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Lors de la 26ème édition du salon du chocolat de Paris, il y avait de quoi se régaler !
Certes, la COVID a provoqué de nombreux désistements par rapports aux éditions habituelles – de nombreux acteurs étrangers n’ont pas pu venir, et quelques absences remarquées comme la maison BERNACHON, Patrice CHAPON, Jean-Paul HEVIN ou encore la Chocolaterie MORIN – mais le plaisir était intact ! Quel bonheur de pouvoir à nouveau déambuler et déguster presque comme si de rien n’était…
En amateur passionné, Laurent Meudic tient notamment à jour la CARTE DES CHOCOLATIERS BEAN-TO-BAR FRANÇAIS sur sa page Chocolat, le saviez-vous ?
Qu’est-ce que le chocolat bean-to-bar ?
Laurent MEUDIC vous explique tout dans cette précédente interview pour StripFood.
En partenariat avec StripFood, profitant de ce rendez-vous incontournable qu’est le salon du chocolat de Paris, il a interrogé différents acteurs qui nous livrent leur regard autour de 3 grands thèmes :
– les goûts des consommateurs,
– le marché et ses enjeux,
– l’évolution du métier de chocolatier.
CHOCOLATERIE ROBERT MADAGASCAR – ALEXIA RABEARIVELO
« Planteur Chocolatier » fondé en 1940, l’entreprise familiale possède aujourd’hui 1.700 hectares de plantations sur son île, faisant d’elle l’un des rares opérateurs « Tree to bar » de la planète (maîtrise de l’arbre à la tablette). Les plantations se situent au nord, dans la célèbre vallée de Sambirano, et la chocolaterie se trouve dans la capitale, Tananarive. En France, ils vendent à L’ATELIER C sur Paris, à de nombreux distributeurs dans l’hexagone, ainsi qu’en ligne.
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
En France, les clients sont friands de tablettes aux parfums exotiques et naturels. Ils veulent toujours davantage de diversité et s’intéressent aussi aux chocolats les moins sucrés : notre chocolat 100% est d’ailleurs l’un de nos best-sellers…
Ensuite, comme les consommateurs demandent un maximum de traçabilité, il est clair que le fait de travailler nos propres cacaos est un réel avantage.
…SUR LE MARCHÉ ?
Le développement des chocolatiers bean-to-bar permet d’assurer une meilleure rémunération pour les planteurs, ce qui va faire augmenter la valeur du cacao. Et c’est une excellente chose ! Car cela entraîne aussi une élévation globale de la qualité des cacaos proposés sur le marché.
De même, cela pousse les Industriels à réfléchir sur leur politique d’achat.
Notre approche est un peu différente toutefois, puisque nous militons pour réaliser un produit fini dans le pays producteur, afin de laisser toute la valeur ajoutée sur place.
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
On constate que le mouvement bean-to-bar n’est pas qu’une mode, mais une réelle tendance de fond qui s’installe.
Ensuite, que ce soit au Brésil, au Pérou ou en Asie, beaucoup d’initiatives naissent au sein même des pays producteurs de fèves et nous pensons que ça va continuer de se développer. Peut-être même que les acteurs européens vont finir par installer leurs chocolateries directement sur place, au plus près des plantations ?
Vincent GUERLAIS
Parti de zéro il y a 25 ans, possédant désormais 6 boutiques autour de Nantes +1 au Japon, il rêvait depuis longtemps de maîtriser la fabrication du chocolat « bean-to-bar », pour se rapprocher du produit brut, des plantations. C’est chose faîte depuis 2018. Au-delà des tablettes de pures origines, VG propose de nombreuses créations en clin d’œil à sa région d’origine.
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Les clients sont de plus en plus connaisseurs, parlent d’origines, recherchent les cacaos les plus typés, demandent comment c’est fabriqué… Ce phénomène a déjà plusieurs années, mais la COVID a sans nul doute renforcé ce besoin de transparence.
Ce que je remarque aussi, c’est que les codes sont totalement remis en question : il n’y a plus les mangeurs de noir d’un côté et de lait de l’autre. Désormais, avec le nivellement par le haut de la qualité de tous les types de chocolats chez les artisans, les mêmes qui consomment habituellement du chocolat noir à fort pourcentage de cacao, n’hésitent plus à se jeter sur une gourmandise de praliné ou lactée…
…SUR LE MARCHÉ ?
