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Sujet de controverses de plus en plus fréquent et violent, la consommation de viande, et donc de ses conditions de production, agitent nos débats de société. « L’Élevage en Liberté » est un ouvrage collectif, fruit de contributions de paysans, chercheurs, professionnels, chefs, activistes, mangeurs, auteurs et mêmes végétariens, qui permet de sortir de l’antagonisme entre “tout industriel” et véganisme, et de rétablir ainsi l’indispensable nuance. Les auteurs du livre montrent qu’un nouvel imaginaire est possible, où l’élevage peut être une voie au service du vivant et de l’habitabilité de notre planète. Rencontre avec Luis Barraud, un des trois directeurs éditoriaux de l’ouvrage.

Luis Barraud est un des trois directeurs éditoriaux de l’ouvrage.
Pourquoi avoir choisi d’écrire un livre sur l’élevage, un thème sujet à controverses ?
Ce livre est né d’un profond malaise. Celui de ne plus réussir à se parler sereinement en société de sujets aussi sérieux et complexes, comme peuvent l’être l’élevage, la consommation de viande. Il se présente comme une radioscopie et aborde les grandes questions qui nous traversent tous : notre rapport à la vie et à la mort, la domination sur les animaux, les implications écologiques, et même les dilemmes éthiques et philosophiques. Nous ne cherchons pas à imposer une vérité universelle, à convaincre, plutôt à offrir une diversité de perspectives pour éclairer un débat souvent polarisé.
Avec mes complices Camille Atlani et Hugo Vasseur, ce livre est le la réponse à une demande des éditions Libre & Solidaire. C’est le deuxième opus que je dirige après « Une agriculture du vivant ».
Nous avons ici rassemblé 35 contributeurs – paysans, chercheurs, cuisiniers, activistes, mangeurs – pour explorer ces enjeux sous tous les angles, et permettre à chacun de se forger son propre avis.
Il ne s’agit pas de juger les choix individuels, mais de se questionner collectivement : qu’est-ce qu’un élevage respectueux et durable ? Quels liens entretenir avec les animaux que nous mangeons (ou pas d’ailleurs) ? Quels systèmes alimentaires peuvent répondre aux enjeux alimentaires et de nutrition tout en respectant les écosystèmes et les grands cycles du vivant ?
Que dit notre rapport à la viande sur notre société actuelle ?
Notre rapport à la viande reflète notre déconnexion profonde du vivant. Dans l’immense majorité des cas, nous avons désanimalisé ce que nous mangeons, réduisant la viande à un produit industriel standardisé, dépouillé de lien avec un quelconque animal ou un bout de terroir. Cette désincarnation nourrit une chaîne de production mondialisée, où la rentabilité prime sur la santé des sols, des animaux et des humains.
En revanche, l’élevage – le vrai – peut se décrire comme une coévolution historique entre humains et animaux, avec des liens de travail, de respect, et de soin mutuel. Le tout ancré dans des paysages. Ces relations profondes, comme celles décrites dans le livre, questionnent notre capacité à penser la vie, la mort et les cycles naturels comme parties intégrantes de notre alimentation.
Ce débat n’est pas seulement éthique ou écologique, il est aussi culturel. Il interroge la manière dont nous nous inscrivons dans le grand cycle du vivant, en tant que mangeurs, producteurs et citoyens. Je pense ici aux contributions d’Anne Chemin, journaliste au Monde, Jocelyne Porcher, sociologue INRAé, ou encore l’essayiste Fabien Granier.

« L’Élevage en Liberté » est le deuxième opus que dirige Luis Barraud après « Une agriculture du vivant ».
Le livre critique à la fois l’industrie et le véganisme et en appelle avant tout à la nuance : quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs pris entre ces deux courants ?
Notre message est simple : il y a élevage et élevage. L’élevage « en liberté », extensif, agroécologique, peut, quand il fait perdurer ou met en place des pratiques comme l’agroforesterie, les prairies permanentes, le pâturage tournant, participer à régénérer les sols et les écosystèmes, capter du carbone et développer la biodiversité. En tant que mangeur, il faut être curieux pour identifier ces pratiques et suivre des démarches qui en font la promotion comme Slow Food, le Planet-Score ou encore des labels comme Bleu-Blanc-Coeur ou ROC (Regenerative Organic Certification, une démarche d’origine américaine, qui certifie l’agriculture régénératrice avec un angle spécial sur l’élevage).
