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Circuit courts, alimentation locale et de proximité n’ont jamais été autant plébiscités. La crise sanitaire aura été un révélateur de nouvelles tendances et à y regarder de plus près, le monde d’avant pourrait bien resurgir aussi en la matière, soulevant la question primordiale de notre souveraineté alimentaire.
C’est sur cette thématique que s’est concentré le dernier webinaire de « Planète Food Santé » du 27 mai, réunissant 8 acteurs concernés par cette problématique. Les invités ont croisé leurs regards et apporté des arguments nuancés à une question qui se résume trop rapidement à une lutte mondialisation versus souveraineté alimentaire.
En préambule, Sandrine Doppler, spécialiste de l’alimentation de proximité et animatrice de cette table ronde, a rappelé le contexte. « Perte de confiance dans les grande marques alimentaires, quête de sens dans nos achats, regain d’intérêt pour le commerce de proximité, les Français n’ont jamais eu autant faim pour les produits locaux et régionaux, mais encore faut-il les définir ». C’est tout l’enjeu d’un acte de consommation qui se pare d’un engagement citoyen. Isabelle Frappat, responsable du pôle développement à la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF), souligne une dimension de soutien à l’économie qui s’est accrue pendant les confinements.
Le chef du restaurant étoilé « La mare aux oiseaux », Eric Guérin, a, lui, impulsé une nouvelle dynamique qui repose sur la conscience, la culture et la confiance. Un triptyque sur lequel il a choisi de construire ses menus, non plus en fonction de ses désirs, mais sur la base des produits disponibles auprès des producteurs locaux. Une inversion intéressante à plus d’un titre. « Je me retrouve parfois avec des oignons et de la betterave, ce qui n’est pas très « sexy » dans un restaurant étoilé, mais je suis obligé de faire un plat avec ça. Nous avons beaucoup gagné en rentabilité, de plus les produits frais durent plus longtemps », analyse le chef qui y voit un atout majeur, celui de faire de la pédagogie auprès des clients.
« Il faut changer les habitudes de consommation »
Même son de cloche pour Yves Christol, ancien directeur général d’InVivoFood&Tech/InVivo Invest pour qui la pédagogie est incontournable et doit être le fait du producteur. «La pédagogie passe par celui qui fournit les aliments, qu’ils soient transformés ou bruts. Cela demande beaucoup de temps car il faut changer les habitudes de consommation ». Et en la matière il faut prendre suffisamment de recul pour envisager l’alimentation locale comme une donnée pérenne. Olivier Dauvers, expert grande consommation, invite à la prudence en évoquant la théorie de l’élastique. « Rien aujourd’hui ne prouve que la consommation a fondamentalement changé, aucun chiffre ne traduit ces quelques mois de contraintes que nous venons de traverser ».
Olivier Mevel, chercheur et spécialiste de la transition alimentaire, estime cependant que 4 axes majeurs se dessinent dans cette consommation renouvelée et hiérarchisée entre le local prédominant, le sain, la bio et en dernier lieu l’équitable. Un combo dont il faut bien évaluer les coûts, car dans la réalité, la consommation est orientée par le pouvoir d’achat pour 6 Français sur 10. Nathalie Hutter-Lardeau, nutritionniste et co-animatrice du webinaire, précise qu’il faut analyser sous ce prisme la consommation de viande. « Ce n’est pas forcément pour des raisons écologiques ou nutritionnelles mais plutôt économiques » , avance-t-elle.
Des initiatives pour une transparence sur les origines des produits
Pour appréhender les enjeux de la relocalisation alimentaire Yves Christol, redéfinit la notion de circuits courts. Pour lui, : « c’est le minimum d’intervenants entre le producteur et le consommateur, ce n’est pas une question de distance ». Dans cette perspective, Olivier Dauvers a lancé le #balancetonorigine pour valoriser les agriculteurs français et favoriser plus de transparence dans l’origine des produits. Un challenge apprécié des consommateurs. «L’origine peut être un levier de valorisation », indique l’expert de la grande distribution qui a élaboré une charte signée par de nombreux distributeurs (à l’exception de l’ANIA) Objectif de cette charte : « qu’ils restent le plus honnêtes possible sur l’origine de leurs produits ».
Booster de manière responsable l’offre de produits locaux sur le territoire fait des adeptes. A l’image de Sébastien Pelka qui a co-fondé Direct Market, une marketplace de produits locaux réservée aux professionnels. La plateforme intègre un service logistique dédié simplifiant la relation entre commerçants et producteurs. Là encore, la transparence sur l’origine du produit est au cœur de la démarche. « A ce jour, on travaille avec 300 producteurs, on a référencé plus de 2000 produits et 350 points de ventes ont été déployés », détaille le spécialiste de la grande consommation.
