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Alors que l’essoufflement du marché bio fait couler beaucoup d’encre, j’ai souhaité donner la parole à Charles Pernin, délégué général de Synabio, le syndicat des entreprises bio. Pour StripFood, il revient sur la définition du label mais aussi sur la démarche plus globale de la bio et les bénéfices de ces produits les plus contrôlés du marché. On aborde également ce qui freine leur développement, en particulier le prix et, peut-être, un lien avec la santé particulièrement complexe à faire. Pour lui, nous vivons actuellement un effet palier lié au choc inflationniste qui ne remet absolument pas en cause la dynamique de fond raisonnant plus que jamais avec les défis agricoles et alimentaires du moment.
Qui êtes-vous ?
Je suis délégué général du Synabio, le syndicat des entreprises bio. Nous regroupons 215 adhérents, avec essentiellement des transformateurs mais aussi des distributeurs spécialisés (Biocoop, Naturalia ou la Vie Claire) pour un chiffre d’affaire cumulé de plus de 5 milliards d’euros. Nous sommes essentiellement composés de PME dont certaines ne sont pas 100 % bio. Nous accompagnons nos adhérents sur de l’expertise métier, sur les marchés et les filières. Nous portons aussi un projet collectif qui est de promouvoir une bio cohérente, exigeante et durable.
Qu’est-ce que le label bio ?
Le label bio est un label officiel géré sous l’autorité des pouvoir publics et faisant l’objet d’un règlement européen qui en fixe les règles du jeu. Les grands principes de l’agriculture bio sont le respect de la santé des producteurs, des consommateurs et de l’environnement. Il s’agit d’une vision de la production agricole large avec un cahier des charges complet, couvrant à la fois la production agricole, l’élevage et la transformation.
Concernant tout d’abord les pratiques agronomiques, le label interdit l’utilisation d’intrants issus de la chimie de synthèse (pesticides, engrais) ou encore d’OGM. Il intègre le principe de rotation longue des cultures ou encore la fertilisation organique.
Concernant les critères sur l’élevage on peut citer l’obligation d’accès au plein air, la nourriture bio, l’encadrement des traitements vétérinaires (réduction de la fréquence des traitements antibiotiques, utilisés uniquement lorsqu’il est impossible de faire autrement), ou la prise en compte du bien-être animal. Les effluents d’élevage sont utilisés pour la fertilisation des terres.
Enfin, concernant la transformation, le label dicte une liste resserrée d’additifs (seule une grosse cinquantaine est autorisée contre, en moyenne, environ 300 dans l’agriculture conventionnelle) mais aussi d’auxiliaires technologiques ou encore d’arômes (seuls les arômes naturels sont autorisés, par exemple).
Qu’est-ce sont vraiment les bénéfices de la bio ?
Les bénéfices de la bio concernent la protection de la biodiversité, celle des écosystèmes (moindre pollution des eaux, des sols, préservation de la qualité de l’air) et la réduction des résidus dans les aliments. La bio aborde donc l’ensemble des enjeux de la transition écologique, que ce soit le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité ou encore la contamination diffuse de l’environnement (qualité de l’eau). C’est avant tout un modèle global de système agricole.
Concernant le réchauffement climatique, quels impacts a le bio sur les gaz à effets de serre ?
À ce sujet, une étude de l’INRAE a comparé 4 modes de grandes cultures pour calculer leur impact sur les gaz à effets de serre et seule la bio est fixatrice nette de carbone dans les sols, compte tenu du poids que représentent les engrais de synthèse dans le bilan carbone. La bio a donc un avantage sur cet aspect-là, qui se double d’un autre avantage indirect mis en lumière par la guerre en Ukraine. Il s’agit de notre dépendance aux engrais de synthèse, véritable faiblesse de notre souveraineté alimentaire.
Quid vraiment de l’impact sur la santé ?
La santé (avec derrière la question des pesticides mais aussi des additifs) est historiquement l’attente principale des consommateurs devant l’environnement. L’agriculture bio n’utilise pas de pesticides de synthèse donc les produits bio sont nettement moins contaminés que les produits conventionnels. Pour démontrer les effets sur santé, on peut se référer à une série d’études (Bionutrinet) observationnelles dans lesquelles on compare des consommateurs qui mangent bio vs non bio sur des incidences en matière de maladies chroniques (diabète, certains cancers…). Ces études montrent des différences significatives en faveur de l’alimentation bio, même si on ne peut pas démontrer précisément le lien de cause à effet entre alimentation bio et ces maladies.
