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Dans cette série » Education à l’alimentation : des constats à l’action », il me semblait important de donner la parole à un Chef cuisinier, de mettre en lumières des projets qui font bouger les lignes (à Paris et en Province) mais aussi de donner la parole aux parents, maillon ô combien indispensable pour faire avancer le sujet. C’est la raison pour laquelle, je suis allé à la rencontre de Marie-Pierre Membrives, professionnelle de l’agroalimentaire mais surtout maman engagée pour des cantines plus savoureuses et plus durables. Elle nous explique avec beaucoup de passion, ses convictions et partage sa démarche pour réussir collectivement à faire bouger le système.
Stéphane Brunerie.
Qui es-tu Marie-Pierre Membrives ?
Passionnée par les sciences de la vie et la cuisine, et sensible au rôle central de l’alimentation sur la santé et dans la société, j’ai suivi des études d’ingénieure en agroalimentaire.
J’ai piloté le développement de produits pour un groupe de restauration pendant une quinzaine d’années, ce qui m’a amenée à découvrir nombre d’usines agroalimentaires et à me confronter aux enjeux des filières alimentaires.
Aujourd’hui consultante pour l’agroalimentaire et la restauration, je suis aussi (et surtout) maman de 2 garçons aujourd’hui en classes de CP et de 6ème et représentante élue des parents d’élèves depuis plusieurs années.
En quoi le sujet de l’éducation alimentaire te tient autant à coeur ?
Le sujet de l’éducation alimentaire me tient à cœur car je me rends compte que tous les enfants n’ont pas la chance, à la maison, d’avoir accès à une alimentation variée, de saison et de qualité, que tous n’ont pas l’opportunité de cuisiner des produits frais avec leurs parents ni d’être sensibilisés à l’équilibre alimentaire ou au décryptage des étiquettes des produits alimentaires.
J’ai eu la chance, quand j’étais collégienne, d’avoir des cours de cuisine en EMT (Education Manuelle et Technique). C’est dans ces cours que j’ai appris à éplucher des légumes, à les cuire, à comprendre la différence entre boissons aux oranges, à faire une béchamel ou des allumettes au fromage qui ont régalé ma famille et mes amis à de multiples reprises depuis.
Je vois fleurir des initiatives visant à remettre l’éducation alimentaire dans les écoles et je me dis que c’est formidable pour éveiller les générations à venir à une alimentation saine et durable et pour combler les inégalités en la matière.
Qui dit alimentation à l’école pense cantines scolaires. Pour moi l’éducation alimentaire est indissociable de cantines vertueuses où les enfants se régalent. Or, force est de constater que là aussi existent de grandes inégalités. Certains élèves ont en effet la chance de bénéficier de cantines où la cuisine est faite sur place, le jour-même, par des cuisiniers passionnés engagés aux côtés des producteurs auprès desquels ils s’approvisionnent et auprès des enfants pour leur faire découvrir des plats savoureux faits maison. D’autres, comme mes fils, mangent des plats rarement enthousiasmants préparés 2 à 4 jours avant leur consommation dans des cuisines-usines, conditionnés et réchauffés dans des barquettes en plastique (ou en cellulose). Force est de constater que certains plateaux sont à peine touchés et que nombre d’enfants vont en cours l’après-midi le ventre vide ou presque ou n’ayant mangé qu’un ou deux morceaux de pain, pas forcément très qualitatif par ailleurs. Il en résulte un gaspillage alimentaire important et l’acceptation, dans l’imaginaire collectif, que la cantine c’est pas bon mais c’est comme ça.
Peux-tu nous expliquer ta démarche en tant que parent d’élèves ?
Il y a 4 ans j’ai découvert les commissions menus de ma ville qui rassemblent représentants de la mairie, du prestataire en charge des repas, du personnel accompagnant les repas dans les écoles et des parents d’élèves.
J’ai vu ces commissions comme une formidable opportunité de co-construire un projet pour la restauration scolaire sur le plan local en s’appuyant sur les énergies, sensibilités et connaissances de chacun.
