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Le prix de la baguette augmente légèrement : forte émotion chez les Français ! Mais c’est aussi une occasion de faire le point sur le prix réel de la nourriture et l’importance qu’on y accorde. On s’aperçoit alors qu’il y a très peu de blé dans la baguette, que l’on n’en mange plus beaucoup et qu’elle n’est vraiment pas chère !
Pourquoi le prix du pain est-il si important en France, alors qu’on n’en mange plus beaucoup ?
Si, dans notre pays majoritairement catholique, on récite quotidiennement depuis des siècles l’antienne « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien », c’est bien parce qu’il a manqué trop souvent, alors qu’il constituait la base même de la nourriture de nos compatriotes. On nous a appris dans nos cours d’histoire que Louis XIV faisait des repas pantagruéliques alors que, pendant ce temps-là, les paysans mangeaient du pain sec… quand il y en avait. Comme l’avait bien vu le peintre Le Nain, on a longtemps été contents quand on pouvait manger régulièrement du pain avec un verre de vin. Partout où pouvait pousser du blé on en semait, et là où le blé ne venait pas on plantait de la vigne ou on mettait les bœufs à pâturer.
La flambée du prix du pain en 1789 (due en particulier à l’explosion du volcan Islandais Laki, qui a ruiné plusieurs récoltes successives) a été une cause directe de la Révolution française ; on se souvient que les Parisiens avaient été chercher à Versailles la famille royale en les traitant de « boulanger, boulangère et petit mitron » – tout était dit dans cette expression.
Si Antoine Augustin Parmentier est si favorablement connu dans notre imaginaire, c’est qu’il a réussi à nous convaincre de manger du pain et des pommes de terre, ce qui a diminué famines et disettes, car les mauvaises années pour le blé n’étaient pas nécessairement les mauvaises années pour la pomme de terre.
De fait, le pain manquait souvent et la France a connu onze disettes au XVIIe siècle, seize au XVIIIe, et dix encore au XIXe. C’est peu de dire que chacun s’efforçait alors d’avoir un « gagne-pain » ! Et même au XXe siècle, on a fort mal mangé pendant la Première Guerre mondiale et, après la Seconde Guerre mondiale, le pain a continué à être rationné jusqu’en novembre 1949, soit quatre ans après la victoire. Il a fallu attendre les années 1950 pour, qu’au lieu d’aller travailler « pour gagner leur pain à la sueur de leur front », les ouvriers aillent à l’usine pour « gagner leur bifteck », puis pour « mettre du beurre dans les épinards ».
Mais le traumatisme est resté durablement puisqu’à Paris, le préfet de police a continué à fixer autoritairement le prix du pain… jusqu’en 1986.
Le prix de la baguette est un symbole. La notion de prix ressentie est très importante par rapport à celle de prix réel.
C’est vraiment frappant de voir à quel point le prix du pain reste important dans notre imaginaire, alors que justement on n’en mange pratiquement plus : environ 120 grammes seulement par personne et par jour, alors qu’on en consommait encore 900 grammes en 1900, 375 en 1950 et 153 en 2000. Et la baisse se poursuit, même s’il se vend encore 10 milliards de baguettes par an – un véritable monument national, aussi connu mondialement que la Tour Eiffel.
Du coup, vu l’émotion qui est associée à ce produit, la notion de prix ressentie est très importante par rapport à celle de prix réel. Nous sommes tous persuadés que le prix du pain a beaucoup augmenté, nettement plus que l’inflation, ce qui n’est absolument pas constaté dans les chiffres.
D’après l’Insee, le prix de la baguette est passé de 66 centimes en 1991 à 89 centimes en 2021, soit une augmentation de 23 centimes en trente ans – 35 % de hausse contre 30 % en moyenne pour le reste des produits. Rien de scandaleux, donc, d’autant que la plupart des Français ne consomment plus guère de baguettes de base (et encore moins de flûtes ou de gros pains basiques), mais des pains fantaisie (tradition, complet, aux céréales, de campagne, aux graines, au seigle, au levain, aux noix, sans gluten, de mie, etc.) qui sont nettement plus chers, en général entre 1,10 € et 1,30 €. Ceci montre que, pour la plupart d’entre nous, le prix de la baguette de base est devenu plus un symbole qu’un élément fondamental de notre niveau de vie.
Le prix du pain (baguette ordinaire) va donc augmenter de 5 à 10 centimes d’euros dans nombre des quelques 32 000 boulangeries françaises, pour avoisiner l’euro. Objectivement, la belle affaire, mais culturellement c’est très sensible et important, tout comme le prix du riz en Asie, du maïs en Amérique centrale ou du manioc et du mil en Afrique.
