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Sur StripFood, le mois d’avril sera consacré au sujet de l’éducation à l’alimentation. Cette série s’intitule : Education à l’alimentation : des constats à l’action ! Elle a été préparée avec Emilie Orliange, experte en comportement du consommateur et chargée de méthodologie de projet en éducation alimentaire, ainsi qu’avec une équipe d’experts.
Elle débutera par une première contribution co-signée par Emilie Orliange et Christophe Lavelle, Chercheur spécialiste de l’alimentation au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) – Muséum National d’Histoire Naturelle – Sorbonne Université, qui permet de cadrer le sujet de la pédagogie du bien manger : Pourquoi ? Comment ? Par Qui ?
Elle sera suivie d’une série de trois interviews :
- Sébastien, Brun, le Chef Cuisinier d’un collège de Touraine, qui fait bouger les lignes en matière de restauration scolaire,
- Emilie Orliange, qui nous présentera les impacts positifs du programme d’éducation alimentaire « Arts de Faire Culinaires au Collège »,
- Marie-Pierre Membrives, professionnelle de l’agroalimentaire et maman engagée pour des cantines plus savoureuses et plus durables.
Nous poursuivrons par une série d’initiatives inspirantes (repérées par les différents protagonistes de cette série) en faveur d’une pédagogie alimentaire gourmande et durable. Enfin, nous terminerons par une contribution sur les freins et les opportunités liés à cette pédagogie du « mieux manger » par Emilie Orliange et Christophe Lavelle.
Dans la continuité de cette série, nous vous donnons rendez-vous, le 22 avril à 18h00, sur le webinaire : Comment (ré)apprendre à bien manger ? Les multiples leviers de l’éducation alimentaire, réalisé en partenariat avec Planet Food Santé : le média Do Tank de la Transition Alimentaire et de la Santé animé par Nathalie Hutter & Sandrine Doppler.
Stéphane Brunerie.
Les enjeux d’une alimentation saine et durable
« Bien manger » est une préoccupation majeure chez de plus en plus de citoyens qui prennent conscience des enjeux sanitaires et environnementaux de leurs habitudes de consommation et modes de vie. « Consommer responsable » devient le leitmotiv pour favoriser une alimentation durable, c’est-à-dire, d’après la définition de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), « un ensemble de pratiques alimentaires qui visent à nourrir les êtres humains en qualité et quantité suffisante, aujourd’hui et demain, dans le respect de l’environnement [et qui] doit notamment être accessible économiquement et rémunératrice, être en adéquation avec la diversité des attentes sociales et culturelles et maintenir la capacité des générations futures à produire ».
Innover pour une alimentation durable
> 🎦3 vidéos de chercheuses INRAE qui collaborent avec la @FAO pour une #agriculture et une #alimentation plus durable.
#FAOFrance75 @FranceONURome @FAOenFrancais https://t.co/6oTT3A5sud
Face à l’augmentation des besoins à l’échelle planétaire, l’alimentation durable s’impose comme un défi collectif majeur à relever. De nombreux rapports scientifiques montrent que les ressources naturelles s’épuisent, la biodiversité décline, le changement climatique affecte la sécurité alimentaire mondiale, les maladies liées à la malnutrition se multiplient, l’obésité augmente (y compris –et surtout- dans les pays en voie de développement): autant de raisons de prendre le problème à bras le corps.
Les consommateurs, les instances publiques et les industriels font le constat commun qu’une éducation à l’alimentation est nécessaire et que les rôles de l’école, du restaurant scolaire ou encore de la famille sont cruciaux (et sans aucun doute complémentaires). Alors qu’en est-il des projets développés sur le terrain ? Où en sommes-nous en 2021 ? Quels sont leurs bénéfices et leurs apports ? Quelles difficultés rencontre ces acteurs de terrain (parents d’élèves, établissements scolaires, associations ou encore chefs de restaurants scolaires) ?
À quels freins sont-ils encore confrontés aujourd’hui alors qu’il est temps d’agir maintenant et d’essaimer les projets d’éducation à l’alimentation qui fonctionnent et permettent d’améliorer significativement les habitudes alimentaires des futures générations ?
