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Laurent Meudic est un grand expert du monde du chocolat avec qui j’ai véritablement plaisir d’échanger. Après l’interview réalisée sur les chocolats bean-to-bar, j’ai décidé de l’interroger sur les pâtes à tartiner. Sa passion pour les chocolats et ses produits dérivés, ainsi que son activité d’épicerie fine, l’ont amené à tester des dizaines de réalisations du monde entier. Il retrace pour StripFood l’origine de ce produit, nous en explique ses secrets et nous dévoile la pâte à tartiner qui s’impose, selon lui, comme la référence ultime.
Stéphane Brunerie
StripFood : Quelle est l’origine de la pâte à tartiner ?
Laurent Meudic : Pour ne pas comparer des choux avec des carottes, commençons par nous accorder sur ce dont on parle précisément : la pâte à tartiner la plus vendue au monde, celle à base de noisettes et de cacao.
Sa création remonte au tout début du 19ème siècle en Italie, quand les piémontais subissaient le blocus économique imposé par Napoléon Bonaparte sur les produits issus des colonies britanniques, dont le cacao. Les pâtissiers turinois avaient alors eu l’idée de remplacer ce cacao, devenu si rare et si coûteux, par la noisette, laquelle abondait dans la région. C’est ainsi que naquit un petit bonbon en forme de coque de bateau renversée ou de chapeau de Napoléon : le « Gianduja » ou « Gianduia » (prononcés « djann-dou-ya»).
Juste après la 2nde guerre mondiale, toujours pour des raisons évidentes de pénurie, Mr Pietro Ferrero en reprit le principe pour fabriquer des blocs à découper à destination des pâtissiers : le « Giandujot » .
La canicule de 1949 poussera les pâtissiers à devoir placer ce bloc fondant dans des pots.
Additionné d’huile et travaillé pour qu’il conserve cette particularité qui lui permet de se tartiner plus facilement, c’est ainsi que naquit la «Supercrema » au début des années 1950, laquelle deviendra en 1964 : NUTELLA.
L’entreprise grandissant, chaque ingrédient sera ensuite minutieusement rationalisé, les plus nobles (comme la noisette du Piémont) étant remplacés par d’autres, de manière à faire baisser les coûts, tout en préservant ce goût et cette texture si caractéristiques.
StripFood : Piemont, Turquie, Corse ou même Lot et Garonne,… Quelle est vraiment l’influence du terroir des noisettes sur le goût d’une pâte à tartiner ?
Laurent Meudic : L’origine et la variété sont déterminantes à plus d’un titre !
D’abord, le « goût » ou plutôt les arômes !
Chaque variété de noisette dégage sa propre saveur, plus ou moins prononcée, avec ses propres caractéristiques plus ou moins remarquables (taille, forme, taux de matières grasses naturelles…).
Ensuite, le sens !
De par leur histoire, les européens attachent beaucoup d’importance à la notion de « terroir », de patrimoine gastronomique, et de tout ce qui nous relie à notre territoire. A ce titre, les noisettes du Piémont (variété « Tonda Gentile Trilobata »), les romaines (variété « Tonda Gentile Romana »), celles de Salerne (variété « Tonda Di Giffoni »), ou encore celles de Cervione en Corse (variété « Fertile de Coutard ») bénéficient de l’Indication Géographique Protégée (IGP).
Enfin, le prix !
La nature procède quasiment toujours de la même manière, et il en va des noisettes comme des tomates, du cacao, ou des pommes : plus il y a de fruits sur un arbre ou une plante, et moins il y a d’arômes.
C’est pourquoi les ingrédients les plus spécifiques aromatiquement sont la plupart du temps les plus rares et donc les plus chers.
Pour indication, le rapport de prix entre une noisette de Turquie (1er producteur mondial avec 80% de part de marché) et une noisette du Piémont ou de Corse est d’environ 1 à 10 minimum ! Or, à lui seul, le groupe Ferrero engloutit 1/3 de la production mondiale de noisettes.
StripFood : Quel est le secret sur ce marché pour réussir à s’imposer comme la référence gustative ?
Laurent Meudic : Ce serait prétentieux de ma part de m’avancer sur ce terrain. Force est de reconnaître que c’est Ferrero qui a trouvé LA recette magique, celle qui parle au monde entier, comme Coca-Cola pour les boissons pétillantes aromatisées. Et ce sont leurs parts de marché qui sont très attaquées ces dernières années.
