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Dans un contexte de tensions inédites (flambée du cours des matières premières, inflation, pouvoir d’achat…) qui creusent toujours plus la fracture sociale et alimentaire, comment continuer à mener les chantiers indispensables de la transition alimentaire ? Comment rendre cette alimentation accessible au plus grand nombre ? Cela passera-t-il par des compromis ou alors par un changement plus radical dans nos méthodes ? La transition alimentaire est-elle encore possible ?
J’ai décidé de croiser le regard de 10 personnalités. Idéal pour se faire sa propre opinion sur la question !
Après Florence Dupraz , Bettina Aurbach, Bruno Parmentier , Jean Moreau et Alexia Chassagne et Philippe Goetzmann, j’accueille aujourd’hui Xavier Terlet, DG du cabinet Protéines XTC.
Stéphane Brunerie
« Une alimentation de masse peut-elle vraiment être responsable et durable ? » Oui, il le faut. Le plus grand nombre doit avoir accès à une alimentation saine. Mais aujourd’hui il convient de le dire, cette bonne alimentation est coûteuse et donc inaccessible à certains. Et en cette période inflationniste, ils sont et seront de plus en plus nombreux.
De plus en plus nombreux, ceux qui, en milieu de mois et parfois même avant, ne peuvent remplir leur chariot en magasin. La précarité subie progresse, la précarité choisie aussi. Ceux qui s’inquiète de l’avenir et préfèrent diminuer leurs dépenses de loisirs, d’équipement, mais aussi d’alimentation, car l’avenir est sombre et les perspectives d’amélioration trop incertaines.
Je vois deux directions complémentaires l’une de l’autre. Elles s’imposent.
En premier lieu et à court terme, la baisse de prix.
Oui, baisser les prix pour rendre accessibles les produits sains à tous. J’entends déjà les cris d’orfraie de nombreux observateurs pour qui l’alimentation saine a un coût incompressible. Point barre. Ces derniers réservent de fait ce qui est bon et sain aux plus aisés d’entre nous. Les autres devant se contenter, du plus gras, du plus salé, plus sucré, plus transformé, voire du 1er prix en bas de rayon.
Certes il est vrai que produire bon et sain a un coût. Mais ne faut-il pas chercher à innover et trouver comment baisser ce coût du produit sans amoindrir ses caractéristiques saines plutôt que de toujours upgrader son produit avec des « plus-produit » qui n’en sont plus au risque de disparaitre en devenant trop cher et inaccessible. La simplicité au meilleur coût est une vertu qui demain fera la différence.
On s’interroge, par exemple, sur le ralentissement spectaculaire des produits bio en France. Producteurs et distributeurs ont surfé des années durant sur une croissance à deux chiffres et puis patatras l’année dernière, le rêve est fini et le réveil brutal.
Que s’est-il passé ? Tout simplement une saturation de l’offre bio et un niveau de prix parfois obscène. En 2020, Un nouveau produit sur trois en France était issu de l’agriculture biologique. MDD et marque nationales ont investi cette catégorie. L’offre a considérablement augmenté. Pas la demande. Impossible de recruter de nouveaux consommateurs avec un écart de prix – loin de se limiter à 30% comme on l’évoque souvent – qui s’élevait à 75 % en moyenne (Linéaires Mai 2020). Celui qui, le 15 du mois, s’interroge sur sa capacité à remplir son chariot, ne les regarde plus.
À l’évidence une baisse du prix du produit « simplement bio » s’avère nécessaire pour recruter de nouveaux consommateurs aux plus faibles moyens, mais légitimement attirés par leur naturalité et leur bénéfice écologique. Les producteurs Bio pourront toujours apporter d’autres (vraies) valeurs ajoutés attendues par les habitués du Bio comme la saisonnalité, le local, la juste rémunération, le bien-être animal … autant de nouveaux bénéfices d’un « bio augmenté » qui peuvent justifier un prix plus élevé.
L’autre direction est l’initiation au bien manger. Pour orienter le plus grand nombre vers une alimentation saine, durable et responsable. Le niveau d’inculture du consommateur de la chose alimentaire est, disons-le, abyssal. Pas un adulte sur deux qui associe glucide à sucre, pas un sur trois qui connait le pouvoir des oméga 3. 40% des enfants de 8 à 12 ans ne savent l’ingrédient d’origine des chips ou des nuggets (ASEF). Comment donc s’engager sur une alimentation plus saine et moins transformée si l’on ne connait pas ce que l’on mange ?
La bonne alimentation, cela s’apprend. Et c’est avant tout à l’école que cela doit se passer. Nous votons une fois tous les trois ans et nous avons logiquement des cours d’instruction civique à l’école. Nous mangeons au minimum trois fois par jour avec des conséquences importantes sur notre santé et notre environnement et rien… ou pas grand-chose. Ne comptons pas sur la semaine du goût qui ne fait qu’effleurer les vrais sujets pendant une petite semaine. Et il en reste 51autres dans l’année où il ne se passe rien. Et il ne s’agit pas ici de laisser les marques ni les lobbys militants pénétrer dans ce sanctuaire qu’est l’école. Mais que des bouchers, des crémiers, des poissonniers, des primeurs viennent montrer, expliquer les produits, que des Chefs viennent les préparer et les faire apprécier aux enfants. Une heure par semaine suffit. Quand les enfants, chez eux, interpelleront leurs parents sur le sujet, nous aurons fait de gros progrès.
Quelques années plus tard, les mêmes pousseront le chariot en supermarché et le rempliront de produits plus sains pour eux avec à la clé, les dépenses de santé moindre et une planète qui se portera mieux. Nous avons tout à y gagner.