Il n’y a pratiquement plus de blé dans le prix du pain
À plus de 300 euros la tonne, le blé tendre connaît son prix le plus haut depuis 2012, car la récolte mondiale de 2021 a pâti de nombreux incidents climatiques, en particulier de grosses vagues de chaleur aux États-Unis et au Canada. Dans le même temps les stocks mondiaux sont restés relativement faibles et nombre de pays importateurs tentent de les reconstituer, pour le cas où une nouvelle flambée de COVID ralentirait le commerce international.
Dorénavant, moins de la moitié des céréales récoltées sur terre sont mangées par les hommes.
En fait, l’agriculture mondiale n’arrive plus à produire régulièrement et suffisamment de céréales de base (riz, blé, maïs) pour faire face à une demande mondiale qui augmente massivement à cause du développement considérable de l’élevage. En effet, 80 % du maïs et 50 % du blé sont maintenant destinés à nourrir les poulets, lapins, canards, cochons et autres veaux, et non plus les humains ! On a franchi au début du siècle une étape symbolique très importante : dorénavant, moins de la moitié des céréales récoltées sur terre sont mangées par les hommes.
Consacrer des millions d’hectares à travers le monde pour produire de l’éthanol ou du biodiésel au détriment des surfaces alimentaires constitue une agression directe envers les gens qui ont faim.
On a même eu l’idée de brûler les céréales… dans nos moteurs, via les biocarburants de première génération. Il faut avoir le courage de dire que le meilleur du meilleur de la nature, les grains des céréales, doit d’abord être utilisé pour nourrir les hommes, et accessoirement leurs animaux, mais pas leurs voitures ! Consacrer des millions d’hectares à travers le monde pour produire de l’éthanol ou du biodiésel au détriment des surfaces alimentaires constitue une agression directe envers les gens qui ont faim. On ne devrait jamais avoir à choisir entre l’assiette des pauvres et le réservoir d’essence des riches. Manger ou conduire, il va vraiment falloir choisir, et ce serait une hérésie de ne pas choisir de manger. Sans compter que la rentabilité de cette opération et les gains en matière de réchauffement de la planète sont extrêmement faibles. Arrêtons donc cette nouvelle mode consistant à équiper nos voitures d’un appareil qui permet de leur faire avaler de l’éthanol, sous prétexte que, pour le moment, il est moins cher que l’essence ; de l’éthanol il n’y en aura jamais pour tout le monde et, si par malheur c’était le cas, la faim dans le monde progresserait considérablement.
Au XXIe siècle, on a vu une flambée du prix des céréales en 2007, qui a provoqué des émeutes de la faim dans trente-six pays, puis une autre en 2010 qui a été une cause directe des révolutions arabes. Dans ce dernier cas, il faut se rendre compte qu’une bonne part de la nourriture en Tunisie, Algérie ou Égypte est constituée de pain et de couscous, dont les matières premières, blé tendre et blé dur, sont importées suivant un cours mondial fixé à Chicago. Un cours de plus en plus volatil, car les spéculateurs s’en donnent à cœur joie. Là, une forte augmentation du prix du blé est donc très durement ressentie par la population.
Cette situation est donc absolument dramatique pour nombre de pays importateurs. Rappelons qu’il n’y a guère qu’une dizaine de pays dans le monde qui sont capables de produire plus de blé qu’ils n’en consomment (Russie, Ukraine, Kazakhstan, Europe de l’Ouest dont la France, Amérique du Nord et Australie), alors que de très nombreux pays sont obligés d’en importer de grandes quantités et en dépendent fortement pour se nourrir au quotidien.
Mais, en France, il y a lieu de garder son sang-froid, car non seulement nous mangeons de moins en moins de pain, et donc le poids de ce produit dans notre budget devient très marginal, mais en plus, du point de vue strictement économique, il n’y a pratiquement pas de blé dans notre pain !
Les salaires et charges représentent pratiquement la moitié du prix de la baguette !
