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Passionné par le monde de la vigne et du vin, Romain LEYCURAS est un véritable autodidacte en la matière. Nourri par de multiples rencontres et découvertes, il aime avant tout partager sa passion. Pour StripFood, il anime une nouvelle rubrique « L’effeuillage », des formats ultra courts (moins de 2 min) qui déshabillent le vin de la vigne à la bouteille et permettent d’en savoir plus pour boire mieux.
Ça y est les fêtes de fin d’année approchent, et les traditions culinaires qui vont avec aussi. S’il y en a une d’incontournable, c’est papi qui fait le tour de la table en disant « allez, bois un bon verre de sauternes avec le foie gras. — O.K. papi, mais pas trop, ça m’écœure, je préfère le rouge et j’ai bu trop de Champagne déjà ! »
« Bon tu en boiras au dessert alors » insiste papi.
Ah, ces vins sucrés ! Vous en avez sans doute bu pas mal lors de votre jeunesse pour vous initier au vin, car faciles à boire et accessibles. Puis ils vous ont, avec le temps, lassés, donné mal au crâne et vous leur préférez désormais les vins blancs secs, rosés et rouges. Pas vrai ?
Il est vrai que la consommation de ces vins sucrés est en berne depuis une vingtaine d’années (elle a été divisée par deux, voire plus dans certaines régions historiques où elle n’existe quasiment plus). Trop associée aux réveillons, les vins sucrés ne sont plus dans l’air du temps. La faute sans doute à la production de nombreux vins trop lourds, trop soufrés, trop difficiles à accorder à table, trop chers…bref ça fait beaucoup de « trop ».
Vins sucrés, de quoi parle-t-on ?
On parle déjà d’un univers passionnant, extrêmement diversifié et assez complexe pour s’y retrouver.
Nous parlerons aujourd’hui des vins demi-secs, moelleux et liquoreux français (nous aborderons une autre fois les vins doux naturels que sont les banyuls, maury, rivesaltes, porto, etc.).
Mais c’est du vin blanc dans lequel on ajoute du sucre ?
Lorsque c’est bien fait non.
Petit rappel basique : le vin, c’est à la base du jus de raisin, dont les sucres vont être transformés en alcool par l’action de levures (processus de fermentation).
Mais parfois, il arrive que la concentration en sucre du raisin soit telle que les levures ne peuvent tout transformer en alcool. On arrête donc la fermentation et il reste alors ce que l’on appelle, les sucres résiduels.
D’accord mais il y en a qui sont plus sucrés que d’autres non ?
En fait il existe trois grandes familles, définies par leur niveau de sucres résiduels :
- Les vins demi-secs contiennent entre 4 et 18 g / litre de sucre résiduel :
- Les vins moelleux contiennent entre 18 et 45 g / litre de sucre résiduel ;
- Les vins liquoreux contiennent plus de 45 g / litre de sucre résiduel.
Mais comment les fabrique-t-on ces vins ?
C’est tout un art, et la plupart des choses se passent à la vigne. Il existe trois techniques pour faire des vins sucrés :
- La surmaturité (appelée aussi « vendange tardive ») : cela consiste à laisser mûrir le raisin plus que nécessaire en faisant attention qu’il ne pourrisse pas. En clair on pousse les limites ;
- Le passerillage : on laisse les grappes de raisin se déshydrater, soit sur le pied (si les conditions le permettent) ; soit sur de la paille dans certaines région (Jura, Corrèze). Les raisins ressemblent alors à des raisins de Corinthe ;
- La pourriture noble : celle-ci dépend de conditions climatiques qui permettent à un champignon (le Botrytis Cinerea) de faire pourrir le raisin noblement, c’est-à-dire qu’il perce la peau du raisin, l’eau s’évapore, les sucres se concentrent, le Botrytis donne un goût noble et atypique. C’est la recette magique du sauternes, par exemple.
Une grappe de raisin pourrie noblement par le Botrytris – Château de Fargues
Est-ce plus compliqué à fabriquer que les autres vins ?
