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La végétalisation de l’alimentation est une tendance lourde, mais qui n’en est encore qu’à ses débuts. En Europe, si la part des personnes ayant adopté des régimes végans, végétariens ou pescatoriens reste globalement inférieure à 10% (tous régimes confondus), celle des flexitariens, qui réduisent volontairement leur consommation de viande, atteint 30%. Surtout, 39% des Européens ont l’intention de réduire leur consommation de viande dans un avenir proche, et 28% leur consommation de lait (Innova Market Insights). Parallèlement, l’offre de produits imitant les produits animaux, que ce soit pour les remplacer ou simplement (et plus souvent) pour diversifier sa consommation, a pris de l’extension. Là encore, ce mouvement est encore émergent, mais en évolution rapide. Sur la base d’une veille permanente et d’entretiens avec des acteurs et experts, il est possible de tenter quelques prédictions pour 2022.
- Les substituts plant-based étendent leur rayon d’action
Les alternatives à base de protéines végétales se sont d’abord développées dans le domaine du lait (elles représentent déjà 15% de parts de marché aux Etats-Unis par exemple) puis dans celui de la viande, à commencer par les produits imitant les steaks. Rappelons que cette offre ne cible ni les végans ni les végétariens mais bien les flexitariens, et qu’une majorité des consommateurs de substituts à la viande achète également des produits carnés. Le mouvement de substitution se poursuit, il touche à présent les autres types de viande (beaucoup d’alternatives au poulet lancés en 2021, ou encore à l’agneau, au bacon). Une forte croissance des analogues de poissons et fruits de mer est à attendre en 2022 : outre le déploiement de l’offre de start-ups comme l’américaine Gathered Foods (marque Good Catch) ou l’espagnole Mimic, les grands groupes entrent dans la danse, à l’instar de Nestlé avec le Sensational Vuna, une alternative au thon qui arrive en France, ou du groupe Thai Union, n°1 mondial du thon en conserve, qui a entamé sa diversification vers le végétal en 2021.
Les substituts aux fromages, qui étaient jusqu’ici freinés par leur prix, leur goût pas toujours convainquant et leurs longues listes d’ingrédients, devraient décoller. En effet, plusieurs start-up sont en train de mettre au point des innovations pour proposer des produits plus réalistes, dont certaines en utilisant des ingrédients issus de la fermentation de précision.
La végétalisation va aussi concerner de plus en plus les snacks (Pepsi-Co et Nestlé en font une priorité), la confiserie, ainsi que le secteur de la boulangerie-pâtisserie (ingrédients végétaux remplaçant les œufs entiers ou les blancs d’œufs, le beurre).
- Des substituts plus réalistes
Lorsque Beyond Meat et Impossible Foods ont sorti leurs steaks « saignants », on a parlé de « substituts 3.0 », aussi qualifiés d’ « ultra-réalistes » (par rapport aux steaks de soja). Mais le progrès ne s’arrête pas là et l’on voit arriver une nouvelle génération (4.0 ?) d’analogues de viande imitant des morceaux entiers (et non la viande hachée). Ainsi, la start-up slovène Juicy Marbles a mis au point un filet mignon entier. L’impression 3D est utilisée par certaines start-ups pour apporter la texture manquant encore aux substituts de viande ou de poisson actuels.
- De nouveaux ingrédients
Le soja, le blé et le pois sont les ingrédients majoritairement utilisés dans l’offre actuelle de substituts. Mais de nouvelles sources de protéines végétales sont de plus en plus utilisées comme le pois chiche, le lupin et la féverole, utilisée par exemple dans le faux poulet de Beyond Meat. Dans les substituts aux produits laitiers, l’avoine poursuit sa folle ascension, et d’autres sources de protéines pointent comme le millet, le chanvre ou encore la pomme de terre.
D’autres sources de protéines sont issues de l’upcycling, qui utilise des co-produits ou sous-produits pour en faire des produits à plus forte valeur ajoutée. C’est le cas notamment des protéines d’orge à partir des drèches de brasserie.
D’une manière générale, on observera davantage de mélanges de différentes sources de protéines, leur complémentarité permettant d’améliorer le profil nutritionnel des produits et de les rapprocher encore plus du profil des produits d’origine animale.
- Des produits hybrides animal / végétal / autres
Les produits hybrides ne se limitent pas au mélange origine animale / végétale (comme dans le lait de la marque de Triballat Noyal Pâquerette & Compagnie, ou dans la Vache qui rit avec des légumineuses lancée par Bel en Amérique du Nord). Des innovations combinant végétal et protéines issues de la fermentation de précision, voire cultivées in vitro, se profilent. Ces ingrédients plus « rupturistes », présents en petite quantité, apporteront ce qui fait encore défaut aux alternatives végétales au niveau du goût, de la texture ou de la nutrition. Mais ils devront d’abord recevoir les autorisations de mise sur le marché, ce qui, dans l’Union européenne, n’est pas acquis.