En fait, l’ensemble des matières premières représente 10 à 12 % du prix final de la baguette. Dans ce petit poste de dépenses, il faut décompter le sel, la levure et, en ce qui concerne le blé, la rémunération des meuniers (encore 6 000 emplois dans ce secteur qui pèse 2 milliards d’euros) et des transporteurs. Bref, en se basant sur le prix, il n’y a que guère que 5 à 8 % de blé dans le pain, à peu près autant que ce que représentent les revenus du boulanger. Les salaires et charges du personnel sont dix fois plus importants et représentent pratiquement la moitié du prix. Les autres gros postes sont l’énergie, le loyer, le transport, les emballages et l’amortissement du matériel. Bref, si le prix de la baguette augmente, ce n’est qu’en petite partie à cause de la flambée des cours mondiaux du blé à Chicago, mais beaucoup plus concrètement à cause des augmentations de charges sociales et du prix de l’énergie. Le boulanger est bien obligé de faire chauffer son four et on ne voit pas très bien comment il pourrait durablement prendre sur sa marge pour payer une énergie qui devient hors de prix. Sans compter que c’est typiquement un commerce qui doit s’installer en centre-ville, là où les loyers sont les plus chers et ne cessent d’augmenter.
Deux miracles contemporains qui abaissent le prix du pain : rendements du blé et Politique Agricole Commune
Les rendements de blé ont augmenté de façon extrêmement spectaculaire avec le développement de l’agriculture moderne entre les années 1960 et 1990. Notons que si l’on continuait à utiliser comme unité de compte le quintal et non la tonne pour évaluer les récoltes c’est bien qu’elles n’étaient pas bien lourdes ! En fait, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, on sortait en moyenne de l’ordre de 10 quintaux à l’hectare. On passe à 20 quintaux dans les années 1950, puis la diffusion d’une agriculture moderne – avec des semences sélectionnées, des engrais et des pesticides – permet un triplement des rendements en moins de trente ans. Les Français deviennent alors les meilleurs du monde pour cette céréale et produisent entre 70 et 90 quintaux suivant les années ! Notons que les Ukrainiens, sur les meilleures terres du monde, continuent de plafonner autour de 40 quintaux, de même que les Américains, lesquels produisent avec une agriculture finalement beaucoup plus extensive. Et là, on arrive à une espèce de maximum, car finalement les inconvénients de cette agriculture dite « moderne » ont fini par rattraper ses avantages (épuisement des sols, baisse de la biodiversité, résistance aux pesticides, forte sensibilité aux changements climatiques). Résultat : depuis trente ans on tourne toujours autour des 70 à 80 quintaux suivant les années, avec des grosses variations en fonction du climat.
Le blé bio, lui aussi, a beaucoup progressé après-guerre et stagne depuis une trentaine d’années, tout comme le blé conventionnel, autour de 35 quintaux par hectare. Essayons de comprendre ce véritable miracle agronomique.
Actuellement, dans les zones céréalières françaises, comme la Beauce, on sème un peu plus de 200 grains au mètre carré, soit de l’ordre de 100 kilos de grains de blé à l’hectare.
Quand on récolte 80 quintaux, soit 8 tonnes de grains de blé quelques mois plus tard, cela veut dire que chaque grain semé a produit en moyenne 80 grains ! Ces 8 tonnes de blé produisent environ 6,5 tonnes de farine qui, elles-mêmes, permettent de produire environ 35 000 baguettes (ou 15 000 baguettes bio).
Quand on regarde un champ de blé, réalisons qu’on en sort pas loin de 4 baguettes au mètre carré, ou encore qu’on a à peine besoin de semer une petite cinquantaine de grains au départ pour récolter de quoi produire une baguette.
Bravo les agriculteurs français ! Notons qu’actuellement ils produisent trois fois plus de blé que ce que nous, les Français, mangeons. Notre récolte est en gros divisée en trois tiers : un pour les Français, un autre pour les animaux et le dernier pour l’exportation dans des pays qui n’arrivent pas à produire suffisamment de céréales.
Le deuxième miracle se nomme « Politique agricole commune européenne » : depuis longtemps, les producteurs de blé livrent à leurs coopératives leurs précieux grains en dessous de leurs prix de revient, car la PAC les subventionne pour ce faire, de façon à maintenir relativement bas les prix de la nourriture et éviter une trop grande pression sur le pouvoir d’achat des ouvriers des entreprises soumises à une concurrence internationale.
C’est la combinaison de ces deux facteurs qui fait que nous avons à la fois une agriculture céréalière extrêmement productive, des agriculteurs qui arrivent à en vivre et un prix du pain qui reste somme toute très modéré.
On dépense de moins en moins pour se nourrir, mais ce n’est pas ce que l’on ressent
Au début du XXe siècle, l’achat de pain pouvait encore représenter jusqu’à la moitié des ressources monétaires des ménages modestes ruraux (lesquels dépensaient fort peu en logement, habillement, transport, etc. et se nourrissaient largement en auto-consommant les produits de leurs jardins). On en est évidemment très loin aujourd’hui !
Un élément objectif de comparaison est celui du nombre de baguettes qu’un travailleur au salaire minimum peut acheter avec son revenu horaire.
