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Interrogée sur l’importance du goûter dans le cadre d’un article sur les gâteaux de notre enfance, et ayant vu passer le même jour un post Linkedin célébrant joyeusement cette pause – plaisir, j’ai pu réfléchir au sens de ce moment à part, entre les trois repas quotidiens. Voici ce que j’ai envie de partager avec les lectrices et lecteurs de StripFood.
Au préalable, parler du « goûter de notre enfance » relève quasiment du pléonasme, tant le goûter est toujours quelque chose d’enfantin, même quand on est adulte et que l’on a 75 ans ! Par définition, un goûter renvoie à cette période de la vie, celle des apprentissages et des jeux. Et donc un goûter sans saveur, sans goût, ce n’est pas un goûter. Il suffit de parcourir les livres pour enfants pour prendre conscience de tout cet imaginaire et de la place de cette parenthèse gourmande tout au long de la vie (le goûter à la sortie de l’école, le goûter au bord de la mer, le goûter d’anniversaire…).
Pourquoi certains gâteaux, plats ou aliments font remonter des souvenirs ?
Attardons nous tout d’abord sur les aliments fonctionnels qui ne font remonter justement aucun souvenir. Une compote industrielle jetable, une boisson sucrée individuelle avec paille, ou encore un paquet d’Oreo s’adressent à quel consommateur ? A quel mangeur ? Et surtout quels souvenirs vont-ils créer ? Certes ils sont ultra-pratiques et en mode « sans échec » : pas de tâche, pas de gaspillage, vite avalés, vite jetés, vite oubliés. Mais ils sont déconnectés du réel. En revanche, ce qui est simple, de saison, ou issu d’une recette (comme une pomme, une banane, un pain au chocolat, une brioche, un sablé, un biscuit, une compote maison ou un gâteau yaourt, une barre de chocolat dans du pain) marquent l’esprit et apportent les ingrédients nécessaires à la fabrication du souvenir : du langage, une personnalisation et une dimension poétique.
Certains aliments nous marquent plus que d’autres car ils s’adressent à nous, ils nous valorisent. On se souvient donc des aliments qui nous sont destinés en tant que personne, et qui nous caractériseront par la suite.
« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. » raconte magnifiquement Marcel Proust (« Le petit Marcel » ) dans son roman Du Côté de chez Swann, laissant dans le patrimoine culturel français l’expression que nous connaissons tous.
Recette de ma grand-mère, publiée dans le livre de Michèle Villemur pour les Jeunes Agriculteurs (2011)
Est-ce que la nourriture a un lien avec notre mémoire ?
Evidemment, et ce lien doit être entretenu tout au long de la vie. Encore faut-il qu’il y ait eu une première « base » de souvenirs gustatifs. Le think tank Agridées avait il y a quelques années publié une Note intitulée « Bien manger, cela s’apprend et prend du temps » toujours d’actualité, qui soulignait notamment l’importance, dans le cadre de l’éducation au goût, de créer chez les enfants des souvenirs alimentaires, ceux qui leur permettront plus tard de se repérer dans le monde de la (sur)consommation.
L’essentiel de ce que l’on mange aujourd’hui au goûter correspond à peu près à ce que l’on mangeait il y 30 ans. La composition d’un goûter reste pour nous tous l’association (ou non) d’un fruit ou d’un jus de fruit, d’un produit laitier, d’un produit céréalier, d’un produit gourmand comme du chocolat. Ce qui change par contre, c’est le format, le marketing, l’industrialisation, l’ultra-praticité qui nous amène à des aberrations évoquées plus haut, où les parents préfèrent au lieu d’un vrai fruit de saison faire téter une gourde de plastique à leurs enfants bien pourvus de dents pour croquer ! Or les enfants n’entretiennent pas la même relation aux phénomènes que nous. L’enfance est le lieu où l’on se fabrique ses souvenirs émotionnels, gustatifs, olfactifs, sensoriels… Le goûter : un vrai rituel, précieux, à cultiver.