- Des substituts davantage « clean label »
Avec l’essor des alternatives et leur arrivée dans les rayons des supermarchés classiques, leur composition a été de plus en plus scrutée et les critiques se sont fait plus fortes (et plus médiatisées) : aliments « ultra-transformés », trop longue liste d’ingrédients et utilisation d’additifs ou autres ingrédients controversés, etc. Là encore, l’innovation est à l’œuvre pour proposer une nouvelle génération de substituts à l’abri de ces critiques. La française Umiami a mis au point une nouvelle technologie brevetée qui lui permet de se passer des agents de texturation et de méthylcellulose. Des start-ups se lancent en mettant en avant l’argument « clean label » et une liste d’ingrédients très réduite. Sur la question de l’ultra-transformation, l’utilisation d’isolats de protéines fait débat, c’est pourquoi l’américaine No Evil Foods déclare n’utilise que des protéines « entières », de la farine de blé et de pois chiche. D’autres producteurs d’alternatives se basent sur les champignons ou encore sur le fruit du jacquier pour reproduire la texture de la viande.
- Une baisse du différentiel de prix grâce aux économies d’échelle
Avec les critiques sur leur composition, le prix des alternatives reste le principal frein à leur consommation. Le surcoût varie selon les types de produits, il est bien entendu plus élevé pour les alternatives les plus réalistes. Mais il a déjà commencé à diminuer au fur et à mesure que l’offre se développe et que les capacités de production augmentent. En 2022 et au-delà, on peut tabler sur une poursuite de cette baisse, avec l’ouverture de la plus grande usine de transformation de protéines de pois par Roquette au Canada, ou encore les investissements de Oatly dont les trois nouveaux sites industriels en Chine, à Singapour et aux Etats-Unis produiront, à terme, 450 millions de litres de boissons à base d’avoine.
- Des alternatives qui ne seront pas forcément des analogues
On peut débattre du potentiel des substituts imitant la viande, de la question de savoir s’ils ne seront pas un effet de mode vite oublié (lien article précédent https://www.stripfood.fr/vers-un-essoufflement-des-alternatives-a-la-viande-aux-etats-unis-par-celine-laisney/). Mais la tendance est plus large et peut prendre plusieurs directions à l’avenir. Il n’est pas exclu que la végétalisation passe assez rapidement l’étape des analogues (censés faciliter les changements de comportements alimentaires) pour arriver à celle d’une alimentation plus simple, composée d’aliments ne cherchant pas à imiter la viande et de plats végétariens. Là encore, de nouvelles propositions arrivent tous les jours dans le domaine des protéines végétales, qui simplifient leur préparation, leur apportent la culinarité qui leur manquait peut-être, et surtout la praticité nécessaire à leur insertion dans nos modes de vie modernes.
On peut observer une évolution en ce sens aux Etats-Unis, pays pionnier des substituts, qui voient actuellement les ventes de plats cuisinés et surgelés « plant-based » progresser fortement.
- L’extension aux pays émergents, à commencer par l’Asie
On entend souvent dire que les nouveaux régimes alimentaires qui vont dans le sens d’une végétalisation volontaire sont un phénomène limité aux pays riches, les habitants des pays émergents n’aspirant, quant à eux, qu’à augmenter encore leur consommation de viande ou de produits laitiers. Cette affirmation mérite qu’on y regarde de plus près, car la mondialisation des tendances et des aspirations, les contraintes environnementales, les préoccupations de santé pourraient infléchir plus rapidement que prévu les courbes. Du côté de l’offre, on voit les principaux acteurs comme Beyond Meat, Impossible Foods ou Eat Just commencer à se déployer en Asie, à commencer par la Chine. D’autre part, la Chine, mais aussi le Brésil, l’Inde, le Chili ou encore l’Argentine, sont en train de connaître une explosion de start-ups dans le domaine des alternatives végétales. Et leurs innovations ne sont pas des produits de niches ou premium mais, pour beaucoup, des alternatives abordables visant le grand public.
- Une nécessaire consolidation du marché
De nouveaux acteurs arrivent sans cesse sur ce marché, qui a bénéficié jusqu’ici d’investissements en flux continus. Sans aller jusqu’à parler de bulle, il est probable qu’un ajustement se fasse et que certains acteurs moins performants disparaissent, comme on l’observe dans tous les domaines en ébullition (cf. la livraison de repas ou le quick commerce). L’intérêt croissant des grands groupes se traduit également par des rachats de start-ups.
- Les alternatives devront faire la preuve de leur durabilité
Portée jusqu’ici par des motivations liées à la santé mais aussi à l’environnement, les alternatives paraissent naturellement « vertueuses ». Les communications des acteurs du végétal mettent de plus en plus souvent en avant la réduction de gaz à effet de serre, par rapport à leurs équivalents animaux. Mais les alternatives ne se valent pas toutes au regard du climat et de la biodiversité, et leur bilan n’est pas toujours réalisé de manière indépendante et objective. Une harmonisation des méthodes de calculs (en analyse de cycle de vie) est en cours, et un encadrement plus strict des allégations est à anticiper.
Bien sûr, toutes ces tendances n’ont pas attendu 2022 pour se manifester et elles se poursuivront au-delà. Il faut surtout se rappeler que rien n’est jamais figé, surtout dans un secteur aussi émergent, et qui attire autant d’investissements de la part des grands acteurs, y compris ceux des secteurs de la viande, du lait ou des œufs. La diversification est en marche, elle sera plus large que le végétal avec les nouvelles sources de protéines dont nous parlerons dans un prochain article.
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