- À la naissance du SMIG en 1950, il est fixé à 0,78 francs et la baguette (qui à l’époque pesait 300 grammes) valait 0,14 francs ; l’ouvrier pouvait donc s’en payer 5,6.
- En 1970, la baguette rétrécit pour peser 250 grammes ; elle vaut alors 0,57 francs et le SMIG, devenu le SMIC, est fixé à 3,50 francs de l’heure. Un ouvrier pouvait donc se payer 6,1 baguettes. Son pouvoir d’achat réel avait donc diminué, malgré les apparences.
- En 2002 on passe à l’euro ; la baguette vaut 0,68 € et le SMIC est à 6,83 € de l’heure. On pouvait se payer 10 baguettes et l’impression que les boulangers ont profité du passage à l’euro pour se servir était donc fausse.
- En 2021, la baguette vaut 0,90 € et le salaire minimum est de 10,48 € de l’heure, ce qui correspond à 11,6 baguettes. Là, le progrès est évident, même s’il est léger.
En termes réels, la baguette est de moins en moins chère, car il faut travailler de moins en moins longtemps pour arriver à en acheter.
Mais ces calculs sont un peu vains, car, entre-temps, le poids des dépenses dites pré-engagées, ou contraintes (comme le loyer, les télécoms, les emprunts, les assurances, etc.) représente une part beaucoup plus importante des budgets des ménages ; on estime qu’on ne peut plus vivre sans voiture ni téléphone portable, par exemple. Les gens ne raisonnent donc plus en pouvoir d’achat strict, mais en « reste à vivre » une fois qu’ils ont payé ces dépenses jugées obligatoires, et donc ils sont souvent tentés d’arbitrer leurs dépenses sur la nourriture. Le renchérissement de la sacro-sainte baguette amplifie donc le ressenti de baisse de pouvoir d’achat.
Prenons un peu plus de recul : quelle part de ses revenus consacre-t-on dans le monde à acheter de la nourriture pour se nourrir chez soi ?
On s’aperçoit qu’en France on ne consacre plus que 14 % de nos revenus pour manger à la maison (il est vrai que nous mangeons beaucoup plus souvent à la cantine ou au restaurant) ; ce chiffre n’a plus rien à voir avec les 38 % que nous y consacrions encore en 1960. À cette époque on dépensait deux fois plus pour se nourrir que pour se loger alors que désormais on dépense davantage en logement qu’en nourriture. Nous arrivons même à cette situation totalement inédite, où les générations montantes dépensent plus pour leurs loisirs et les communications que pour manger.
En 1960 un ouvrier au salaire minimum devait travailler 4 h 30 pour se payer un kilo de poulet ; on n’avait pas fait beaucoup de progrès depuis la politique sociale du bon roi Henri IV avec sa poule au pot (le dimanche ! À ce moment-là il n’était pas question de manger de la viande le lundi) ; aujourd’hui une heure suffit.
Réfléchissons au fait qu’on nous a mis dans la tête qu’il est « normal » – ou en tous les cas inéluctable – que le prix des loyers augmente chaque année, alors qu’on voudrait que ceux de la baguette, des yaourts ou du jambon ne cessent de baisser. En quelque sorte, nous pourrions nous dire que nous nous payons littéralement notre téléphone portable avec les économies que nous avons pu faire sur la nourriture, alors merci les agriculteurs !
Le rapport à la nourriture a été complètement transformé en France en 2 générations. Source des informations (source INSEE)
Ces chiffres ont besoin de comparaison ; regardons un peu ce qu’on fait ailleurs dans le monde. En Europe les différences sont déjà relativement sensibles, entre les pays du Sud (Grèce, Italie, Espagne, Portugal et France), qui aiment bien manger et y consacrent 13 à 15 % de leurs revenus, et les autres, qui sont plutôt à 10 ou 11 %. Songeons par exemple que de nombreux règlements intérieurs d’entreprises hexagonales obligent les salariés à prendre 45 ou 60 minutes de pause déjeuner et subventionnent des cantines qui servent des repas dits complets (entrée, plat chaud, dessert). Alors que, quand on va aux Pays-Bas, on considère souvent que déjeuner consiste à prendre un pain de mie carré, ajouter un jambon carré, un fromage carré et une deuxième tranche de pain de mie, avant de grignoter le tout machinalement devant son ordinateur ! Notons quand même qu’il n’y a pas un seul Hollandais qui ne sache pas que c’est en France qu’on mange bien ! Ces différences expliquent la grande difficulté que nous avons à nous mettre d’accord pour une politique agricole et alimentaire commune, mais on finit quand même par y arriver.
