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La sauce permet de marier les mets. Ce trait d’union a le pouvoir de provoquer les émotions les plus vives, pour ceux qui en maitrisent son art. Pour explorer ce sujet fort alléchant, je suis allé à la rencontre de Rémy Lucas, psychosociologue, expert en tendances culinaires dans la restauration et Directeur associé de Cate Marketing. Pour celui qui a été à l’origine des premiers états généraux de la sauce pour IDHEA, la sauce est un élément central de l’histoire culinaire. C’est un levier d’innovation sous-estimé pour se différencier via de nouvelles offres ou de nouveaux usages.

Rémy Lucas, Directeur associé de Cate Marketing
Un rôle central depuis toujours
« La sauce, c’est le plaisir, l’identité, et parfois même la magie d’un plat » affirme-t-il. Depuis les premiers ragoûts jusqu’aux créations les plus modernes, elle transcende depuis toujours les saveurs, raconte des histoires, et reflète l’évolution de nos sociétés.

Avec son concept d’une seule proposition de plat, le célèbre restaurant l’Entrecôte s’est imposé comme une institution à Bordeaux et dans les villes où il s’est implanté. Le secret de sa réussite ? Une sauce secrète dont la recette est jalousement gardée.
Historiquement, la sauce a toujours eu une fonction essentielle : sublimer des ingrédients parfois modestes. En France, Auguste Escoffier a codifié son importance, en faisant du saucier un rôle clé dans les brigades. « La sauce est bien plus qu’un accompagnement, c’est un langage culinaire à part entière » poursuit Rémy Lucas. Aujourd’hui, selon lui, des chaînes de restauration rapide, comme Memphis ou Pokawa, l’ont parfaitement compris et misent sur leurs sauces signature pour se démarquer de la concurrence. « Pour espérer se distinguer entre la nuée d’enseignes de burgers, c’est clairement la sauce qui est capable de faire la différence » précise t-il.

En décembre dernier, l’enseigne de restauration rapide KFC a ouvert à Orlando son nouveau restaurant “Saucy”, un concept innovant et décalé qui promet de séduire les amoureux du poulet avec une offre originale centrée sur les sauces. L’idée ? Personnaliser son poulet via une sélection de pas moins de 11 sauces, soit 4 000 combinaisons différentes.
Des tendances en pleine ébullition propulsées par la restauration rapide
Les sauces évoluent. En 50 ans, elles sont passées de chaudes et mélangées dans l’assiette (comme par exemple avec le bourguignon), à simple élément graphique pour décorer les assiettes dans les années 70. Puis elles sont sorties de l’assiette et sont devenues aussi davantage froides. Aujourd’hui, elles empruntent aux cuisines du monde leurs palettes de saveurs et gagnent en sophistication, notamment sur l’axe du piquant, en particulier dans la restauration rapide, comme avec la street food.
Gamme de trois sauces inspirées du format star de l’émission YouTube Hot Ones chez McDo.

Maison Martin, Sosu, Mastari, Shilli Shally ou encore Crazy Bastard Sauces, l’offre de sauces épicées n’a jamais été aussi créative, invitant à des explorations toujours aussi sophistiquées des cuisines du monde.
Dans les bistrots ou les bouillons, on surfe plutôt sur le retour des grands classiques de la tradition, comme les œufs mimosas ou en meurette ou encore avec la sauce ravigote. Côté gastronomie, certains chefs innovent en fusionnant traditions et influences étrangères. Eric Trochon, Chef du restaurant étoilé Solstice et auteur du livre de référence sur les sauces « Le répertoire des sauces » (Flammarion) associe des bases françaises classiques à des saveurs coréennes, créant ainsi un métissage culinaire unique.

En Touraine, le jeune chef ultra créatif Ambroise Voreux « La cabane à Matelot », fabrique son garum de Loire, une sauce de poissons de Loire fermentée, cousine du nuoc-mâm, qui développe la cinquième saveur, « l’umami »
Le périmètre des sauces évolue aussi avec l’intégration de produits répondant à la même fonctionnalité, comme le houmous, le guacamole, le tarama, mais aussi les coulis de légumes. Cette quête de nouveauté répond à des attentes croissantes en termes de textures, couleurs et expériences sensorielles toujours plus personnalisées.
Pour la marque SÒSU , « Saucer, c’est kiffer ». Une approche qui conjugue plaisir et qualité pour des sauces 100% artisanales et made in France.
Un levier stratégique encore sous-exploité
Pourtant, entre la gastronomie et la restauration rapide qui ont réussi à s’emparer de ce potentiel, au milieu, dans la restauration traditionnelle, la sauce est trop souvent négligée, perçue comme un mal nécessaire. Elle est souvent positionnée comme un accompagnement standardisé et banalisé. « Les restaurateurs ne savent pas vraiment ce que coûte leur sauce ni ce qu’elle leur rapporte, » déplore Rémy Lucas. À tort : une sauce bien pensée valorise les plats, optimise les coûts, et fidélise les clients, selon l’expert. Dans un contexte où les marges se resserrent, la sauce pourrait bien devenir une clé stratégique.
Marqueur identitaire de la cuisine de Pierre Sang, l’incroyable sauce Ssamjang à base de piment coréen, de pâte de soja coréen et d’huile de sésame peut être achetée en petits pots avant de repartir. Une alléchante façon de se remémorer chez soi cette bien belle expérience gustative.
L’avenir de la sauce : au centre de l’assiette ?
Pour Rémy Lucas, les opportunités sont par conséquent immenses :
- Sublimer les alternatives végétariennes en utilisant le pouvoir de la sauce comme liant rassurant
- Revisiter les grands classiques pour se les approprier ou même créer sa propre recette identitaire
- Réinventer l’expérience culinaire en mettant la sauce au cœur des plats ou même au coeur de nouveaux concepts
- Investir les sauces sucrées, un terrain encore largement inexploré.

La marque Nod (Biofuture) revisite l’icône du ketchup. Sa recette ? « Un ketchup bio avec beaucoup de légumes et très peu de sucre. Une sauce avec des ingrédients français et sans pesticides, sans aucun additif ou autre truc bizarre à l’intérieur ».

Le Carolina Reaper est l’un des piments les plus forts au monde, reconnu par le Guinness World Records en 2013. Réservée aux amateurs de sensations fortes, Maison Martin propose la sauce Pur Cru aux piments Carolina Reaper jaunes cultivés en France.

Au SIRHA, SHO est une jeune marque créé par des chefs, qui propose des bouillons et fonds concentrés formulés à partir d’ingrédients naturels fermentés et sans additifs.
À travers cet entretien avec Rémy Lucas, je ressors conforté sur mon intuition : l’avenir est dans la sauce, mais sur un univers où les frontières traditionnelles se décloisonnement.
En espérant quand même qu’entre la restauration rapide et la gastronomie, au centre, la restauration traditionnelle s’empare du sujet. Enfin, à mon sens, gare aussi à la tentation de « cache misère ». Certains peuvent clairement y voir un exhausteur magique pour faire passer incognito une protéine de seconde zone.
Crédit photo couverture : SÒSU



