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Depuis 1997, Evelyne Debourg est à la tête du restaurant scolaire de la commune d’Ebreuil dans l’Allier. Dans le contexte particulier de la pandémie, la « meilleure cantinière de France » se livre sur le sujet crucial de l’alimentation des enfants et distille ses conseils pour faire progresser les cantines du pays.
Lors de la campagne présidentielle, l’alimentation était quasiment absente des débats. Que cela vous inspire-t-il ?
Je me bats au quotidien depuis 25 ans pour servir de bons repas aux enfants. Parmi mes élèves, cinq familles environ les nourrissent correctement à la maison. La majorité consomme trop de cochonneries, avec les conséquences que l’on sait sur notre système de santé. Lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, avec de nombreuses décorations pour les acteurs de l’alimentation, il y a eu un petit mieux. Mais les hommes politiques s’intéressent encore peu à notre travail, à commencer par les maires qui considèrent souvent la cantine comme un coût voire un danger sanitaire. En cas de problème, les communes sont tenues pour responsables. Cela n’invite pas à la confiance entre les mairies et leur personnel.
Notamment pour ces raisons d’hygiène, les prestataires et cuisines centrales sont souvent plébiscités. Quel regard portez-vous sur ces acteurs ?
Aujourd’hui, je nourris 120 enfants. Assumer plus de 150 couverts serait délicat pour une structure comme la mienne. Eux peuvent répondre à une demande beaucoup plus importante. Je note des efforts de leur part et je sais qu’ils s’intéressent à ma façon de travailler. Selon moi, il faudrait surtout que les communes considèrent les enfants comme des citoyens à part entière. Les budgets devraient être pensés pour leur offrir les meilleurs produits et les éduquer afin qu’ils apprennent à se nourrir par eux-mêmes et pas simplement se remplir l’estomac en ouvrant le frigo.
Comment procédez-vous pour convaincre les enfants de découvrir de nouveaux goûts ?
Avant la pandémie, j’avais pour habitude de montrer les produits, de les leur faire toucher, sentir et goûter. On leur explique aussi qu’ils peuvent associer différents éléments, expérimenter suivant leurs envies. J’aime jouer sur la couleur, en utilisant par exemple de la grenade ou en dressant une petite pensée dans l’assiette. Parfois, je découpe de la betterave chioggia avec un emporte-pièce en forme de papillon. J’essaie surtout de proposer des choses qu’ils aiment comme des hamburgers garnis de steaks tous morceaux confondus dans du pain de boulanger et servis avec de la salade bio. Forcément, j’entends parfois que ce n’est pas aussi bon qu’au McDo.
Le Covid a-t-il bouleversé d’autres habitudes ?
Les enfants ont tendance à négliger le moment du déjeuner car ils veulent profiter de la moindre occasion pour jouer. On observe aussi une hausse du gaspillage, peut-être liée aux habitudes prises à la maison durant les périodes d’isolement. D’un kilo et demi avant la pandémie, nous sommes montés à près de huit kilos par service. Le port du masque a réduit les sensations des enfants, tout comme le gel lorsqu’ils portent les aliments à la bouche. Je préparais 12 à 15 pains par jour auparavant contre quatre maximum aujourd’hui. Cela me peine de constater qu’ils ne se réjouissent plus autant de manger.
Quel regard portez-vous sur la formation des agents de cantine ?
Beaucoup se contentent du minimum et suivent rarement une vocation. Certes, il faut être ouvert d’esprit, mais cela passe aussi par la capacité des formateurs à susciter chez eux des émotions vis-à-vis de la nourriture. Lorsque vous transmettez votre expérience et votre savoir-faire, que vous les considérez comme des équipiers, l’émerveillement devient possible. Il s’agit d’un monde fantastique dans lequel on peut s’investir, former des gens voire écrire des livres ou passer à la radio. Connaître divers établissements me semble aussi incontournable. En salle, les agents ne sont pas formés pour trouver les mots et convaincre les enfants de goûter. Globalement, je dirais que ce petit monde est un peu enfermé dans des cases. Moi, je ne me suis jamais laissée faire.
Quels sont les produits et les recettes qui vous apportent du plaisir au quotidien ?
Pour préparer mon bœuf bourguignon, je remplace le vin par de la Guinness afin de confire la viande. La Communauté de commune m’a d’ailleurs demandé ma recette dans le cadre d’un menu territorial mitonné par les cantines du département. J’aime bien ces initiatives qui permettent d’explorer le territoire. Une pomme locale figurait parmi les produits imposés. Je les ai épépinées, fait fondre du chocolat au lait dessus et présentées façon sucettes. Alors que je commandais mes pâtes en Picardie, je m’approvisionne désormais auprès d’un fournisseur local que je ne connaissais pas. Il propose des pâtes en forme de crête de coq qui amusent les enfants. Tout ce qui peut leur donner le sourire et les faire revivre normalement est bon à prendre.
Egalement, dans la série « gastronomie durable » :