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En mai 2020, lors d’un premier entretien avec Arnaud DAGUIN, ce dernier déclarait que « bien manger est une culture à réapprendre et à redistribuer ». Je vous propose dans cette nouvelle interview une poursuite de nos échanges. On y parle d’environnement, d’écologie, du vivant et bien entendu d’alimentation.
StripFood : Cocorico ! Les Français, champions du monde du temps passé à table, ça vous inspire quoi ?
Arnaud DAGUIN : S’il y a une possibilité de rédemption, elle se fera à table, en étant le plus ouvert possible. Donc, cela me ravit et m’inspire avant tout de la bienveillance. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit d’un le symbole de notre vieille religion catholique et c’est rassurant culturellement. On a vraiment besoin d’être nourri physiquement et intellectuellement.
SF : Il y a quelques jours, j’ai posté une citation sur Twitter qui vous a fait réagir immédiatement. Alors, est-il vraiment trop tard ?
Arnaud DAGUIN : Trop tard pour quoi ? Je pense qu’il est trop tard collectivement pour arriver à partager sereinement et réussir à débattre sans s’enfermer dans une binarité délirante, qui est selon moi entretenue délibérément par ceux qui gouvernent. Je crains que l’on ne puisse y arriver sans un véritable choc. Il est également trop tard pour ce vivre ensemble qui respecte le vivant. Aujourd’hui, la diversité est l’ennemi alors qu’il s’agit pourtant du moteur du vivant. Je ne pense pas que nous soyons capables de réacquérir l’ensemble de nos capacités immunitaires. Comme dans tous les élevages du monde, c’est l’aspect le plus complexe, mais contrairement au poulet, dans l’élevage humain (« humail »), nous ne sommes pas tous au même niveau et les hiérarchies restent beaucoup trop importantes.
StripFood : Est-il trop tard pour les questions environnementales ?
Arnaud DAGUIN : Non, car l’environnement n’existe pas. Il existe un monde dans lequel nous sommes partie prenante. Nous ne sommes au centre de rien. Ce monde-là va se réguler avec ou sans nous. Quand on parle d’environnement, on se trompe et on évite le sujet. Il faut vraiment être abruti pour vouloir ainsi sauver la planète.
StripFood : Quel est le bon vocable selon vous ?
Arnaud DAGUIN : Moi je parle du vivant, de l’existant, de l’univers, du cosmos, mais surtout pas d’environnement.
StripFood : Alors que nous avons perdu en matière de collectif et de vivre ensemble, pourquoi l’écologie peine-t-elle à s’affirmer comme une cause collective fédératrice alors qu’elle nous concerne tous ?
Arnaud DAGUIN : Car c’est ce qui met le plus en danger l’échafaudage de bétail humain construit depuis des millénaires et que j’appelle « l’humail » en clin d’oeil au bétail. Si nous étions capables de prendre à bras le corps ce sujet de l’écologie (autrement dit d’être au monde, d’être vivant), on s’apercevrait immédiatement que le système même de nos sociétés n’est pas le bon. Rappelons que 50 % des richesses planétaires appartiennent à 1 % de la population. Nos systèmes sont cumulatifs et la confusion entre l’être et l’avoir ne peut pas plus perdurer.
Une du Monde – 8 décembre 2021
StripFood : Nous voilons-nous la face de peur de perdre nos différents privilèges ?
Arnaud DAGUIN : En effet ! La force du système est de laisser assez à ceux qui n’ont rien pour qu’ils aient quand même peur de le perdre.
StripFood : Alors comment avancer ? Petits pas ou grande rupture ?
Arnaud DAGUIN : Sur cette question, mon point de vue rejoint celui du chercheur japonais Masaru Emoto, spécialisé dans la photographie des cristaux d’eaux gelés. Il a observé que l’eau stocke des informations en captant nos vibrations, nos émotions et nos pensées. Alors, même si on ne fait rien, comme nous sommes composés d’une grande partie d’eau, nous sommes comme un disque dur géant. Notre capacité à changer le monde via nos émotions est donc très importante. Par conséquent, la seule façon de se sortir de cette situation, c’est d’aller chercher la conscience du miracle du vivant permanent qui donne le plaisir de manger ensemble. La bouffe transcende tous les sujets et les traverse de façon verticale dans l’histoire de nos cultures et horizontale dans la géographie de notre monde.
Et si nous portions un regard différent sur la pomme de terre ?
Si nous voulons vraiment sauver l’humanité, il faut apprendre ce qu’est une bonne pomme de terre et ensuite apprendre à s’en servir. Si on sait reconnaitre un bon produit en se donnant les moyens de savoir que cette pomme de terre a stocké du carbone, a filtré de l’eau et produit de la biodiversité. Si on sait qu’elle est pleine de bonnes choses pour soi et qu’en plus elle rend son producteur heureux et si en plus on sait faire des choses délicieuses à manger pour les autres avec, alors oui on peut vraiment sauver le monde. Tour commence par le désir de savoir ce qu’est une pomme de terre, mais aujourd’hui 90 % des gens s’en moquent totalement. Pourtant, l’incapacité de se connecter à ce que l’on mange est la cause et la conséquence d’une incroyable dégradation de notre statut. Il faut agir sur la conscience des choses. Aujourd’hui, nous nous omnibulons par la maladie, mais pas par la santé. Or la maladie est l’expression d’une non santé.
StripFood : On fait encore trop peu de liens entre Covid et alimentation…
Arnaud DAGUIN : Oui, mais certaines personnes y travaillent, comme Pierre Weill de Bleu Blanc Cœur et les fameux 10 % de la population ont déjà intégré cela. Je pense qu’il n’est pas trop tard pour agir là-dessus.
StripFood : Pour conclure, pouvez-vous citer des acteurs éclairant sur ces sujets de transformation du modèle alimentaire ?
Arnaud DAGUIN : Minjat ! (« manger » en occitan NDLR) à Colomiers : ce sont des enfants de paysans avec une conscience puissante et qui pensent et agissent, car ils sont convaincus que c’est grâce à l’alimentation que l’on peut retourner la situation et que ce mouvement doit venir du sol. Ils ont créé un magasin de produits locaux et une cantine en circuit court. Côté propagateurs, je citerai Opaline Lysiak, la présidente et co-fondatrice de l’École d’Agroécologie Voyageuse, qui fabrique des cursus de formation avec des paysans pionniers, Jean-Philippe Quérard, président de Pour une Agriculture du Vivant et créateur de FoodBiome et enfin Adrien Delepelaire, directeur général délégué chez FoodBiome, qui travaille à restaurer le lien entre alimentation et territoire.
Crédit: Pauline Daniellou