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Tous pourris ! C’est un peu le cri ultime de défiance qui résonne dans notre époque. On a perdu la confiance envers les politiques, les institutions, les médias, les entreprises, les marques… Mais au delà, 55% des français pensent que dans la vie on ne peut plus faire confiance à la plupart des gens (Ipsos, 2018). Bref, un sentiment de défiance se généralise. Interpellant.
Sans tomber pour autant dans un angélisme tout aussi caricatural, ce thème du déclinisme n’est pas franchement nouveau et a toujours figuré à une bonne place au coeur des discours les plus populistes, en particulier en politique.
La tentation du bashing alimente la défiance
Le populisme se définit le plus souvent dans un rapport entre le peuple et les élites. Selon Daniele Albertazzi et Duncan McDonnell, le populisme est une idéologie qui « oppose un peuple vertueux et homogène à un ensemble d’élites et autres groupes d’intérêts particuliers de la société, accusés de priver (ou tenter de priver) le peuple souverain de ses droits, de ses biens, de son identité, et de sa liberté d’expression ». Mais plus globalement comme l’écrit Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès :
« Le populisme est une attitude politique qui consiste à diviser la société en deux »
Du populisme alimentaire
En alimentaire, tout comme en politique, les auteurs des plus beaux scandales et autres fraudes peuvent se prévaloir d’avoir une immense responsabilité et d’avoir ainsi plongé notre époque dans la suspicion généralisée. Mais il est vrai qu’il en faut peu pour être tenté de mettre tout le monde dans le même panier.
Cette semaine, on en a encore vu un sacré bel exemple d’approche populiste en matière alimentaire avec le syndicat des entreprises bio qui signe une pub pour le moins détonante, avec pour slogan « Pour certains le bio est juste une étiquette. Pour nous c’est une éthique ». La diffusion de ce film reste plutôt confidentielle car on le retrouve au cinéma et sur les réseaux sociaux.
Grâce à un jeu d’acteurs hors pair, le film fustige l’hypocrisie des enseignes de distribution généralistes accusées de faire du bio uniquement pour de l’argent mais aussi pointées du doigt pour les attitudes dissonantes entre les discours et les actes.
Cette publicité n’est pas sans rappeler en miroir la publicité Leclerc qui partait en croisade à l’époque contre le réseau des pharmacies en interpellant le consommateur. D’ailleurs, Michel Edouard-Leclerc en réaction affirme dans le magazine Linéaires au sujet de la publicité du syndicat bio : « « J’ai bien aimé le film. C’est une parodie qui m’a rappelé ce que j’ai pu faire à l’encontre des pharmaciens, par exemple. Je le prends donc au second degré ».
Les discours moralisateurs, un terrain hyper glissant
Il y a aurait certainement beaucoup de choses à dire sur le fond de ce sujet et j’ai déjà eu l’occasion d’en parler sur Stripfood : Manger bio aura t-il encore du sens demain ? Si je reste persuadé que le bio ne peut être réservé à une élite (tout comme le principe de mieux manger de façon plus globale), il y a un véritable risque à le dénaturer en cherchant à le massifier mais attachons nous plutôt ici à la forme utilisée.
On est bel et bien au coeur d’un discours aux ressorts populistes qui exploite la défiance ambiante en pointant du doigt la sincérité et l’exemplarité des protagonistes et en cherchant à opposer deux modèles (le vrai du faux bio, mais également l’agriculture conventionnelle vs l’agriculture bio).
Si l’on met en abîme un instant ce discours, il conviendrait alors pour tester l’ultime solidité de ce raisonnement de savoir si les auteurs qui propulsent ce discours ou l’applaudissent sont tous à leurs niveaux non seulement toujours parfaitement sincères mais également exemplaires autrement dit si eux aussi peuvent se prévaloir d’une morale à toute épreuve. Il est tout de même permis d’en douter même si personne n’aura l’idée d’aller fact checker en les suivant dans leur quotidien.
Pour conclure, il est permis de se demander si la véritable morale de cette histoire n’est pas plutôt comprise dans cette citation de Mustapha Radid, qui à défaut d’être extrêmement délicate a le mérite d’être ultra pertinente :
Quand le singe veut monter au cocotier, il faut qu’il ait les fesses propres.
Ce que j’ai bien aimé :
- l’humour et le jeu fin de l’acteur;
- la mise en scène à propos du thème du green-washing qui hante terriblement notre époque.
Ce que je n’aime pas :
- la vision caricaturale et le ressort populiste un peu trop facile;
- la thématique de l’opposition qui nourrit un peu plus une société fracturée et nourrit le thème du déclinisme car en la matière on avait déjà agriculteurs contre écolos, parigots contres ruraux, industriels vs artisans… A la fin, il y a fort à parier qu’il n’y est pas de grand gagnant aux yeux d’un consommateur déjà fortement désabusé par le système alimentaire dans sa globalité. Dommage quand on sait qu’une enseigne comme Biocoop, particulièrement reconnue pour ses engagements ultra pointus, a bien d’autres choses à raconter pour valoriser sa différence;
- la question finale de la crédibilité que pose cette posture moralisatrice, d’autant plus quand on sait que par exemple Naturalia, à l’origine entre autres de cette campagne, appartient à l’enseigne de grande distribution Monoprix appartenant elle même au groupe Casino.
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