COMPRENDRE: que dit la sociologie de nos comportements alimentaires ?
La sociologie de la famille et la sociologie de l’alimentation démontrent que l’enfant est un consommateur vulnérable et influencé par les techniques du marketing agroalimentaire qui promeuvent des produits ultra-transformés [1]. L’étude du processus de socialisation économique de ces jeunes consommateurs met en évidence la complexité de la construction sociale des compétences de consommation chez les jeunes [2]. Divers agents de socialisation tels que l’école, la famille, le gouvernement, les médias, les marques… promeuvent des discours parfois contradictoires, créant une situation d’anomie alimentaire ainsi que des tensions et des paradoxes dans l’esprit du jeune consommateur [3].
L’éducation alimentaire est un processus de co-construction entre plusieurs agents de socialisation : la famille, l’école, le législateur, le gouvernement mais aussi les médias, les marques et l’univers marchand en général. Il s’agit, au-delà de la transmission d’indications nutritionnelles, de développer l’autonomie des individus dans leurs choix alimentaires et leurs pratiques culinaires.
« Jean Pierre POULAIN – 10) Alimentation au sein de l’Éducation »
Après une forte période marquée par une logique de médicalisation et de rationalisation de l’alimentation, la quête du plaisir se réinstalle dans la conscience collective et l’hédonisme redevient une valeur majeure. Or, la meilleure manière de (re)prendre en main notre alimentation, économiquement, nutritionnellement ET gustativement tient en un mot: CUISINER! En effet, rien de tel que de s’intéresser aux produits (saisonnalité, modes de culture, etc.), aux recettes (simples, pour tous les jours du quotidien, ou plus complexes, pour les grandes occasions), d’expérimenter, de varier les menus, pour s’assurer de notre bien-être ainsi que de celui des mangeurs qui partagent à l’occasion notre table ! [4]
La cuisine familiale s’est perdue au fil du temps du fait à la fois d’une rupture générationnelle et d’une transition nutritionnelle [5], conduisant à une consommation de plus en plus importante de produits « ultra-transformés », aujourd’hui sur la sellette après que de nombreuses études aient mis en avant leurs méfaits potentiels sur la santé [6] (augmentation du risque de mortalité, des risques de cancer, risque accru d’obésité, etc.).
Les approches d’éducation nutritionnelle, même si elles apportent des connaissances aux enfants, ne parviennent pas à transformer leurs pratiques et habitudes alimentaires parce qu’elles restent éloignées des sociabilités que les enfants pratiquent [7]. Un vaste travail a été réalisé par les instances en charge de la sante publique pour mettre à disposition des mangeurs des repères nutritionnels. Ces recommandations sont de mieux en mieux connues du grand public, mais cette connaissance ne semble pas apporter les changements attendus de comportement alimentaire, puisque les mangeurs conservent un certain désarroi et ne savent toujours pas à quel « sain » se vouer [8].
C’est pourquoi d’autres approches doivent être privilégiées, expérimentées et systématiquement évaluées.
Laboratoire ACFAS « autonomisation des ados en pratiques culinaires Valérie Inés de La Ville et Emilie Orliange »
OBSERVER: quelles initiatives pour apprendre à bien manger?
Nos observations sur le terrain relèvent les constats suivants:
- les recommandations institutionnelles sanitaires en matière de prévention et de promotion de la santé sont nombreuses, nécessaires… mais n’atteignent pas toutes les enfants, par manque de rapport direct avec leur « vraie vie »;
- les enfants subissent une perte de repères relative à la provenance des aliments (« la tomate pousse au supermarché »), un manque d’opportunité de manipuler et identifier des aliments bruts et une méconnaissance des acteurs de la filière de l’alimentation;
« Intermarché : Les Bons Légumes »
- les enfants et leurs parents sont conditionnés par l’industrie et le marketing agroalimentaire et nous déplorons une offre alimentaire réduite et axée sur la consommation de produits ultra-transformés (souvent gras, salés et sucrés);
- les projets de terrain actuels sont peu nombreux à être documentés et ils ne présentent pas de dispositifs d’évaluation permettant d’en constater les bénéfices et l’efficacité, notamment à moyen et long terme. De plus, ils ne sont pas souvent conçus pour s’intégrer concrètement et durablement aux programmes scolaires;
- les familles doivent être partie-prenante directe de cette co-éducation, mais elles ne sont pas toujours impliquées dans ces projets;
- le restaurant scolaire est un acteur clé de la pédagogie alimentaire mais le personnel de cuisine a rarement le temps et les moyens à disposition pour s’adonner à une éducation à l’alimentation plus saine et durable auprès des enfants, lors de la prise des repas;
- l’école est légitime (notamment légalement) dans ce rôle d’éducation à une alimentation saine et durable, mais les établissements scolaires ont de nombreuses difficultés (manque de temps, de moyens, de compétences) pour développer des projets ambitieux et cohérents.
