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Je viens de passer 10 jours en Thaïlande. Les jours précédant mon départ, je suis tombé sur une incroyable photo qui m’a profondément interpellé, réalisée par Tramon Tahiti, un photographe et réalisateur allemand résidant à Cologne. On y voit Supinya Junsutade, la propriétaire du « Raan Jay Fai », une cantine de rue située en Thaïlande à Bangkok.
Cet établissement, comme il en existe des milliers là-bas, a été mis à l’honneur par la première édition du Guide Michelin consacré à Bangkok en 2018 qui a récompensé 17 établissements. Le communiqué de presse annonçait à l’époque que
pour sa toute première sélection, le guide MICHELIN de Bangkok distingue 17 restaurants… et un établissement de street food !
Le seule étoilé Michelin de street-food à Bangkok
Dans cette sélection, 3 établissements décrochent 2 étoiles dont le fameux « Gagaan » (compter pas moins de 2 mois d’attente au moment de la réservation). Parmi les 1 Etoile figurent le « Nahm » (que j’ai eu l’occasion de tester et qui est une très belle adresse gastronomique thaïe) ainsi qu’un établissement pour le coup totalement atypique, le « Raan Jay Fai ».
Ce petit « boui-boui » est tenu par Supinya Junsutade qui perpétue l’activité de son père créée il y a 70 ans. Le restaurant propose de la cuisine de rue préparée en plein air, sur des foyers à charbon et avec avec des tables rudimentaires et des chaises en plastique en guide de salle de restaurant.
La cuisine thaïe : une cuisine à la fois raffinée et populaire
Quand on arrive en Thaïlande, on est littéralement saisi par ces odeurs de cuisine qui ne nous quitterons plus jamais du séjour. Véritable petit paradis culinaire, on ne compte plus la quantité de petits stands mobiles de cuisine aux coins des rues ou routes de campagne. La nourriture occupe une place centrale dans la vie des Thaïlandais qui peuvent manger jusqu’à six fois par jour car entre les repas, la possibilité de prendre des en-cas est constante.
Cette cuisine est à la fois raffinée (riche d’influences multiples) et extrêmement populaire. Il est donc courant de trouver des plats dans la rue pour seulement 40 bahts (1euro). La cuisine thaïe est une cuisine très culturelle qui rassemble grâce à des combinaisons complexes de saveurs qui forment un unité parfaite à l’image de son peuple et d’une religion prônant un équilibre constant. Bref, un petit paradis pour amateurs de bouffe et d’expériences résolument authentiques si l’on prend la peine de s’extirper des bien trop nombreuses zones touristiques sans intérêt.
Le paradis des petits « boui-boui »
Le Michelin a alors décroché à l’époque de très nombreuses couvertures média grâce à ce coup hors-norme et depuis la popularité de ce restaurant unique est grandissante même si les avis sur TripAdvisor restent contrastés. On peut lire par exemple ce commentaire au vitriol d’une personne croyant certainement tomber sur la Anne-Sophie Pic de Bangkok le tout à prix cassé (!!!) :
Aucun intérêt, c’est un manque de respect pour les vrais restaurants étoilés
L’omelette de Jay Fay : arnaque façon Mère Poulard ou petite tuerie ?
J’ai donc décidé d’aller me faire mon propre avis et ce ne fût pas une mince affaire. Une fois l’établissement péniblement déniché, nous avons dans un premier temps trouvé porte close car il ouvre à partir de 14 heures. De retour, nous avons pu nous inscrire dans un cahier sur une petite table devant le restaurant. Les réservations sont possibles à l’avance mais le restaurant affichait complet jusqu’à mi mai ! Le temps d’attente n’est pas garanti et si on loupe son tour, on doit se réinscrire ! La pression monte !
Nous avons, en attendant, assisté à la préparation en coulisse des différents ingrédients par l’équipe de celle que certains surnomment ici « la Queen de Bangkok ».
A partir de ce moment là, nous avons attendu dans une atmosphère à la chaleur plombante au milieu d’une foule de plus en plus nombreuse. La population est plutôt jeune et farouchement déterminée à ne pas laisser passer son tour ! Le restaurant se trouve sur un trottoir d’une artère ultra passagère, bruyante et enfumée. On est bien loin de l’image cosy des restaurants gastronomiques. Mai qu’importe, on est bien, on est à Bangkok !
La chef est arrivée et fidèle à la photo nous est apparue avec son look complètement excentrique composé d’un bonnet, d’un t-shirt imprimé camouflage, de bottes en plastiques roses et de ses fameuses lunettes de ski pour se protéger les yeux des projections d’huile bouillante. C’est parti, elle entre en scène (tel un DJ avec ses woks en guide de platines) et ne lâchera plus ses instruments pendants tout le temps que nous passerons dans l’établissement. Autour d’elle, son équipe prépare, nettoie, dispose, place, sert de façon ultra méthodique. Une sacrée performance de grand-mère !
Au bout de deux heures et une mine partiellement déconfite par la chaleur, nous avons enfin été appelés. Attablés « à la bonne franquette », nous avons pu déguster (après encore une longue attente) entre autres la fameuse omelette aux crabe (sa spécialité) mais aussi un « phad ira-paw » (poulet sauté au basilic thaï). Le service est pro et plutôt très sympathique mais reste ultra lent.
Verdict : nous avons vraiment passé un excellent moment car le spectacle de cette dame de 72 ans aux fourneaux non stop de 14 heures à 1 heure du matin est juste totalement incroyable. Le temps d’attente est élevé (plus de 3 heures sur place) car elle est seule à la manœuvre même si autour d’elle s’active une équipe coordonnée au millimètre.
La consécration de toute la street-food de Bangkok
Le lieu est fidèle à ces innombrables cantines de rue de la ville, brut et sans chichi. La cuisine est quant à elle à la hauteur de sa réputation. Je ne vais me livrer à une description minutieuse de la dégustation car je ne suis pas critique gastronomique mais à priori pour l’omelette la Mère Poulard peut aller se rhabiller. Les portions sont carrément XXL, les ingrédients simples et fabuleusement combinés pour créer des saveurs incroyables.
L’addition est en revanche beaucoup plus élevée que la moyenne. Compter 1000 Bahts (28 euros environ) pour son omelette (certes XXL) au crabe ! Un record quand on connaît les prix pratiqués dans ce genre d’endroits. L’étoile est un véritable levier de valorisation c’est bien connu, et ce jusqu’à Bangkok !
L’omelette la plus chère de Thaïlande mais le restaurant étoilé le moins cher du monde !
Si l’authenticité du lieu (dans son jus) est préservée et la créatrice du lieu toujours pleinement aux affaires, Jay Fay possède aujourd’hui un compte Instagram et se livre volontiers aux interviews des journalistes même pour raconter qu’elle rendrait bien son étoile qu’elle ne souhaitait pas ! Le genre de petits excès de fausse modestie que l’on peut aussi rencontrer chez nous avec les plus grands chefs étoilés !
Finalement, par ce choix non conventionnel, le Guide Michelin a réalisé un sacré coup de pub ! Cette sélection consacre l’incroyable personnalité de cette petite mamie excentrique, tellement courageuse et qui perpétue la transmission de cette affaire familiale. Mais en fin de comptes, ce que le guide célèbre à travers cette étoile c’est toute l’incroyable richesse gastronomique de la street-food de Bangkok. Et ça c’est diablement mérité !
Pour en savoir plus :
L’indispensable anti-guide touristique « Food Trotter Thaïlande », le guide ultime pour dénicher les adresses authentiques et tout comprendre sur cette cuisine et la richesse de ses spécialités.