Une demande diversifiée de la part des consommateurs
Reste que la proximité ne suffit pas à rendre compte des circuits courts. Les débatteurs constatent que la demande s’est diversifiée, impliquant le développement d’une fragmentation de l’offre par ricochet. « Le consommateur mange dans la rue le midi, se fait livrer au bureau, et le soir, il achète des plats préparés plus haut de gamme qu’il se fait livrer à la maison », analyse Olivier Mevel. Cet éclatement de l’approvisionnement doit aussi répondre à une attente forte en termes d’engagement sociétal. Une valeur perçue comme supérieure selon le consultant.
Circuits courts et de proximité et bien manger !
Nathalie Hutter-Lardeau souligne que l’exigence des circuits courts ou plutôt de proximité ne sont pas ne sont pas prioritaires en ce qui concerne la problématique de « malbouffe ».
En effet, le « bien manger » est multifactoriel : cela commence tout d’abord par l’éducation du consommateur sur la portion et la fréquence des aliments qu’il ingère. D’autres paramètres comme le temps de pause repas, la préparation du repas et les écrans jouent un rôle important dans le bien manger
La provenance comme la qualité intrinsèque viennent en second temps, auxquelles s’ajoute les notions de produit brut, ultratransformé, de saison qui peuvent avoir un impact sur les valeurs nutritionnelles.
Par ailleurs, l’analyse de ces mois de crise, a engendré une l’allégation mondiale sur l’immunité qui peut contribuer à la prise de conscience du lien entre alimentation et santé.
Et la souveraineté alimentaire ?
La consommation locale comme source de souveraineté alimentaire est un questionnement vital, car selon les prévisions du site Ecole de Guerre Economique (EGE) « La France devrait constater son premier déficit agricole en 2023. En 2018, seuls les échanges avec les pays tiers contribuent à l’excédent commercial, grâce à la vitalité des produits de terroir et des produits de seconde transformation ».
L’image d’Epinal d’une France comme puissance agricole inébranlable totalement indépendante alimentairement a fait long feu, selon Sandrine Doppler. En effet, « le poids de l’agriculture française dans l’UE s’est réduit au fil du temps passant de 20% de la production agricole européenne à la fin des années 90 à environ 17% aujourd’hui », précise-t-elle. La « Ferme France » a perdu sa compétitivité, laissant désormais les places de leaders à l’Allemagne et aux Pays-Bas.
Pour prendre la pleine mesure des conséquences de la perte de l’indépendance alimentaire française, la spécialiste de la transition alimentaire y intègre l’industrie des produits transformés, c’est-à-dire les IAA (hors boissons) et les excédents viti-vinicoles. Et d’ajouter que les importations couvrent désormais une part de plus en plus importante de l’alimentation des Français : près d’un fruit et légume sur deux consommés en France est aujourd’hui importé, et plus d’un tiers de la consommation intérieure de volaille.
Quel modèle agricole ?
Cette perte de dépendance alimentaire est aussi antinomique avec le locavorisme, une aspiration de plus en plus forte chez la population française. A cela s’ajoute, l’impact environnemental, pas forcément lié aux méthodes de production, mais tout simplement au transport. Dans ces conditions, pour Sandrine Doppler, cela traduit concrètement une menace de pénuries sur nos approvisionnements, une traçabilité moins efficace accompagnée des risques sanitaires et de tromperies sur les produits, sans parler du revenu des agriculteurs.
Entre hyper compétitivité, sécurité et environnement, le modèle agricole n’a pas fait ses choix et se retrouve aujourd’hui en plein questionnement.
L’importance accordée à l’origine est donc variable en fonction des consommateurs, des produits concernés, et des enseignes qui les commercialisent. Tout repose sur l’éducation des consommateurs et des distributeurs. Saisissant l’enjeu et l’impact que représente l’éducation, Sandrine Doppler et Nathalie Hutter-Lardeau avaient déjà animé un webinaire sur leur chaîne Planet Food Santé, le 22 avril intitulé « Comment (ré)apprendre à bien manger ? Les multiples leviers de l’éducation alimentaire ».
Cette problématique actuelle a fait aussi l’objet d’une conférence-débat animée par Agridées ce mercredi 10 juin, intitulée « Consommateurs exigeants recherchent producteurs engagés ».