On peut quand même distinguer 3 marqueurs forts :
– l’odeur et les arômes sont clairement caractéristiques de la noisette du Piémont. Une seule fois j’ai retrouvé cette particularité dans un praliné de noisettes cultivées en Nouvelle-Zélande, vraisemblablement à partir d’une autre variété italienne (« Tonda Gentile Romana »), réalisé par le chocolatier HOGARTH. C’était bluffant ! Mais pas moins onéreux…
– la texture : ni vraiment liquide, ni complètement figée, juste entre les deux. Très peu de pâtes à tartiner sur le marché parviennent à respecter ce fragile équilibre, si difficile à obtenir et à maintenir dans la durée.
– enfin, tout dépend du prix (et donc des volumes) que la marque est prête à assumer ! Car il n’est pas possible de réaliser une pâte à tartiner avec des noisettes du Piémont pour 2€ les 200g.
StripFood : Alors, quelles sont les pistes en terme de produits pour revenir à l’expérience des origines ? que nous apportent vraiment les nouvelles alternatives qui fleurissent ?
Laurent Meudic : Sans doute certains fabricants se sont demandés ce qui pourrait bien pousser un consommateur à fuir la référence du marché ? Pourquoi chercher ailleurs alors qu’on adore le produit original ?
En premier lieu, on pense à l’huile de palme (NLDR : Ce qu’il faut savoir sur l’huile de palme (National Géographic), tellement décriée que certains acteurs tentent de la remplacer par d’autres matières grasses végétales, pas toujours beaucoup plus recommandables.
Le problème, c’est que certaines huiles développent des arômes parasites lorsqu’elles ne sont pas désodorisées selon un procédé pas franchement naturel.
Enfin, la texture est souvent plus huileuse, apportant une sensation plus grasse que l’huile de palme, ce qui n’est pas très agréable.
Ensuite, on pense au sucre, omniprésent dans ce genre de produit. Certaines marques essaient d’en réduire la quantité ou de le substituer, pas toujours avec des ingrédients très vertueux et avec le risque d’augmenter considérablement les coûts, sans répondre aux attentes du public en matière de dose de réconfort.
Par ailleurs, certains consommateurs font la chasse aux additifs, aidés dans leur quête par les appli de type Yuka ou Siga.
Enfin, le BIO est un argument puissant puisqu’il peut permettre d’éviter une partie des écueils.
Donc, il s’agit soit de chercher à produire la plus authentique pâte à tartiner du monde (vraisemblablement celle des origines), et alors les tarifs vont s’envoler, soit, de tenter de s’en approcher avec une recette revue et corrigée, comportant moins de noisettes, soit, de faire tout autre chose et tenter de tracer son propre chemin.
StripFood : Peux tu nous donner les 3 marques que tu nous recommandes et en quoi elles remportent tes faveurs ?
Laurent Meudic : Les consommateurs qui ne se concentrent que sur le rapport goût/prix, n’ont aucune raison de changer. On peut même avouer qu’avec aussi peu de matières nobles, NUTELLA est parvenu à réaliser un véritable exploit !
Ensuite, même si cela reste très sucré et plus « huileux » sur la langue, ceux qui cherchent à ne pas trop s’éloigner de la référence, tout en privilégiant un peu plus les aspects santé (donc moins d’additifs) et sans excès en terme de prix, pourront se tourner vers la Nocciolata de RIGONI DI ASIAGO en BIO.
Enfin, pour trouver le nec plus ultra, les gastronomes les plus exigeants retourneront à la source, revenant aux matières brutes et nobles.
A ma connaissance, la pâte à tartiner la plus authentique, la plus pure, la plus noble et gustativement la plus juste se nomme TEO & BIA.
Seulement 3 ingrédients, bio, 47% de noisettes du Piémont IGP et sans huile ajoutée, elle procure un plaisir indéfinissable qui vous fera oublier tout le reste, faisant d’elle le champion hors catégorie à ce jour.
NDLR : Dernière minute : 60 millions de consommateurs a réalisé dans son numéro 66 datant de février 2021 un classement selon ses propres critères des pâtes à tartiner commercialisées en grande-distribution. Selon le, la pâte à tartiner la mieux classée est celle du français Poulain.