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Cela a commencé comme on ne l’aime pas sur les réseaux sociaux et plus précisément sur Twitter, un message à haute portée démagogique est devenu viral le 13 mai 2021 : « Une amie récupère des invendus pour distribuer aux restos du cœur. Elle leur a amené plein de corbeilles de fraises. Et ben personne n’en voulait. Parce que oh la la certaines fraises étaient légèrement abîmées. Du coup on les a gardées pour nous est on en a fait des confitures ». Depuis, le message a été supprimé par son auteur mais les commentaires et sa viralité nous interrogent. Plus d’un an après la pandémie qu’avons-nous retenu de notre modèle alimentaire ? Qu’avons-nous retenu de l’insécurité alimentaire en France en 2021 ? Cet article vise alors à s’interroger sur les politiques publiques actuelles autour de l’alimentation et les impacts de la pandémie.
La lutte contre l’obésité pierre angulaire des programmes nutritionnels
Depuis 2001, en France, quatre plans du Programme National Nutrition Santé (PNNS) ont été déployés par le Ministère de la Santé. Tout le monde aujourd’hui a été exposé à l’un des messages du PNNS : « Mangez 5 fruits et légumes » ou bien encore « Pour votre santé, évitez de mangez trop gras, trop salé, trop sucré ». Depuis plus de 20 ans, les politiques de prévention en santé publique se focalisent essentiellement sur la lutte contre l’obésité, nutritionnalisent les discours valorisant prioritairement le lien alimentation et santé, éclipsent d’autres problématiques alimentaires comme, par exemple, la lutte contre la dénutrition. Le collectif de lutte contre la dénutrition né en 2016 estime qu’aujourd’hui, en France, 2 millions de personnes sont dénutries. Une autre problématique peu abordée est celle de la sécurité alimentaire. Le droit à l’alimentation a été reconnu en 1948 dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et en 1996, lors du Sommet Mondial de l’Alimentation, la définition suivante a été adoptée : « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». La pandémie mondiale du Covid-19 a notamment entrainé en France, en mars 2020, la fermeture des cantines scolaires mais aussi des restaurants universitaires touchant de plein fouet des familles et des étudiants pour qui ces structures sont fondamentales pour s’alimenter. Pendant que certains se ruaient pour faire du stock de papiers toilettes, d’autres devaient assurer trois repas par jour et faire face à d’innombrables difficultés.
La sonnette d’alarme tirée par les associations d’aide alimentaire
Très rapidement, les associations ont interpellé les pouvoir publics tant la demande a explosé. Des réseaux bénévoles d’urgence se sont mis en place. Des épiceries solidaires ont vu le jour sur les campus universitaires. Bien que l’on vante les vertus de notre système social, on a très rapidement observé que la sécurité alimentaire n’était pas acquise en France et que les familles monoparentales (souvent des femmes), les travailleurs illégaux, précaires, les sans-papiers, les sans-abris, les personnes âgées, les étudiants étaient et sont toujours durement touchés par le manque alimentaire et cela s’est accentué pendant cette pandémie. Lors de sa campagne nationale de collecte fin 2020, la banque alimentaire a souligné qu’elle a fait face à une hausse de 20 à 25 % de la demande d’aide alimentaire et, dans le même temps, une baisse de ses stocks de 23 %.
Toujours fin 2020, les Restos du cœur ont sorti une campagne visant à interpeller l’opinion publique : « Le monde d’après, on l’aurait imaginé avec moins de pauvres qu’avant » ou bien encore « Quand notre resto tourne bien c’est que la situation tourne mal ». Pour autant, si la thématique de l’insécurité est largement relayée par les associations, d’autres thématiques autour de l’accessibilité s’invitent dans le débat public comme la souveraineté alimentaire à l’image l’allocution du Président de la République, Emmanuel Macron, le 12 mars 2020 : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main ». L’accessibilité est ici d’abord pensée par le prisme de la souveraineté et non par celui de la sécurité.
Repenser une résilience alimentaire pour toutes et tous
Une autre thématique tend également à s’imposer dans l’espace public : la résilience alimentaire permettant de penser un modèle alimentaire durable pouvant résister aux crises. Pour autant la résilience doit être réfléchie pour toutes et tous, il s’agit alors de penser qu’amener des fraises pour faire des confitures au Resto du cœur n’a pas de sens. Car il est urgent d’admettre qu’une part de la population n’a pas de logement, que les logements d’urgence n’ont souvent pas de cuisine, que l’équipement culinaire a un coût. Qu’en outre les priorités sont parfois ailleurs : travailler, élever ses enfants, survivre dans un contexte précaire qui complexifie tous les pans de la vie. En juin 2021, j’ai été amenée à travailler dans une épicerie solidaire pour développer un programme de recherche autour de l’alimentation durable. Lorsque j’interrogeais une bénéficiaire sur ces lieux d’approvisionnement, elle m’a répondu : l’épicerie solidaire, les Restos du cœur et les poubelles. Puis elle m’a énumérée les lieux dans lesquels généralement il était intéressant de faire les poubelles. J’étais tentée de préciser que cette dame est dans cette situation après une rupture d’une violence sans nom qui pourrait arriver malheureusement à tout le monde, ou presque. Mais à quoi bon préciser cela ? Que cela puisse être vous ou moi n’est pas la question. La question est l’insécurité alimentaire qui touche des pans entiers de la population.
En France, aujourd’hui, faire de la confiture maison n’est pas une priorité pour toutes et tous, très loin de là.
Car voilà une des réalités de l’alimentation en France aujourd’hui : faire de la confiture maison n’est pas une priorité pour toutes et tous, très loin de là. Un récent rapport paru en juillet 2021 et rédigé conjointement par cinq agences de l’ONU souligne : « la pandémie a bien eu un impact massif, plongeant dans la famine 118 millions de personnes supplémentaire au cours de l’année 2020 », si ce rapport insiste sur la situation désastreuse notamment sur le continent africain, cette crise touche tous les continents. La résilience doit impérativement considérer la sécurité alimentaire et ses enjeux à une échelle locale, nationale et mondiale.
Aujourd’hui ce sont les associations qui sont en première ligne dans cette lutte contre l’insécurité alimentaire et si les pouvoirs publics s’interrogent sur la souveraineté et la résilience, l’alimentation est un droit pour l’ensemble des citoyennes et citoyens du monde dont les politiques publiques doivent se saisir.