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Traditionnellement appelée le « grenier de la France », la Beauce est la première région productrice de céréales en Europe. Dans cette vaste plaine située au sud-ouest de l’Île-de-France et au nord-est du Centre-Val de Loire, on y cultive également des oléagineux, protéagineux et des pommes de terre. C’est sur ce territoire, au nord d’Orléans, que je suis parti à la rencontre de Jérémy et Jonathan Desforges, les deux frères propriétaires de La Ferme des 3 Rois. En rupture avec le modèle conventionnel dominant qu’ils avaient connu jusqu’ici, ces audacieux ont fait le pari de se convertir dans le bio et de réorienter leurs cultures sur des variétés de blés anciens et des protéines végétales. Ils ont aussi créé leur propre marque, « Trésors de Beauce », ornant fièrement les emballages qu’ils confectionnent et distribuent eux-mêmes.
Un modèle en rupture
Représentant la 5e génération à la tête de La Ferme, les deux frères Jérémy et Jonathan Desforges préviennent d’emblée avoir « fait des choix qui restent marginaux ». En 2019, ils décident de reprendre l’exploitation familiale produisant en agriculture conventionnelle des céréales, des oignons et des pommes de terre. Ils ont en tête de trouver un modèle pour vivre à deux sur l’exploitation, mais également un modèle en rupture avec l’agriculture conventionnelle de masse. Ils s’engagent alors dans la conversion en bio. « Si nous avions choisi de rester en agriculture conventionnelle, nous serions partis pour produire toujours moins cher via la course aux rendements et aux nombres d’hectares cultivés ». Pour eux, le recours aux produits phytosanitaires et aux engrais chimiques importés a un impact sur notre environnement, mais aussi notre souveraineté alimentaire. Selon eux, ce modèle est à bout de souffle.
Ils optent pour un modèle différent en intégration complète. « Nous sommes les seuls à travailler de la graine à la commercialisation. Nous avons décidé de nous passer du modèle coopératif qui aurait nui à notre indépendance et n’aurait certainement pas permis de nous différencier comme nous le souhaitions. »
Aujourd’hui, La Ferme des 3 Rois compte 140 hectares dans une région où la moyenne se situe plutôt autour des 200 hectares. « Ce choix de refuser la course au gigantisme se révèle aussi payant, car nous sommes confrontés aujourd’hui à une pression foncière extrêmement forte dans la région », précise Jonathan.
Une vision engagée mais qui reste marginale
Les deux frères ont aussi choisi de bifurquer en se spécialisant dans des variétés de blés anciens (petits épeautre, grand épeautre et khorasan) ainsi que les protéines végétales (légumes secs, céréales et légumineuses). Aujourd’hui ils cultivent des haricots, des pois chiches, des lentilles mais aussi du quinoa, des graines de tournesol ou encore du maïs pop-corn. Ce choix de légumineuses est en ligne avec les tendances de consommation mais il est aussi cohérent par rapport à leur approche de l’agriculture. En effet, ces cultures captent l’azote dans le sol, permettant ainsi de limiter l’apport des engrais organiques utilisés dans l’agriculture bio. Ils travaillent également les rotations de culture pour casser le cycle des maladies des cultures précédentes. Ils sont les premiers à avoir investi dans l’inertage, une technique de pointe pour tuer les insectes en injectant du CO2 sur les produits récoltés.
Le choix de la conversion à l’agriculture bio est selon eux une volonté de revenir aux fondamentaux agronomiques oubliés mais aussi d’intégrer une façon de travailler cohérente avec leurs convictions. Leurs circuits de commercialisation (magasins spécialisés, épiceries fines, restauration) sont principalement en local. Une de leur grande fierté ? Fournir toute la ville d’Orléans en légumes secs via la société de restauration Sogeres. Concernant leur conquête de l’export (États-Unis, Dubaï, Singapour, Japon, Afrique du Sud…) qui raffolent de ce type de produits, Jérémy et Jonathan Desforges n’y voient aucune contradiction. Ils font « de l’export en circuit court », vendu directement sans intermédiaire. « Et ce n’est pas le coût du transport qui s’avère marginal dans le calcul de l’impact carbone par rapport au mode de culture », renchérit Jérémy. Une de leur grande fierté ?
Ils ont également intégré l’emballage au cœur de leur démarche en choisissant des solutions compostables et entièrement recyclables. « On ne se voyait pas proposer des produits bio conditionnés dans du plastique », explique Jonathan. Pour couronner leur démarche et être ainsi reconnus, ils ont décidé de créer une marque : « Trésors de Beauce ».
Ces choix les ont amenés à se former à la conduite de l’ensemble de ces nouvelles cultures et à s’équiper avec du matériel spécifique. Mais cela tombe bien, car la formation initiale de Jonathan en mécanique lui permet de concevoir son propre appareil de production. Quant à la pression répétée des aléas climatiques, leurs cultures se révèlent plutôt résilientes. Concernant la gestion de l’eau, si certaines de leurs cultures ne nécessitent pas d’irrigation, quand ils la pratiquent c’est de façon « très raisonnable » grâce à la mise en place de sondes dans le sol.
S’adapter aux nouvelles attentes de consommation
Jérémy et Jonathan Desforges imaginent désormais de nouvelles offres pour répondre aux attentes des consommateurs. Ils vont ainsi proposer des légumineuses en conserve déjà préparées (mais pas cuisinées) pour répondre aux contraintes de préparation qui sont souvent un frein à la consommation de produits bruts. « Certains haricots peuvent nécessiter jusqu’à 24 heures de trempage. À notre époque, c’est rédhibitoire pour la majorité des consommateurs. » Ils réfléchissent aussi à la création de produits pour l’apéritif ou le snacking à partir de leurs graines de tournesol décortiquées, aromatisées et toastées en remplacement des traditionnelles cacahuètes ou noix de cajou cultivées à l’autre bout du monde dans des conditions souvent obscures. Une offre saine et gourmande qu’ils projettent de commercialiser pour les consommateurs mais aussi pour les professionnels, comme les boulangers. Autant de nouvelles idées destinées à valoriser leur production.
La production 2023 est estimée à 350 tonnes et le chiffre d’affaire de l’exploitation à 1,1 million d’euros, multiplié par 2,5 par rapport à 2019. Pour les deux frères, ces choix de transformations profondes ne peuvent se regarder et s’évaluer que sur le moyen et long terme. Alors, quand on les interroge sur le contexte compliqué que traverse actuellement le bio, cela ne semble pas les inquiéter outre mesure. « On regarde le bio à la lumière de l’inflation, mais sur le long terme, ce qui est certain, c’est qu’on ne pourra pas développer notre souveraineté alimentaire sans que le bio ne soit au cœur des débats. » D’ailleurs, pour eux, les déconversions en bio sont plutôt l’apanage de ceux qui avaient été davantage séduits par les aides que par la démarche globale.
Une bien belle feuille de route pour contribuer à motiver leur quatre salariés qui trouvent du sens à leur travail et, ce jour-là, se pressent dans la bonne humeur pour poser fièrement sur une photo d’équipe. « Nous avons basé notre recrutement sur l’envie de bien faire les choses et c’est maintenant ce qu’on doit aussi communiquer plus largement vers l’extérieur », conclut Jérémy.
Pour en savoir plus : tresorsdebeauce.com