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Fière d’être la toute première femme MOF dans la catégorie boucherie, Stéphanie Hein ne s’appesantit guère sur son genre et entend faire fructifier son titre pour valoriser et moderniser son corps de métier.
Gratter l’os, travailler le cuir, les végétaux, la graisse animale pour en faire une sculpture incarnant l’évolution du sport à travers l’histoire. Ces gestes techniques ont permis à Stéphanie Hein d’intégrer le gratin de la boucherie en réussissant le concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France » (MOF), en novembre 2022, et c’est avant tout ce qui la rend fière. « Si ça peut faire changer les mentalités, susciter des vocations, inciter des femmes qui n’osent pas aller loin dans le métier à devenir cheffes de rayon ou d’entreprise : heureusement ». Selon cette ancienne comptable, le métier s’ouvrirait davantage à la gent féminine depuis une dizaine d’années déjà. La Tourangelle s’est lancée en boucherie après un stage détonateur. Le contact avec la viande, le travail des mains pour satisfaire la clientèle : tout lui plaît. Avide de mouvement, compétitrice dans l’âme et soucieuse de bien gagner sa vie, elle gravit rapidement les échelons de son artisanat jusqu’à intégrer l’équipe de France en 2019, sept ans seulement après le début de son compagnonnage.
Sur les fondamentaux bouchers et l’évolution du métier, sa vision des choses apparaît limpide. Le sens de la formule est lui aussi indéniable. « Le boucher a l’art de créer l’uniformité des choses avec la difformité de l’animal qui est unique, ça passe par l’étude de la morphologie, la connaissance parfaite du squelette et de la musculature. On travaille aussi beaucoup avec nos sens, c’est du sur mesure, en fait. » Voilà pour l’exercice de définition. Stéphanie Hein veut surtout aller plus loin et codifier la boucherie de demain, celle qui attirera le consommateur connecté en quête du meilleur prix. Celui-là même auquel on ressasse aujourd’hui qu’il doit réduire drastiquement sa consommation de viande. Ajoutées à cela les considérations contemporaines sur la souffrance animale : un vaste chantier se profile. « Il faut bien communiquer, suivre la mode, arriver à susciter de nouvelles choses comme des paniers étudiants à 10 euros équivalant à quatre repas de viande. Ce genre d’astuces permettent de renouveler le vivier de consommateur », assure-t-elle. Dans cette perspective, la puissance des réseaux sociaux lui apparaît incontournable. « Cela passe par des petites vidéos explicatives ou amusantes mettant en avant la qualité des produits et des équipes. »
En l’écoutant, on comprend surtout qu’une bonne maîtrise des fondamentaux de la boucherie et un sens aiguisé du commerce sont désormais indispensables pour renouveler le vivier de clientèle. « On ne va se mentir, les gens prennent moins le temps. Dans une grande surface, ils peuvent acheter la lessive, le pain, les légumes et la viande au même endroit ». En conséquence, l’artisan boucher d’aujourd’hui se doit d’être un bon cuisinier pour mitonner les plats mijotés que le consommateur ne prépare plus forcément à la maison. Dans le registre des morceaux à braiser ou à griller, largement plébiscités, il doit se distinguer par sa connaissance de l’animal. « Les pièces un peu longues ne coûtent pas cher, les abats ne coûtent rien. Dans toute boucherie, il y a des morceaux accessibles », insiste la néo-MOF qui innove également en proposant des pièces précuites à basse température accompagnées d’une sauce maison sous-vide.
Et si Stéphanie Hein se démultiplie, elle se montre aussi intraitable pour prêcher la bonne parole, en droite ligne de son nouveau statut de MOF. Métier revalorisé, meilleure rémunération, meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée : de son point de vue et alors que nombre d’anciens partent à la retraite sans être remplacés, la boucherie est assurément « un métier d’avenir ». Désossage, parage, épluchage, ficelage, bardage, piquage, lardage, la jeune trentenaire ne manque pas de rappeler l’indéniable richesse culturelle et gestuelle de son métier. « On peut être boucher préparateur, vendeur, itinérant, professeur, formateur, travailler avec les services vétérinaires, à l’abattoir ou l’international », s’enthousiasme-telle. L’ambassadeur de la boucherie française est une ambassadrice.