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Tu aimes bien ça ?
Je ne sais pas, je n’y connais rien !
Cette expression, nous sommes nombreux à l’avoir entendue ou utilisée lors de moments de convivialité. C’est en général, ce que votre ami, convié à l’apéro, vous répond lorsque vous lui demandez son avis sur un vin !
C’est drôle, car moi, je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire cela quand je lui sers un verre de jus d’orange, une bière, un poulet. Mon ami est-il dénué de sens, de goût voire même de confiance ? De quoi peut-il bien avoir peur au moment de répondre à ma question sur le verre de rouge que je viens de lui servir ?
Cordialement. https://t.co/r9ZDscumVn
Il est en effet intéressant de se poser la question de cette pression sociale, liée probablement à un héritage culturel, qui empêche le plus grand nombre d’affirmer ses préférences lorsque l’on parle de vin. Car il est rare en revanche de trouver des produits où le néophyte culpabilise d’être ignorant.
Mon but n’est pas de retracer l’histoire du vin et du rôle qu’il joue dans les civilisations mais plutôt de s’interroger sur les raisons qui nous poussent en France à ne pas savoir parler de vin, simplement.
Un tout petit peu d’histoire… bien française.
La France, comme d’aucuns de ses voisins latins, est un pays peuplé de buveurs de vins.
Le vin a accompagné notre civilisation dès ses débuts, de l’époque du puissant commerce à l’époque gallo romaine, puis à celle du sang du Christ. D’essentiel au Moyen Âge (où l’eau était impure et vectrice de maladies), il est devenu un « complément » alimentaire qui donnait force et courage aux paysans et ouvriers jusqu’à encore une cinquantaine d’années.
Mais le vin est aussi (et ce depuis toujours) l’une des boissons de prédilection des élites qui l’utilisent comme un formidable marqueur de classes sociales. Par exemple, il a été primordial pour la bourgeoisie de ne pas boire les mêmes vins que ceux de la paysannerie et de la classe ouvrière. Les grands crus de bordeaux, de bourgogne et de champagne leur ont alors été réservés. Et c’est aussi une histoire d’hommes, de bonshommes, de mecs !
On prête le droit de juger à celui qui sait !
Allez, rien de mieux qu’un petit exemple : nous avons pour beaucoup connu ce moment où le patriarche de la famille ouvre la bouteille de bordeaux comme un cérémonial lors d’un bon repas de famille (ce même patriarche qui goûte le vin au restaurant puisque rarement le serveur va proposer à mamie de goûter !). À l’inverse, rien n’empêchait ce même patriarche de boire son cubi coupé à l’eau la semaine. Certes c’est une partie de l’histoire française mais on prête le savoir, le droit de goûter, le droit de juger à celui qui sait (ou dit et croit savoir).
Le contre exemple du nouveau monde.
J’insiste pour dire que cette histoire est bien française (bon, d’accord, en Italie ou en Espagne on pourrait raconter la même chose) et souhaite vous parler du nouveau monde.
Vous savez, ces vins du nouveau monde, ceux qui ont outrageusement copié les Français, ces Chiliens, Argentins, Californiens et autres Australiens (bon l’histoire oublie que ce sont pour beaucoup des Français qui sont partis à la conquête de nouveaux territoires à la fin du XXe siècle mais passons).
Sans rentrer dans le débat de ce que sont les vins du nouveaux monde (vins de cépages plus faciles d’accès, taillés pour plaire au consommateur international, contrairement aux vins d’AOC des Français, Italiens et Espagnols fiers de leurs terroirs, histoires et savoir faire mais plus complexes à appréhender et connaître) il est intéressant de regarder comment ils sont consommés par leurs autochtones.
Par exemple,
- En Australie, ce sont les femmes qui se sont appropriées la consommation du vin alors que ces messieurs restaient à la bière.
- Aux USA, notamment en Californie, terre de prédilection des vins américains, il suffit de faire référence à notre culture cinématographique ou télévisuelle pour comprendre par exemple grâce aux « nanas » de Desperate Housewives ou de Sex and the City que les femmes ne passent pas un apéro sans leurs verres de chardonnay ou de pinot noir alors que les hommes américains sont abonnés au scotch pour les WASP ou au Cognac pour l’élite noire.
Bon, dans les deux cas (et c’est valable en France aussi), on parle de femmes de classes moyennes et supérieures.
Du vin pour le consommateur : moins mais mieux !
Un autre constat : le vin de cubi de papi c’est fini !
Le secteur du vin depuis une cinquantaine d’année subit des révolutions permanentes liées aux tendances de consommation et se rapproche des consommateurs :
- Des vins faciles d’accès : aujourd’hui les rouges fruités ou les blancs secs aromatiques se vendent très bien et se consomment en dehors des repas rompant avec cette croyance que le vin rouge dans notre culture doit être réservé au repas.
- Des étiquettes plus « Rock n Roll », esthétiques ou pédagogiques (qui s’opposent au style des bordeaux devenu désuet).
- Des partis-pris et revendications qui s’expriment (la tendance des vins naturels, bio, de la biodynamie).
- Des histoires d’hommes et de femmes.
En contre exemple on pourrait parler du mouvement du « Bordeaux Bashing ». Le plus grand vignoble mondial, reposant sur sa notoriété et ses lauriers est en effet en crise économique aujourd’hui. Cela repose, non pas sur une crise de qualité, mais sur une crise de valeurs. C’est peut-être un peu simpliste mais Bordeaux a fait du bordeaux et continue de faire du bordeaux coûte que coûte sans s’intéresser à l’évolution des attentes des consommateurs.
Bien d’autres régions françaises et du monde ont ouvert les portes, les bras et le cœur aux consommateurs par la simplicité d’accès, l’originalité des goûts ou encore les histoires à raconter.
Le vin fait partie de ces « choses » sur lesquelles il y a tant à raconter. On peut parler d’histoire, de civilisation, de religion, de sociologie, de tendances de consommation, de géographie, de géologie, de climatologie, d’œnologie et bien plus encore.
Cette complexité de sujets en fait son atout majeur, mais n’oublions pas que c’est avant tout une boisson issue de la fermentation du raisin ( et c’est mieux quand ça n’est QUE ça d’ailleurs), qui a pour but de donner du plaisir à ceux qui le boivent (charge à vous de savoir où vous trouvez le plaisir).
Ce n’est pas pour autant que les élites, passionnés ou professionnels n’ont pas le droit de parler avec leur jargon, de rester dans leur entre-soi. Cependant, les néophytes ont tout autant le droit de ne pas avoir d’avis, de ne pas vouloir tout savoir ou tout connaître mais juste d’être libres d’aimer ou pas et surtout de le dire.
Donc à l’apéro , à la phrase « tu aimes bien ça ? », la réponse est « oui » ou « non », tout simplement ! C’est finalement accessible à tous, non ?
Les liens de Romain :
- Un livre ? « Le petit livre du sommelier » de Gwilherm de Cerval
- Un film ? Mondovino de Jonathan Nossiter (2003)