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Dans un contexte de tensions inédites (flambée du cours des matières premières, inflation, pouvoir d’achat…) qui creusent toujours plus la fracture sociale et alimentaire, comment continuer à mener les chantiers indispensables de la transition alimentaire ? Comment rendre cette alimentation accessible au plus grand nombre ? Cela passera-t-il par des compromis ou alors par un changement plus radical dans nos méthodes ? La transition alimentaire est-elle encore possible ?
J’ai décidé de croiser le regard de 10 personnalités. Idéal pour se faire sa propre opinion sur la question !
Après Florence Dupraz, j’accueille aujourd’hui Bettina Aurbach, Directrice générale de COFIGEO, le leader des plats cuisinés appertisés.
Stéphane Brunerie
Ces 10 dernières années, la Transition Alimentaire a avancé à grand spas, favorisée par l’évolution des attentes des consommateurs, un écosystème attentif à cette problématique (qu’il s’agisse des industriels agro-alimentaires, de start-ups innovantes, des distributeurs, des médias, ou du Gouvernement), mais aussi par la déflation continue des prix alimentaires. Cette déflation a permis aux ménages de ré-arbitrer leurs achats vers des produits plus qualitatifs et plus sains, générant une valorisation de la consommation alimentaire année après année : montée du bio, du frais, des offres labellisées, etc.
Est-ce que l’inflation galopante, qui pourrait atteindre 10% en fin d’année, va mettre un grand coup de frein à la Transition Alimentaire, en particulier auprès des ménages à faible revenu ?
La réponse évidente est qu’une partie des consommateurs feront nécessairement des arbitrages, et seront amenés à faire du « trading down », comme le montre la montée des premiers prix et du discount depuis le démarrage de l’inflation.
Je pense néanmoins que les fondamentaux en faveur de la Transition Alimentaire sont suffisamment forts pour que la dynamique reste, même si certaines composantes du modèle actuel vont devoir évoluer pour davantage concilier Accessibilité et Durabilité.
Parmi les facteurs qui militent en faveur du maintien continu de ce mouvement de la transition alimentaire, je citerais :
- Les aspirations des nouvelles générations : contrairement à leurs aînés, ils sont majoritairement prêts à « consommer moins, mais mieux » et changer leurs habitudes au quotidien : éviter le gaspillage, limiter les emballages, consommer moins de viande et plus de végétal, être attentif au bien-être animal. Que ce soit comme consommateurs ou au sein des équipes marketing, ils portent haut leurs convictions !
- Les engagements affichés par les acteurs de la filière, fabricants comme distributeurs, et portées par un certain nombre de personnalités engagées. Beaucoup d’acteurs ont publié des chartes nutritionnelles, noué des partenariats en amont, communiqué sur leurs engagements. Cet affichage verbalisé très fort rend difficile le retour en arrière, et c’est tant mieux
- Par ailleurs certains enjeux clés du volet Environnemental de la Transition Alimentaire se trouvent subitement reconsidérés dans ce nouveau contexte : il s’agit notamment de la consommation d’énergie. Avec la flambée des prix, les industriels reconsidèrent certains projets de réduction de leur consommation d’énergie qui ne trouvaient pas de rentabilité économique jusqu’ici. Même chose pour les emballages : leurs prix explosent, alors se pose encore plus fortement la question de leur réduction. Idem pour le transport : il devient si coûteux de faire venir certaines denrées de Chine, que le local reprend de l’attractivité dans certaines filières.
- Pour finir, le besoin de sécuriser les approvisionnements pourrait favoriser le recours des fabricants aux matières premières d’origine française, surtout si en parallèle la politique gouvernementale encourage les différents acteurs à développer les filières amont qui sont parfois insuffisantes.
Pour assurer Accessibilité et Durabilité, le modèle actuel va néanmoins devoir s’adapter à ce contexte inédit, et j’anticipe par exemple les évolutions suivantes :
- Le développement de circuits de distribution innovants, qui permettent de réduire les coûts de mise sur le marché : les circuits courts par exemple, qui ont déjà le vent en poupe, ou de nouveaux modèles qui combinent Prix Attractif & Bien Manger, comme le distributeur en ligne de produits bio La Fourche par exemple.
- Le développement par les fabricants de nouvelles offres produits, basées sur une analyse de la valeur priorisant les critères clients aux yeux des consommateurs et réalisant des arbitrages sur les critères moins prioritaires : des recettes avec plus de végétal et moins de viande par exemple, de plus petites quantités pour manger moins, mais mieux, ou l’extension du vrac à de nouvelles familles de produits. Il sera ainsi très important de bien comprendre la hiérarchie des critères les plus importants pour les consommateurs, plutôt que d’avoir une longue liste de promesses.
- Une adaptation des politiques de marge, que ce soit chez les fabricants ou les distributeurs. Car aujourd’hui, la Transition Alimentaire est aussi une source de création de valeur pour toute la filière. Si cette création de valeur est importante pour motiver tous les acteurs autour de cette dynamique, elle génère en revanche un premium de prix qui devient un frein pour certaines catégories de la population. Ainsi, de nombreuses études ont montré que les offres Bio ne performent pas au-delà d’un certain premium de prix par rapport au conventionnel. Mais avec la sensibilité prix accrue, les prix des offres durables pourraient se rapprocher de ceux des offres conventionnelles, contribuant ainsi à préserver la belle dynamique de la Transition Alimentaire !
En conclusion, je ne pense pas que le contexte actuel va freiner le développement d’une alimentation de masse responsable et durable, mais ma conviction c’est surtout qu’il ne DOIT absolument pas la freiner. Ce qui fera ce changement, ce sont les hommes et les femmes qui s’engagent dans cette voie sur le long terme, quels que soient les événements externes. Et la multiplication des entreprises à mission, ou le renforcement des indicateurs extra-financiers dans la Gouvernance d’entreprise, seront autant de cordes de rappel pour les aider dans cette dynamique.
À titre d’exemple, malgré la tourmente dans laquelle Cofigéo opère actuellement entre inflations et pénuries, nous avons maintenu notre projet d’élimination de certains additifs sur notre offre cœur de marché William Saurin, qui bascule ainsi en vert sur Yuka. Il n’y aura pas de communication consommateur (le sujet est trop technique pour être expliqué simplement !) donc pas de bénéfice court terme. Ce changement a nécessité un investissement pour adapter notre process industriel, mais notre conviction c’est que la confiance gagnée auprès des consommateurs est le gage de la pérennité long-terme de notre entreprise. Voilà ce qui doit nous animer au quotidien !