Nous avons cependant pu constater lors de ces commissions, qu’il existait un décalage entre ce que nous pouvions imaginer en lisant les menus affichés devant l’école et la réalité du contenu des assiettes de nos enfants, faisant la part belle aux aliments ultra-transformés qui restaient bien mystérieux quand nous tentions d’en savoir plus.
Nous avons été, nous parents, à l’origine de la plupart des améliorations apportées à l’offre alimentaire dans les cantines de notre ville ces dernières années.
Forts de ce constat et à l’approche du renouvellement de contrat, nous nous sommes mobilisés pour nous assurer que les attentes exprimées par les parents en commissions, seraient intégrées au nouveau contrat. C’est ainsi que nous nous sommes rassemblés en un collectif de parents élus représentant les ¾ des écoles de la ville pour parler d’une même voix. Et notre mairie a fini par intégrer la plupart de nos demandes au nouveau cahier des charges. C’est une première étape et cela n’a pas été simple.
M’investir pour les cantines m’a permis de faire la connaissance de parents formidables venant de tous les quartiers et déterminés à faire bouger les lignes.
Nous sommes de nombreux parents, dans ma ville et aux quatre coins de France, à nous préoccuper de ce qui est servi à nos enfants, soucieux que chacun puisse bénéficier d’un déjeuner appétissant et de qualité, en particulier ceux pour qui le repas à la cantine est le seul de la journée.
En parallèle cette année, j’ai intégré les commissions menus concernant les cantines des collèges de mon département.
J’y ai découvert une collectivité consciente des limites du modèle actuel et soucieuse de faire évoluer les choses dans un esprit de co-construction avec les parties prenantes. J’ai ainsi pu participer à un atelier de concertation en vue de la préparation du renouvellement de contrat.
Le département, qui s’appuie aujourd’hui sur un prestataire qui livre les collèges depuis une énorme cuisine centrale en liaison froide, teste le retour à la cuisine sur place le jour-même dans un collège depuis quelques mois. Les résultats sont enthousiasmants : plus de satisfaction des convives et du personnel et la volonté de déployer ce dispositif dans de nombreux collèges. Cela donne de l’espoir aux parents… et aux enfants.
Quels sont les freins que tu peux rencontrer dans ta démarche ?
Sur un sujet comme la restauration scolaire, il faut selon moi avant tout une prise de conscience que l’on peut faire mieux. Il n’y a rien de pire, en tant que parents, que de s’entendre dire qu’il n’y a pas de problème ou que c’est impossible, que c’est trop compliqué, quand d’autres y sont arrivés ou sont en train de tester des solutions. Il est urgent d’agir dans l’intérêt des enfants et de la planète, et dans celui des producteurs, et cela n’a pas de prix.
Pour changer le paradigme dans les cantines les moins qualitatives, il faut surtout une volonté politique de faire changer les choses. Cela sous-entend de mobiliser des moyens, de s’intéresser aux bonnes pratiques et d’initier une démarche vertueuse collaborative en s’appuyant sur les experts, les opérateurs et leurs fournisseurs, les parents et les enfants pour identifier les priorités. Sans imaginer tout révolutionner du jour au lendemain, il faut selon moi des ambitions et des petits pas, faits main dans la main.
L’alimentation des enfants est un sujet qui fédère au-delà des clivages politiques et idéologiques. Je crois que l’école, par son programme pédagogique et ses cantines, peut devenir l’école du goût et de l’éducation alimentaire, afin que les enfants se régalent le midi et qu’ils deviennent les ambassadeurs de l’alimentation saine et durable dans leurs familles.
EDUCATION A L’ALIMENTATION : des constats à l’action !
#1 – Pédagogie du bien manger : Pourquoi ? Comment ? Par qui ? par Emilie Orliange et Christophe Lavelle
#4 – Marie-Pierre Membrives : « Le déjeuner à la cantine devrait être un moment de plaisir et de découverte au coeur de l’éducation à l’alimentation »