Systématiquement en temps de crise, le chocolat est considéré comme une valeur « refuge », un produit de réconfort. Et comme les gens ont moins dépensé pendant un certain temps, ont moins voyagé, ils se sont lâchés sur nos chocolats !
Et nous constatons une augmentation régulière de la vente de chocolats en tablettes, que ce soit en France ou au Japon !
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
Le mouvement bean-to-bar qui est en marche en France, avec ce besoin d’agir concrètement pour l’amélioration de la qualité des cacaos et de la vie des planteurs, est un changement profond qui n’est pas près de s’arrêter !
Et même s’il reste encore beaucoup de chemin avant de pouvoir parler de chocolat éthique chez les industriels, ils vont inexorablement devoir s’adapter eux aussi aux nouvelles demandes des consommateurs, et devoir monter en gamme.
Et maintenant que les savoir-faire se complexifient, que les fabricants de toutes tailles se multiplient, sans doute serait-il nécessaire d’établir une terminologie, des chartes permettant aux consommateurs de les distinguer selon leur savoir-faire… On a lu ici « cacaofèvier« , là « chocofèvier« , de notre côté il nous arrive d’utiliser le terme de « cacaofacture« .
Maison PARIÈS – Céline MARTIN-PARIÈS
Avec ses 8 boutiques (6 en pays basque, Bordeaux & Paris), difficile de se promener dans le pays basque sans croiser un passant arborant le célèbre petit sac orange vif de cette maison familiale, qui est une véritable institution, labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant. Connue pour ses innombrables spécialités comme son fameux gâteau basque, ses tourons ou ses macarons, la Maison Pariès s’apprête à innover encore en intégrant dans quelques semaines dans son atelier la fabrication de chocolat de la fève à la tablette (bean-to-bar).
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Originaires d’une région fière de ses traditions et de ses origines, les goûts localement sont assez stables, autour des valeurs sûres de la maison. C’est très différent dans notre boutique de Bordeaux et encore davantage sur celle de Paris, où l’on constate que les clients sont beaucoup plus audacieux et curieux de découvrir les nouveautés.
…SUR LE MARCHÉ ?
Les clients nous questionnent toujours davantage pour savoir ce qu’ils mangent, comment et où c’est fabriqué… Et alors la COVID a renforcé ce besoin de transparence à tous les étages, pour savoir où nous nous fournissons, etc… Cela a fini de nous convaincre que nous devions encore et toujours nous démarquer. Il y a quelques années, nous avons planté plusieurs hectares de noisetiers pour disposer de notre propre production, et très bientôt, nous fabriquerons nos chocolats bean-to-bar !
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
Nous avons été fiers d’être chocolatiers en utilisant de la couverture (ndlr : chocolat fabriqué par un intermédiaire spécialisé), qui est un métier honorable, et nous le serons encore davantage en fabriquant notre propre matière chocolat.
Devenir bean-to-bar est une manière d’allier modernité et tradition finalement : revenir aux sources du produit !
LES COPAINS DE BASTIEN – Arnaud NORMAND
Jeune pâtissier et chocolatier, il a déjà un CV long comme le bras : Marcolini en Belgique, Le Fouquet’s, Lenôtre, MAROU au Vietnam, il forme des pâtissiers et des chocolatiers au Qatar, aux USA, à Grenade ou en Chine… Pointilleux à l’extrême, il vient de co-fonder avec Stéphane PETILLON LES COPAINS DE BASTIEN – chocolaterie bean-to-bar basée à Paris. Ils se sont donné pour mission de réinsérer des personnes sorties du système suite à un incident de parcours, pour leur permettre d’obtenir un diplôme et de pouvoir rebondir. Avec une boutique sur Paris, il cherche des distributeurs pour leurs chocolats.
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Pour la plupart des consommateurs, les goûts non formatés représentent encore une découverte. Nous avons donc à fournir un gros travail d’éducation des palais pour leur apprendre à détecter la complexité des arômes.
…SUR LE MARCHÉ ?
Les articles de presse qui soulèvent régulièrement les risques de pénurie ne concernent pas les cacaos de haute qualité tels que ceux que nous utilisons pour fabriquer nos chocolats. Tant qu’il y aura des acheteurs exigeants gustativement, prêts à payer un prix juste, nous trouverons des planteurs pour nous fournir des fèves de cacao de qualité.
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
A mon niveau, je constate le manque de formation et de savoirs sur le cacao. Le seul moyen d’apprendre est de chercher par soi-même et de passer dans différentes maisons qui maîtrisent un certain savoir-faire.