Ces constats étant posés, voyons concrètement comment guider nos enfants afin qu’ils se réapproprient le contenu de leurs assiettes!
AGIR: Selon le gouvernement, comment améliorer l’offre?
Entre 2017 et 2020, de nombreux rapports officiels conjoints (des ministères de l’alimentation, de la santé et de l’éducation nationale) s’accordent sur le fait que l’éducation du jeune consommateur à mieux se nourrir, à acquérir des comportements plus favorables à la santé, apparaît aujourd’hui comme une nécessité indiscutable et le rôle à jouer par l’école est central [9]. Quelques conclusions de ces réflexions:
- il faut développer des actions d’éducation visant à rendre le mangeur acteur de sa propre alimentation en commençant par la redécouverte des produits bruts (incluant les informations sur la provenance, la saisonnalité, les modes de production), notamment en proposant des expériences concrètes avec les aliments;
- l’éveil au goût est primordial. En effet, l’éducation nutritionnelle (purement cognitive) a entraîné un véritable désenchantement et une déconstruction de l’aliment sous forme de nutriments, totalement déconnecté de l’usage quotidien des jeunes;
📢Il est à présent disponible sur @Eduscol https://t.co/CcbgA1aI3i
@SantePubliqueFr https://t.co/0DKNFImIdZ
- le restaurant scolaire est un lieu essentiel dans cette éducation alimentaire; les cuisines scolaires doivent servir pour l’organisation d’ateliers destinés aux jeunes ainsi qu’aux familles;
« Éducation au goût : le ministre et le chef Marcon sensibilisent les élèves du lycée G.Tirel »
- les projets ponctuels, non documentés et/ou non évalués, tout utiles qu’ils soient à l’échelle locale, ne permettent pas d’accumuler de la connaissance et des compétences collectives. Pour qu’un projet d’éducation à l’alimentation puisse être évalué et impactant sur les comportements et habitudes alimentaires des jeunes et de leurs familles, celui-ci doit être conduit sur plusieurs années, intégrer des actions régulières et être accompagné d’un dispositif d’évaluation sérieux;
Un vademecum présente les grandes orientations et repères ▶️ https://t.co/SH9RWFBB5s https://t.co/srF4IAYLrc
- l’école est légitime dans ce rôle d’éducation à l’alimentation, celle-ci étant, comme la lutte contre le gaspillage alimentaire, inscrite dans la loi [10].
Source : https://www.projeduc-lab.fr/448752088?i=176814908
Ce dossier « éducation à l’alimentation : des constats à l’action ! » sera composé d’une série de contributions d’acteurs clés de cette pédagogie alimentaire comme des parents d’élèves, des chefs de restauration scolaire, des responsables de projets d’éducation alimentaire proposés aux écoles. Nous poursuivrons ce dossier par une série d’initiatives inspirantes à développer en faveur d’une pédagogie alimentaire gourmande !
Nous terminerons ce dossier en exposant les freins et opportunités liés à cette pédagogie du « mieux manger ».
Dans la continuité de cette série, nous vous donnons rendez-vous, le 22 avril à 18h00, sur le webinaire : Comment (ré)apprendre à bien manger ? Les multiples leviers de l’éducation alimentaire, réalisé en partenariat avec Planet Food Santé : le média Do Tank de la Transition Alimentaire et de la Santé. Le débat sera animé par Nathalie Hutter & Sandrine Doppler.