Le bio est actuellement concurrencé par de nouvelles offres (local, autres labels…). Qu’en pensez-vous ?
Si nous cherchons constamment à progresser, on peut dire que la bio a clairement une longueur d’avance par la cohérence de sa vision globale du système agricole et alimentaire et par le fait qu’il est co-construit par les pouvoirs publics et les représentants des citoyens. Les autres démarches concernent généralement des points plus spécifiques et sont gérés par des professionnels entre eux.
Quels sont les axes de progrès du bio ?
La bio est aujourd’hui la solution la plus aboutie pour la transition agricole et alimentaire. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est parfaite car nous sommes conscients que nous devons encore progresser comme sur le sujet des emballages, où il n’y a pas d’objectif de maîtrise de l’impact, ou encore sur la question de la juste rémunération des agriculteurs. Maintenant, quand on parle de la bio, c’est plus globalement un mouvement, un système de valeurs, une manière de concevoir l’agriculture, qui va bien au-delà de ce règlement. Beaucoup d’acteurs de l’agriculture biologique ont déjà intégré dans leurs pratiques des éléments qui ne sont pas dans le label.
Serait-ce donc ce qui fait la différence entre LE label bio et LA bio ?
Il y a en effet le label bio qui est défini par le règlement et une vision d’un modèle agricole qui va au-delà, incluant les enjeux économiques (répartition de la valeur ajoutée) et l’ensemble des impacts environnementaux, qui ne sont pas tous embarqués dans le règlement (comme les emballages). La bio est un mouvement, un système de valeurs, une approche globale qui permet d’adresser l’ensemble des enjeux agricoles et alimentaires.
Quels sont les freins au développement de l’offre bio ?
Le prix reste l’obstacle principal dans un contexte de choc d’inflation qui freine la demande. Mais il s’agit pourtant du prix de la qualité car bien se nourrir a un prix. Il me semble indispensable de sortir de la logique destructrice des prix bas, d’autant plus que d’autres leviers existent pour contrôler le budget alimentaire, comme la lutte contre le gaspillage ou le rééquilibrage entre la part des protéines animales et végétales.
Le bio est-il aussi concerné par la défiance ambiante ?
Personne n’est épargné par la défiance mais la bio apporte un niveau de garantie très fort via un règlement officiel, une mise en œuvre du contrôle supervisée par des autorités (DGRRCF et INAO en France), des contrôles effectués par des tierces parties, une fréquence annuelle des contrôles et un système de traçabilité extrêmement précis. Les produits bio sont donc les produits alimentaires les plus contrôlés sur le marché.
Alors que la santé est l’attente principale, n’est-ce donc pas plutôt le frein principal au développement de la bio ?
Encore une fois, il y a de nombreuses études qui convergent dans ce sens avec des signaux forts mais nous avons du mal à nous faire entendre. Par ailleurs, traiter la bio de lobby, alors que ces études sont totalement indépendantes, relève du pur délire. Mais ce n’est pas la perte de confiance sur la santé qui nous pénalise à court terme, c’est bien la question du prix.
Face à une offre qui a fortement augmenté, n’y a-t-il pas un effet ciseau avec la production ?
Le choc inflationniste inédit que nous vivons modifie les tendances de fond qui étaient là depuis 15 ans. Pour moi, il s’agit d’un palier de croissance lié à ce choc externe. Les limites de notre système agricole et alimentaire restent toujours le sujet de fond de notre époque. La bio va continuer à se développer car elle est en avance et elle résonne avec les défis du moment (transition écologique, souveraineté et indépendance, besoin d’une alimentation plus saine). Il faut donc miser sur les acquis de l’agriculture biologique pour transformer le système alimentaire et agricole.
Peut-on vraiment concilier alimentation de masse et qualité, et éviter ainsi l’accélération de la fracture alimentaire ?
Rendre accessible une alimentation de qualité est avant tout une question de politiques publiques afin d’aider les acteurs (agriculteurs, entreprises) à investir, innover, créer des filières, ce qui n’est pas encore le cas. Aujourd’hui, nous ne payons pas le coût réel de notre alimentation car nous devons financer de façon indirecte des impôts pour dépolluer l’eau, traiter des problèmes de santé… Il faut par conséquent clairement orienter les subventions pour accélérer cette transition.