Et dans le même temps, le mouvement bean-to-bar explose partout dans le monde et nous n’en sommes qu’au début : avec la COVID, de plus en plus de salariés veulent changer de vie, de carrière et s’intéressent à des métiers de passion…
Après, sous l’impulsion des puristes et des « SANS » dans tous les domaines de l’alimentation, des segmentations se forment au sein des chocolatiers bean-to-bar : sans lécithine, sans ajout de beurre de cacao, non désodorisé, sans vanille etc… Pour moi, ces sujets sont secondaires ! Ce qui compte, c’est que le processus de fabrication soit respecté, de la fève à la tablette, et chacun peut ensuite conserver sa liberté en jouant avec ses propres recettes.
20°NORD 20°SUD – Mélanie PAULAU
Chocolatière en Vendée, membre de Bean-to-bar France. Après avoir co-fondé Maison R&M, elle décide de voler de ses propres ailes en démarrant une nouvelle aventure courant 2021 : 20°Nord 20°Sud, décrivant les latitudes autour de l’équateur où s’épanouissent les cacaoyers. Engagée, elle défend son métier avec passion, avec éthique et gourmandise.
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Depuis notre lancement il y a quelques mois, nous passons beaucoup de temps à expliquer notre savoir-faire et nous constatons que beaucoup de pédagogie reste à faire. Malgré tout, les clients sont prêts pour des chocolats plus complexes et plus typés, et se laissent généralement convaincre après dégustation. On s’éloigne enfin de la standardisation !
…SUR LE MARCHÉ ?
Il est bien probable que nous soyons arrivés au début de la fin du système intensif, avec la prédominance mondiale de la Côte d’Ivoire et du Ghana.
Bien sûr, restent les cacaos hybridés portés par la grande industrie, type « CCN51 » ou « Mercedes », qui apportent des rendements de production plus importants et plus rapides que les variétés natives, mais qui menacent la diversité des profils aromatiques.
Mais globalement, la demande de cacao de qualité continue de croître.
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
On peut regretter que dans les organismes de formation traditionnels français, les jeunes n’apprennent pas à fabriquer le chocolat depuis la fève, ni à comprendre le profil aromatique d’un cacao, d’une origine, de l’impact d’une bonne ou d’une mauvaise fermentation, d’une torréfaction peu ou trop poussée… C’est une véritable faiblesse dans notre système !
Pour autant, la vague des chocolatiers bean-to-bar va continuer à déferler, entraînant avec elle une évolution des mentalités chez les consommateurs. Par conséquent, les industriels seront contraints de réagir en se tournant vers des cacaos de qualité supérieure, plus intéressants aromatiquement.
MANUFACTURE DUPLANTEUR : Dominique FLAVIO
La chocolaterie est la seule située dans le centre historique de Grasse, depuis 6 ans. Dominique FLAVIO y travaille des cacaos en BIO et possède même sa propre plantation de cacaoyers de 15 hectares en Sierra Leone, ce qui lui donne la possibilité de gérer toute la chaîne de production de l’arbre à la tablette (« tree-to-bar »).
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Les goûts des clients ont beaucoup évolué ces 5 dernières années : ils recherchent davantage de complexité, de terroir, ils sont de plus en plus connaisseurs. Et comme la demande de cacaos rares augmente partout, pas seulement en France, on en vient à trouver des tarifs sur certaines origines (ex : Chuao au Venezuela) qui dépassent le seuil du raisonnable ! Du coup, on refuse de s’approvisionner sur ces origines.
…SUR LE MARCHÉ ?
La demande de chocolat issu du commerce dit « équitable » est forte. Maintenant, les tarifs pris en compte devraient être calculés « bord champs », car on trouve sur le marché de nombreux chocolats labellisés qui, pourtant, ne paient pas suffisamment les producteurs eux-mêmes. Ce sont les intermédiaires qui se servent au passage…
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
Le développement des chocolatiers bean-to-bar est une excellente nouvelle. A l’instar des micro-brasseurs, il faut s’attendre à rapidement en trouver au moins un dans chaque ville de France…
De notre côté, nous avons choisi de développer notre chocolat en couverture à destination des professionnels. Par exemple, nous produisons sur-mesure celui pour le célèbre Chef Mauro COLAGRECO (3* Michelin – élu meilleur restaurant du monde au Mirazur) qui l’utilise pour ses desserts.