EDUCATION A L’ALIMENTATION : des constats à l’action !
#1 – Pédagogie du bien manger : Pourquoi ? Comment ? Par qui ? par Emilie Orliange et Christophe Lavelle
Références
[1] De Singly, 2006; Mathiot, 2012 et 2014 ; Sirota, 1997 et 2006 ; Delalande, 2013
[2] Damay, 2008; Brée, 2012, Dias, 2012
[3] Fischler, 2001, De La Ville et Tartas, 2008
[4] Bien manger : oui, mais comment ? Christophe Lavelle. The Conversation (3 juillet 2020) ; Ateliers « cuisine » au collège : la clé pour apprendre à mieux consommer ? Emilie Orliange. The Conversation (13 février 2019). Apprendre la cuisine aux collégiens pour qu’ils se nourrissent mieux. Emilie Orliange. The Conversation (23 mai 2017).
[5] Étude prospective du ministère de l’agriculture (2017) « Comportements alimentaires : la France en 2025 »
[6] Études santé consommation de produits ultra-transformés : Étude publiée en 2019 dans la revue de l’Association médicale américaine Jama Internal Medicine – Étude française NutriNet-Santé, publiée en janvier 2019 – Étude publiée en mars 2019 : chercheurs en nutrition et en santé publique de l’Université de Montréal.
[7] Gaignaire et Schlich, 2010 ; Corbeau, 2010
[8] Keller et al., 2012
[9] Rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales « Amélioration de l’information nutritionnelle dans la restauration collective » (décembre 2017). Rapport conjoint des ministères de l’agriculture et de l’éducation nationale sur « l’éducation alimentaire de la jeunesse », (juillet 2018). Rapport de la commission d’enquête de l’assemblée nationale sur l’alimentation industrielle (septembre 2018), Avis du Conseil National de l’Alimentation : n° 76 – relatifs à la politique nutritionnelle (janvier 2017) + n° 77 sur les enjeux de la restauration scolaire (juillet 2017) + N°84 sur l’éducation à l’alimentation (septembre 2019). Vademecum Éducation à l’alimentation et au goût ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports (Octobre 2020).
[10] « L’éducation à l’alimentation et au goût s’inscrit dans le cadre de la démarche École promotrice de santé. […] L’École est un lieu privilégié pour aborder la totalité du fait alimentaire articulant les différentes dimensions de l’alimentation (nutritionnelle, sensorielle, environnementale et écologique, culturelle et patrimoniale). Cette éducation transversale répond tout à la fois aux enjeux de santé publique, environnementale et de justice sociale » (https://eduscol.education.fr/2089/comprendre-les-enjeux-de-l-education-l-alimentation-et-au-gout). On pourra également consulter les textes suivants: Article L. 312-17-3 du Code de l’éducation : Une information et une éducation à l’alimentation et à la lutte contre le gaspillage alimentaire, cohérentes avec les orientations du programme national relatif à la nutrition et à la santé mentionné à l’article L. 3231-1 du code de la santé publique et du programme national pour l’alimentation mentionné à l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, sont dispensées dans les écoles, dans le cadre des enseignements ou du projet éducatif territorial mentionné à l’article L. 551-1 du présent code. Article L. 541-1 du Code de l’éducation : Les actions de promotion de la santé des élèves font partie des missions de l’éducation nationale. Circulaire n° 2015-117 du 10 novembre 2015 relative à la politique éducative sociale et de santé en faveur des élèves. Circulaire n° 2011-216 du 2 décembre 2011 relative à la promotion de la santé en milieu scolaire. La politique éducative de santé prévoit sept objectifs prioritaires dont faire acquérir aux élèves des bonnes habitudes d’hygiène de vie, généraliser la mise en œuvre de l’éducation nutritionnelle et promouvoir les activités physiques (intégrant la prévention du surpoids et de l’obésité). Circulaire n° 2016-114 du 10 août 2016 relative aux orientations générales pour les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté.
[11] https://www.education.gouv.fr/education-l-alimentation-et-au-gout-7616
[12] https://eduscol.education.fr/2277/le-comite-d-education-la-sante-et-la-citoyennete-cesc