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La jeune garde de la cuisine actuelle ne jure que par la qualité des produits et vénère ses fournisseurs. Un juste retour des choses, diront certains, après une période de starification excessive des cuisiniers. Les chefs en vogue sont désormais nombreux à revendiquer le rôle d’humble maillon final de la chaîne alimentaire. Au fait de sa popularité au début des années 2010, le concept de « cuisine de produits », avatar contemporain de la cuisine du marché, a instillé l’idée qu’un quasi non interventionnisme culinaire pouvait accoucher de plats merveilleux. Un malentendu néfaste provenant notamment de la posture de chefs de talent qui, tandis que certains confrères adeptes de la cuisine dite moléculaire jouaient les apprentis sorciers, adoptèrent la posture inverse du retour à la nature. De la « naturalité » d’Alain Ducasse à la conversion végétale de l’ex-volailler Alain Passard, il n’y a qu’un pas.
Des chefs talentueux glorifient la main du maraîcher ou de l’éleveur et s’excusent presque d’exister
Souvent prise au pied de la lettre par la nouvelle génération, cette posture vide malheureusement la profession de sa substance. Concrètement, trop de tables s’autorisent aujourd’hui des aberrations comme proposer des petits pois crus simplement servis dans leur gousse avec un trait d’huile d’olive sans le moindre assaisonnement. Dans le même temps, des chefs talentueux négligent la dimension technique et humaine de leur artisanat, glorifient la main du maraîcher ou de l’éleveur et s’excusent presque d’exister. Soyons sérieux : nul ne peut s’improviser cuisinier professionnel du jour au lendemain par la seule grâce du produit et encore moins proposer une cuisine d’auteur, c’est-à-dire marquée du sceau de l’individu particulier capable d’originalité sans faute de goût.
Le métier doit impérativement valoriser sa dimension humaine
Déjà abîmé par les concours culinaires télévisés déconnectés des réalités de la cuisine, par les abus et violences en coulisses dénoncés ces dernières années et les soucis de recrutement accentués par la pandémie, le métier n’a pas besoin de cette pensée magique et doit impérativement valoriser sa dimension humaine. Maîtriser une cuisson, doser un assaisonnement ou réduire un jus requièrent à la fois apprentissage des bases et sensibilité. Une cuisine sensible et qualitative évolue en bonne intelligence avec ses producteurs, dont le travail n’a lui-même rien à voir avec la wilderness (naturalité en anglais) valorisée par la doxa actuelle. À l’image du cuisinier qui construit sa carte et élabore ses plats, le paysan est celui qui façonne le paysage, l’aménage pour pouvoir s’y épanouir tout en le respectant. Tel le chef guidé par l’envie de régaler sa clientèle, il met autant de cœur que de savoir-faire à l’ouvrage.
Après ce regain d’intérêt tangible et nécessaire pour la qualité des produits et pour le monde agricole, il est plus que temps de raviver la flamme humaine derrière les fourneaux. À l’heure où les CFA peinent à faire le plein, il apparaît urgent de marteler que la cuisine n’est rien sans ses techniques transmises de génération en génération et sa créativité. Il en va du plaisir, de la fierté d’exercer ce métier et donc de son avenir. Le cuisinier n’est ni un réchauffeur, ni un faire-valoir du produit d’exception mais un artisan à part entière.
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Souhaitant faire connaissance avec un pionnier parmi ces chefs engagés, je suis allé à la rencontre du chef étoilé Éric Guérin de La Mare aux Oiseaux. Je gardais en mémoire un excellent souvenir de sa table. Celui qui essaie de créer des liens entre les hommes et la matière partage sa vision d’une gastronomie plus respectueuse des territoires, de la nature et des hommes et des femmes qui travaillent à ses côtés.