Quand on élargit notre regard à l’ensemble de la planète, on voit bien que le rapport à la nourriture est extrêmement différent suivant les pays.
Ceux qui réclament que la nourriture soit moins chère lorgnent vers les pays anglo-saxons et leur mode de vie. La Grande-Bretagne est vraiment différente du reste de l’Europe, puisque cela fait belle lurette qu’elle est en dessous de 10 % des revenus consacrés à l’alimentation à la maison… aujourd’hui elle en est seulement à 8,2 %. Pour autant, faut-il se fixer comme objectif de faire pareil en France ? Personnellement, la gastronomie anglaise ne me tente guère.
Quand on regarde les États-Unis, que tant de gens admirent, on a l’impression qu’ils touchent à la caricature, puisqu’ils consacrent seulement 6,4 % de leurs revenus à leur alimentation à domicile, moins de deux fois moins que les Français ! Il est vrai qu’ils mangent beaucoup plus souvent au restaurant, mais quand même, on ne peut pas s’empêcher de penser que si l’obésité et de nombreuses autres maladies liées à l’alimentation y prolifèrent, c’est en particulier à cause de l’abus de malbouffe. Notons la contradiction qui fait que, moins on dépense pour la nourriture, plus on grossit ! Remarquons également qu’en moyenne, les Américains dépensent deux fois plus que nous en frais de santé : l’abus de malbouffe bon marché ne semble pas leur profiter.
Pourcentage des dépenses consacrées à la nourriture en 2014 dans le monde. Illustration à partir des données de l’USDA.
D’un autre côté, il y a des pays qui, pour nous, semblent être restés « à l’ancienne », comme la Russie (29 %) et la Chine (25 %). La Russie reste un vrai scandale agricole : le plus grand pays du monde qui, lui, bénéficie du réchauffement climatique, puisque potentiellement chaque année il peut mettre en culture de nouvelles terres en Sibérie, n’arrive toujours pas à nourrir correctement ses (seulement) 130 millions d’habitants.
La Chine, en revanche, nous donne de grands espoirs : il y a encore quelques décennies c’était le pays de la faim dans le monde, où les gens pouvaient mourir de faim par millions certaines années. Elle s’est enfin mise sérieusement à l’agriculture pour devenir, de très loin, la plus grande puissance agricole mondiale (premier producteur de riz bien sûr, mais aussi de viande, d’œufs, de fruits et de légumes et même deuxième producteur mondial de blé). Résultat, aujourd’hui presque plus personne n’y meurt de faim, la consommation de viande y est passée de 15 à 60 kilos par habitant et les Chinois ne consacrent plus que le quart de leurs revenus à se nourrir, ce qui était encore le cas des Français dans les années 1980.
Mais on peut également regarder certains pays du Sud et prendre conscience qu’un Algérien consacre toujours 42 % de ses revenus à s’acheter de la nourriture et un Nigérian 56 %. Deux pays pétroliers où l’on n’a pas vraiment jugé bon de s’investir dans l’agriculture… mais aussi deux pays où il y a beaucoup de riches. On se doute que ces riches ne consacrent pas la moitié de leurs gros revenus à manger… cela veut donc dire que, là-bas, il y a beaucoup de foyers qui consacrent 70 à 80 % de leurs revenus à cette activité.
Nous sommes donc sur une planète où certains consacrent à peine 6 % de leurs revenus à se nourrir alors que d’autres y engloutissent 80 %. Cela aide à relativiser sur les 0,10 € supplémentaires que risquent de prendre certaines de nos baguettes. Les politiques à mener dans ces pays sont évidemment complètement différentes.
En France, il me semble urgent de ne pas continuer à baisser le prix relatif de la nourriture. À l’heure où l’obésité, le cancer, le diabète et l’artériosclérose nous guettent, consacrer autant d’argent, voire un peu plus, et surtout un peu plus de temps à cette activité essentielle pour bien manger, en cuisinant directement des produits frais de saison plutôt que de réchauffer des plats « ultra transformés ». Objectifs finaux : mieux vivre, mieux vieillir en bonne santé et avoir une vraie vie sociale en cassant la croûte avec des « co-pains », dans la joie et la bonne humeur ; un programme assez raisonnable et tout à fait adapté à notre culture.
Changer un peu moins souvent son téléphone portable et se faire un peu plus souvent une « bonne bouffe » en bonne compagnie, c’est certainement gagner en qualité de vie, au pays de la gastronomie mondiale ! Cela remet à leur juste niveau les discussions sur le prix de la baguette.