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Cuisinier de formation, Daniel Zenner dispense son savoir de cueilleur auprès des chefs alsaciens depuis 30 ans. Extraterrestre à ses débuts, en phase avec les préoccupations culinaires et environnementales du moment, cet homme sincèrement épris de nature laisse son savoir parler pour lui.
Pour comprendre Daniel Zenner, il faut d’abord passer un peu de temps dans son univers vosgien. Une fois dans son jardin et après avoir avalé les lacets et cahoté sur une route crevassée, un panorama magnifique sur la vallée de Kaysersberg s’offre au regard. Devant les nuances bleutées du crépuscule, l’apaisement s’installe et se poursuit à l’intérieur. Tout ici, à commencer par le lavabo en pierre de la cuisine, a été mis en œuvre pour préserver l’ancien. « Moi, je ne peux pas vivre sans la nature, je vis dedans. Il faut que j’entende mes sources. Je supporte de moins en moins le bruit des voitures, la pollution visuelle. Il me faut mon calme », pose ce cuisinier de formation dont la bibliothèque ne compte pas moins de 800 références.
Aujourd’hui reconnu pour son savoir-faire de cueilleur, Daniel Zenner revendique la cuisine comme passion première. Une vocation de jeunesse minée par un apprentissage à la dure – doux euphémisme – vers laquelle il est revenu par des chemins de traverses, exerçant son insatiable curiosité à travers champs et forêts. « Pour qu’un chef fasse appel à moi, il faut qu’il soit sensible à la nature et d’un haut niveau culinaire. » Humble, aussi : « Même si on a deux étoiles Michelin, on se forme encore, on ne sait pas tout ». Il faut également accepter de rompre avec la routine des services et se laisser aller à l’observation, le temps d’une promenade aussi instructive que bucolique. Un luxe quotidien que Daniel Zenner ne troquerait contre rien au monde tant le fait de prendre son temps lui a apporté de plaisir tout en glanant des connaissances.
« On regarde comment s’appelle telle plante puis on s’aperçoit qu’elle a des cousins, une famille. L’intérêt pour les arbres, les insectes, la géologie et toutes les sciences de la nature vient spontanément car tout est imbriqué ». Un champ d’exploration infini de couleurs, de saveurs et de textures dont les cuisiniers raffolent particulièrement aujourd’hui. « Autrefois, tout le monde allait cueillir les orties, les pissenlits. Avec les moyens techniques actuels, on arrive à en extraire des parfums, des textures et des couleurs qui permettent aux chefs d’élargir leur palette », relate celui qui aime à rappeler que « Marc Veyrat n’avait pas encore son chapeau quand j’avais le mien et que je donnais déjà des cours. »
Daniel Zenner avec le chef Alexis Albrecht.
Escargots en feuilleté à l’ail des ours. Volaille au mélilot, boutons de salsifis sauvages, purée de pomme de terre à l’égopode. Tiramisu à la violette fraîche. Soufflé au chocolat à la tanaisie. Mousse à la rose de Damas… Récemment élaboré entre cueillette et jardin avec Alexis Albrecht, chef étoilé du Vieux Couvent (Rhinau, Bas-Rhin) ce menu témoigne de cette fécondité. Et lorsqu’il n’aide pas la fine fleur de la gastronomie locale à s’étoffer, Daniel Zenner enseigne aussi au grand public. « Dimanche dernier, j’étais dans une pépinière pour faire déguster aux gens des plantes aromatiques. J’ai préparé 500 petites portions de dégustation avec trois sortes de menthe, de l’hibiscus, du jasmin et du tagète » Tout récemment, la communauté de commune faisait appel à ses services pour dispenser un cours de cueillette suivi d’une leçon de cuisine aux habitants du petit village montagnard d’Aubure (Haut-Rhin) et des environs.
Sincèrement fasciné par le vivant, l’homme s’en inquiète aussi grandement, d’autant plus qu’il maîtrise son langage. « Avec le remembrement dans les années 50, on a supprimé les petites parcelles, les vergers, les cours d’eau, les haies, les petits bocages, les prairies naturelles. Les oiseaux ne peuvent plus s’abriter, la chaîne se casse la gueule. J’en souffre tous les jours de voir ça, on scie la branche sur laquelle on est assis ». Désabusé sans pour autant se sentir investi d’une mission écologiste, Daniel Zenner se raccroche à son quotidien et aux quelque 400 espèces végétales méticuleusement recensées dans son jardin durant le confinement. « Et je n’ai pas compté les mousses, les champignons, les lichens ! ». Une soif de vivre, de transmettre et de faire plaisir qui transparaît lorsqu’il enfile son tablier pour mitonner un menu complet à ses convives. En point d’orgue, des quenelles de brochet cristallines et goûteuses, fruit de la pêche d’un copain et d’une main délicate. Du travail de chef.