La complexité des vins sucrés repose sur plusieurs facteurs :
- Dans certaines appellations, il n’est pas possible d’en fabriquer tous les ans à cause de conditions climatiques ne sont pas réunies ou bien de récoltes trop faibles (on privilégiera la production des vins secs) ;
- Aussi, faire des vins sucrés représente une prise de risque : la pourriture noble peut parfois… ne pas être noble du tout, or les raisins très murs sont plus fragiles ;
- Les vendanges sont plus longues : il faut passer plusieurs fois dans les vignes pour ne récolter que ce qui est prêt… et bien sûr cela ne se fait pas à la machine ;
- Il faut environ 3 kilos de raisin pour fabriquer une bouteille de liquoreux alors qu’il en faut 1kg pour une bouteille de vin blanc autre, rouge, ou rosé.
Donc si je comprends bien les vins liquoreux sont les plus lourds à boire, c’est ça ?
C’est là que l’on reconnait la qualité d’un vin. Pour rappel, cette qualité est une histoire d’équilibre de saveurs, d’arômes, etc. Pour les vins sucrés, on prêtera attention à l’équilibre entre l’acidité et les sucres.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, un bon vin sucré sera un vin dans lequel il peut certes y avoir un taux de sucre important mais contrebalancé par une acidité qui équilibre le tout et rend le vin tout simplement… buvable et bon ! J’ai déjà goûté des vins qui possèdent un taux de sucres résiduels très important et pour autant la sensation de sucré n’est pas si forte.
Tu as des exemples ?
J’ai envie de rappeler qu’aujourd’hui un bon vin sucré est un vin où ça n’est pas l’alcool et le sucre qui ressortent en premier. Lorsqu’ils sont bien faits, ce sont des vins qui présentent les parfums les plus beaux et complexes – on pourrait limite ne faire que les sentir tellement c’est agréable.
Pour donner quelques exemples, les Jurançons et Pacherenc du Vic Bilh sont des vins liquoreux qui possèdent naturellement une acidité qui leur apporte de la fraîcheur. Les bons vins moelleux de la Loire (vouvray, montlouis, coteaux-du-Layon) sont aussi des modèles de finesse et d’équilibre.
Les vendanges tardives alsaciens sont marqués par des palettes aromatiques atypiques et se font de plus en plus rares. Quant aux plus connus des vins sucrés (sauternes, montbazillac, etc.), ils ont énormément évolué ces dernières années avec des profils de vins plus frais et légers, tout en gardant leur caractère authentique et puissant.
En bref, il y a des choses merveilleuses à (re)découvrir et je vous invite à égayer votre curiosité avec ces vins. Ainsi à Noël cette année, c’est vous qui servirez le vin à Papi.
ALSACE |
BORDELAIS |
SUD-OUEST |
JURA |
LOIRE |
Surmaturité
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Surmaturité et pourriture noble
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Surmaturité et pourriture noble
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Passerillage et vin muté
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Surmaturité et pourriture noble
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Muscat
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Sauternes
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Pacherenc du Vic Bilh
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Vin de paille
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Coteaux-du-layon
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Pinot gris
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Barsac
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Jurançon
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Etoile
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Vouvray
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Riesling
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Loupiac
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Bergerac
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Arbois
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Montlouis
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Gewurztraminer
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Sainte-croix-du-mont
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Montbazillac
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Côtes-du-jura
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Coteaux-de-l’aubance
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Cadillac
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Montravel
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Quarts-de-chaume
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Cérons
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Saussignac
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Bonnezeaux
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Panorama non-exhaustif des principaux vins demi-secs / moelleux / liquoreux de France
Anecdote : En 1847, le marquis de Luc Saluces, alors propriétaire de Château Yquem, part chasser l’Ours en Russie en ordonnant de l’attendre pour les vendanges. Retardé dans son périple du retour, ses employés bien disciplinés voient le raisin pourrir lentement. Le marquis ne se démonte pas et décide de faire quand même du vin avec ce raisin. Ainsi est né le vin liquoreux considéré encore aujourd’hui comme le plus prestigieux au monde.
PODCAST
On va déguster / France Inter / Le renouveau des vins liquoreux
Le petit muscat de Mamie à l’apéro, le verre de Sauternes avec le foie gras… Du Bordelais au Val de Loire en passant par l’Alsace, les vins liquoreux souffraient d’une image vieillotte mais recherchent un nouveau souffle.
https://www.franceinter.fr/emissions/on-va-deguster/on-va-deguster-du-dimanche-14-novembre-2021