuer à faire avancer le sujet, il faut accepter de se mettre autour de la table !
La qualité de notre pain se dégrade lentement…
56% des Français déclarent observer une dégradation de la qualité du pain (IFOP 2023). Pour accompagner sa production de masse et pour en faciliter sa mise en œuvre par les professionnels, ce qui était un des aliments les plus simples (eau, farine, sel, levure ou levain) s’est considérablement transformé. On comptabilise même jusqu’14 additifs autorisés dans une baguette blanche ou certains pains « spéciaux » (alors qu’il faut rappeler qu’ils sont interdits dans les pains « tradition »). Il se révèle au final de moins en moins nutritif et aussi moins digeste. Le pain est d’ailleurs de moins en moins associé à une alimentation équilibrée et notamment chez les plus jeunes (IFOP 2023).
Soirée documentaire débat à la Villa Rabelais à Tours.
Comme l’observe le sociologue Jean-Laurent Cassely, la France du pain est aujourd’hui coupée en deux entre standardisation d’un côté avec l’incroyable succès des « boulangeries de rond-point » et le mouvement de redécouverte du pain porté par les néo-boulangers. Ces derniers réhabilitent les farines complètes ou semi-complètes, la diversité des blés et en particulier les variétés anciennes ainsi que l’utilisation du levain naturel.
… car nous lui accordons de moins en moins de valeur…
Au delà du pain et de façon globale, nous avons progressivement perdu la valeur de notre alimentation (lent déracinement vs amont agricole et rupture de la transmission familiale de la cuisine). Nous n’avons plus vraiment conscience de ce qui se joue derrière notre alimentation, que ce soit le lien avec notre santé, notre souveraineté, notre planète ou encore nos territoires. Le pain n’y échappe pas et devient un aliment banalisé.
Notre consommation de pain évolue : il est de moins en moins consommé au petit déjeuner où on lui préfère le pain de mie (de plus en plus sans croûte) mais aussi en accompagnement des entrées qui disparaissent. Il est de plus en plus utilisé comme base pour des sandwichs ou des burgers, notamment chez les plus jeunes. Une consommation portée pour une appétence pour le mou. Devenu ingrédient d’une recette, sa valeur tend à s’estomper que ce soit pour les consommateurs que pour les professionnels qui l’utilisent.
Projection du film documentaire « De la Farine au four quel pain » (ARTE).
… et que nous sommes pris par la tyrannie du temps.
L’offre de pains (et avec elle celle de farines mais aussi de variétés de blés) n’a jamais cessé de s’uniformiser. Une standardisation qui s’explique avant tout par la volonté de faire gagner du temps et donc faciliter le métier de boulanger qui nécessite de la main-d’œuvre (de plus en plus difficile à recruter pour un métier qui a toujours été particulièrement exigeant) et du savoir-faire. Cette standardisation vise également à proposer une qualité toujours constante qui rassure un consommateur qui recherche une alimentation toujours plus régulière que ce soit dans l’esthétique et les goûts. Enfin, c’est une façon de proposer les produits les plus compétitifs.
Le pain est devenu véritable un symbole de la guerre des prix à défendre coût que coût pour la grande distribution (à l’image de la campagne Leclerc sur la baguette à 0,29 €), mais aussi produit d’appel pour les chaînes de boulangeries avec des offres 3+1.
Quelles pistes pour revaloriser le pain ?
Pour commencer, quoi de mieux que de prendre le temps de l’expérience gustative afin de faire (re)découvrir toute la richesse des saveurs du vrai bon pain. L’enjeu est de pouvoir recréer du lien entre le temps, le goût et le coût.
Dégustation de pains de Thibaud Ferrard (37) et de la Ferme d’Orvilliers (28).
Il est aussi important d’enrichir le discours en mettant en avant les bénéfices que ce soit pour notre santé que pour notre planète. On peut aussi y intégrer la valorisation de nouveaux usages de conservation et donc d’antigaspillage. Un discours qui doit être positionné au cœur des contenus d’éducation à l’alimentation, des formations professionnelles, mais aussi beaucoup plus présent dans les discours au sein même des boulangeries.
Pour redonner sa place au pain, il faut enfin et surtout lui redonner son intérêt nutritionnel, ce qui passe par les méthodes de panification (levain) ainsi que la sélection des farines. Il faut donc que ce mouvement porté actuellement par les néoboulangers ne reste pas une niche. Il peut représenter un sacré levier de différenciation et de création de valeur pour de nombreux artisans indépendants qui pourraient rejoindre ce mouvement. Enfin, et pour ne pas opposer trop vite les modèles, et si ce mouvement pouvait-être aussi préempté par certaines chaînes de boulangeries qui pourraient s’emparer de ce sujet pour choisir de le promouvoir à plus grande échelle ?
Pour en savoir plus sur Slow Bread :