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S’il y a un produit alimentaire qui assume sa diversité, c’est bien le vin. En effet, on présente souvent le vin comme un produit issu de son terroir – à chacun d’aller apprécier ou non les saveurs, les styles, les couleurs. Comme si c’était en fait plus au consommateur de s’adapter au produit que l’inverse.
Pour autant, ce paradigme évolue dans un contexte où le consommateur de vin devient plus averti, plus exigeant et international. Il est aujourd’hui de plus en plus difficile de ne pas tenir compte de ses goûts et des tendances pour concevoir les vins sans pour autant renier leurs identités.
Pour explorer ce sujet, j’ai convié Romain Leycuras qui nous éclaire sur la crise des vins de Bordeaux, syndrome d’un éloignement entre le produit et ses consommateurs.
Cette contribution se poursuivra par l’interview d’Olivier Dauga (lien à la fin de l’article) créateur de la société « Le Faiseur de Vin ®». Celui qui conseille depuis trente ans vignerons, coopératives, marques et enseignes en France et à l’étranger pour élaborer les meilleurs vins possibles, tout en restant en adéquation avec les goûts des consommateurs, défend une vision humaniste et respectueuse de la nature du vin. Il livre à StripFood les tendances majeures de consommation, le changement de vision des nouvelles générations, ainsi que les indispensables clefs pour permettre au secteur de se réinventer et rapprocher davantage ceux qui font et ceux qui boivent. Inspirant !
Stéphane Brunerie
Attention, âmes sensibles s’abstenir, tant le sujet est soumis à émois, controverses, postures.
Les vins de Bordeaux, quoi de plus « dimanche midi compatible » que cette bouteille aux larges épaules qui trône fièrement sur nos tables pour partager un repas en famille ! Oui, les vins de Bordeaux représentent un beau morceau du patrimoine culinaire français.
Cette couleur sombre, ses parfums caractéristiques, les noms de châteaux… autant de composantes qui font la renommée mondiale de ces vins.
« LE bordeaux » : derrière ce nom se crée une image forte, image qui joue un rôle prépondérant dans nos façons de consommer. Aujourd’hui, force est de constater que l’image des vins de Bordeaux a pris un sacré coup et cela a même un nom, le « bordeaux bashing ».
En clair, en France – et j’insiste sur ce point – les vins de Bordeaux ont moins la cote. Ils sont souvent boudés dans la plupart des restaurants et chez les cavistes branchés où les influenceurs du vin aiment vous poster leurs photos Instagram. On leur reproche d’avoir tous les mêmes goûts, d’être ennuyeux, de ne pas évoluer, d’initier trop timidement la transition écologique… bref de ne pas répondre aux attentes du moment. Aussi, les sommeliers et autres dénicheurs ont perdu leur curiosité vis-à-vis de Bordeaux, leur préférant d’autres régions.
Non, ce n’est peut-être pas exagéré de dire que « Bordeaux » s’est reposé sur ses lauriers ces dernières années pour séduire les nouveaux consommateurs du vin. Certains diront que la faute est à imputer aux « arrogants grands crus » (l’élite des vins à la renommée mondiale) qui, grâce à leurs actionnaires et propriétaires richissimes, ont fait et défait toute l’image d’une filière. D’autres diront que ce sont justement les « non-grands crus » (non, je n’aime pas dire « petits bordeaux ») qui, à force de vouloir copier leurs élites, n’ont pas su assumer leurs identités, ont uniformisé leurs goûts, etc.
LE GRAND ECART DES VINS DE BORDEAUX :
2 exemples caricaturaux mais pourtant bien réels ! Ces deux vins revendiquent l’identité « Bordeaux », difficile d’y voir une quelconque cohérence pour le consommateur. D’un côté, la campagne de pub Lidl qui sonna comme un tremblement de terre dans la filière (1,69 euros c’est ce que coûte la bouteille vide, le bouchon et l’étiquette) et de l’autre à l’inverse, on ne parle même plus de vin pour boire mais d’investissement. La preuve on ne présente même plus la bouteille en photo, l’étiquette suffit car c’est cela que l’on achète sur ce marché
Eh bien peut-être y a-t-il du vrai dans tout cela, mais si je dois retenir une chose, c’est l’éloignement ou le manque de proximité entre les vins de Bordeaux et les consommateurs.
Combien de fois ai-je pu me dire « allez, viens, on va faire des caves ce week-end au bord des châteaux de la Loire » ou « la route des vins d’Alsace c’est magique »! Mais personne (mais alors vraiment personne) ne m’a jamais dit « allez, viens, on va pousser la porte d’un château bordelais et passer un moment convivial avec son propriétaire, un conseil d’administration d’un établissement bancaire ». Oui, c’est quelque peu caricatural mais faites le test : roulez en Gironde, vous trouverez assez peu de panneaux sur le bord des routes du genre (cave ouverte, dégustation, vente au domaine, arrêtez-vous chez nous, bon sang !) par rapport à d’autres régions précédemment citées. En fait, culturellement, il n’a que trop rarement été de coutume de recevoir directement les clients à la cave (ou dans le chai comme on dit à Bordeaux), comme cela s’est toujours fait dans la plupart des autres régions viticoles françaises.
Mimi, Fii, GlouGlou par Michel TOLMER (Editions de l’Epure)
Cela ne date pas d’hier. Bordeaux a su, dès le XVIIIe siècle, créer « la place de Bordeaux » (en clair, organiser un système de commercialisation remarquable de ses vins – le Rungis international du vin – où l’on croisait du beau monde : négociants, acheteurs, courtiers, dégustateurs… mais surtout pas de consommateurs). Aujourd’hui ce « Rungis du vin » n’existe plus (c’est devenu les quais de Bordeaux, haut lieu de la balade et du bon vivre Bordelais) mais le réseau de commercialisation (la place de Bordeaux) reste le même et, je vous rassure, le consommateur n’y est toujours pas.
Dans une époque où les portes s’ouvrent grâce aux nouveaux réseaux de communication et où la transparence est de mise, le côté prestigieux et austère du château donne une impression d’inaccessibilité. Inversement, ceux qui font le vin n’ont que trop peu de moments pour prendre connaissance des goûts, écouter ceux qui le boivent, etc.
Mais cela bouge, évidemment. Grâce à la renommée, l’attrait touristique très fort pour la région et ses moyens économiques, les vins de Bordeaux ont su ces dernières années mettre le paquet sur l’œno-tourisme, justement pour ouvrir des portes.
Bordeaux, c’est 6 000 viticulteurs et, croyez-moi, il y a et a toujours eu des vrais vignerons qui savent faire du vin et parler de leur métier avec passion.
Contrairement à ce que l’on peut aujourd’hui penser avec ces phénomènes de bashing, il y a aussi d’excellents rapports qualité-prix à Bordeaux, des vins de toutes les couleurs accessibles à tous pour tous les prix (des bouteilles entre 8 et 12 € d’un niveau remarquable et même de fameux grands crus classés ou crus bourgeois restent pour certains d’entre eux d’un excellent rapport qualité -prix).
Restons curieux, le renouveau des vins de Bordeaux est en cours…