La production industrielle, en revanche, représente près de 90 % des protéines animales mises sur le marché, réalisées à partir d’animaux qui n’ont jamais vraiment été vivants, souvent entassés, niés jusque dans leur qualité d’être. Au grès des tendances et des innovations, l’industrie continuera de muter pour s’appuyer de plus en plus sur la reproduction de cellules souches en bioréacteurs afin de produire des pâtes goût poulet, bœuf ou porc, à la texture parfaite pour être transformées en nuggets, steaks et autres jambons. Dans ce système, l’animal n’est finalement qu’une matière première comme une autre, au même titre que le coton ou le nylon le sont dans l’industrie textile.
Comme moyen d’action pour le lecteur, le livre l’invite aussi à réfléchir à l’équilibre animal/végétal dans son assiette. Réduire la consommation de viande n’est pas seulement un choix individuel, c’est une nécessité impérieuse collective, et suivre, par exemple le régime méditerranéen (85 % d’origine végétale pour 15 % de protéines animales), propose un horizon soutenable pour être à la fois en bonne santé (nutrition) et promouvoir des conditions d’élevage qui s’inscrivent dans une chaîne de soin globale (sols, animaux, paysages, humains).
Sur cette thématique, on pourra se référer aux écrits de Michel Duru (INRAé), Pierre Weil (Bleu-Blanc-Coeur) ou encore Eddie Mukiibi, président de Slow Food International.
Comment réconcilier mangeurs, producteurs et activistes autour de ce sujet ?
Cela passe par une réappropriation collective du sujet. Mangeurs, producteurs et activistes partagent un point commun : tous se soucient de l’avenir du vivant. Ce qui manque, c’est souvent un langage commun et une pédagogie partagée.
Les mangeurs doivent être mieux informés sur ce qu’ils mettent dans leurs assiettes, pas seulement en termes de nutrition, mais aussi d’écosystèmes et de pratiques agricoles. Les producteurs, eux, ont besoin de reconnaissance et de soutien pour aller vers des modèles agroécologiques. Quant aux activistes, ils jouent un rôle clé en dénonçant les dérives du modèle industriel avec les conditions abominables de production et d’abattage des animaux que l’on rencontre bien trop fréquemment.
L’élevage en liberté donne à tous ces profils matière à s’inspirer avec les récits de professionnels, d’anthropologues, de cuisiner comme Pablo Jacob (« La vie, la mort, et comment les rendre délicieuses »). Et aussi des portraits d’éleveurs comme ceux de Christian Aguerre ou Jacques Abbatucci retranscrits sous la plume d’Emeline Bartoli, ou encore celui de Chantal Cazal.
Comment reconstruire un imaginaire collectif autour d’un élevage respectueux et durable ?
Cela commence par revaloriser ce que nous appelons un « élevage en liberté», agroécologique, régénératif. Un élevage qui ne se mesure pas en tonnes de viande produites, mais en biodiversité restaurée, en paysages préservés, et en relations équilibrées entre humains, animaux et écosystèmes. Il est impératif de changer de grille de lecture, de sortir de la logique du « toujours plus » pour privilégier celle du « toujours mieux » pour sa propre santé et celle de ce qui nous entoure.
PARMI LES AUTEURS
Lucie Rigal est éleveuse en Île-et-Vilaine. Depuis 2015, elle gère avec son frère leur ferme avec une double activité de production d’oeufs et de pédagogie autour des animaux et du vivant. Ses questionnements sur le lien aux animaux de la naissance à la mort, l’amènent à travailler avec des chercheurs et des collectifs.
Pierre Weil, président de l’association Bleu-Blanc-Coeur, propose une approche gloable de l’élevage, de l’alimentation et de la nutrition humaine. Un point de vue qui questionne le lien entre santé des milieux, santé animale et santé humaine.
Edie Mukiibi, président de Slow Food International, replace les enjeux globaux d’un élevage durable au service des paysages, de la biodiversité alimentaire et de la résilience alimentaire des communautés. Cette contribution s’appuie sur les chiffres d’un rapport sorti sur les voies d’élevage qui permettent de régénérer l’environnement.
Jocelyne Porcher, sociologue Inraé et spécialiste du bien être animal met un point d’honneur à expliquer la différence entre production industrielle de viande et élevage. Elle revient dans un premier temps sur l’industrie qui concentre les pires pratiques bafouant le vivant et les animaux, et cause les pires dérives de notre société. Dans un second temps, elle aborde l’élevage, le vrai et le seul, comme un héritier d’une longue co-évolution humain-animaux et d’un code de respect et de relations au travail réciproques.
Pablo Jacob, chef cuisinier franco-colombien passé par de grandes maisons parisiennes, interroge notre rapport au vivant et à la mort tout en dessinant une ligne de conduite nette quant au rapport humain-animal et à notre façon collective de manger des produits issus des animaux.
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