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En matières d’agriculture et d’alimentation, les sujets d’opposition ne manquent pas. Agriculteurs vs écolos, bouchers vs vegan, industriels vs artisans… Il est vrai qu’en matière de raisonnement, notre époque ne fait pas vraiment dans la dentelle. Prenons par exemple la traditionnelle thématique d’opposition entre les « petits » et les « gros » parfaitement d’actualité dans ce domaine.
Les « gros » sont suspects car ils représentent le système en place. Ils appartiennent à ce système dit « dominant » composé des institutions, des politiques, des médias de masse, des grandes entreprises. Dans un climat généralisé de défiance, tout ce qui est dominant génère ainsi de la distance et de la méfiance.
Face à eux, on trouve les « petits ». Ce melting-pot est composé d’acteurs historiques (commerçants, artisans, PME) mais également de plus en plus de nouveaux entrants (néo-artisans, start-up de la food tech, petites marques locales,…) parfois même créés par des personnes en rupture issues du monde des « gros ». Plus agiles, ultra innovants, ces derniers agissent avec des convictions affichées extrêmement fortes et surtout sans les contraintes des « gros » car ils construisent des modèles à partir de « rien ». Ils bousculent le système avec une capacité d’aller plus vite, d’apporter des solutions plus innovantes. Ils bénéficient ainsi d’une excellente image et on les adore car ils ambitionnent de changer les règles du jeu et donc de venir challenger les « gros ».
Mais regardons-y d’un peu plus près.
Le « business model » de très nombreuses start-up de la « nouvelle économie » (qui ne gagnent pas un kopeck au passage) est clairement le fait de pouvoir (grâce à des opérations de levers de fonds successives) se revendre au meilleur prix à des « big players » qui accèdent ainsi à de nouveaux marchés, accélèrent leur mutation, voire simplement neutralisent une nouvelle concurrence. Notons par exemple le cas d’un groupe comme Danone ayant racheté la marque Alpro (ultra-frais végétal) ou encore dernièrement Michel et Augustin. Mais alors la vocation de ces présumés « gentils petits » serait ainsi de se faire croquer tout cru par les « méchants gros » ?!
Les « gros » sont des « petits » qui ont réussi
N’oublions pas non plus que les « gros » sont d’anciens « petits » qui ont réussi et que si les « petits » d’aujourd’hui (que l’on adore) réussissent (ce que l’on espère), ils seront les nouveaux « gros » de demain !
Bref, pas si simple.
Si l’intérêt des « petits » réside dans leur capacité à changer les règles du jeux et accélérer les indispensables mutations de notre époque , l’intérêt des « gros » en mutation c’est clairement leur puissance et leur capacité à faire bouger les choses de façon beaucoup plus massive même si ce ne sont pas des démarches 100 % parfaites.
L’habit ne fait pas le moine
En synthèse, la simple apparence de « petit » ou de « gros » ne présage rien. Il est plus que jamais nécessaire de prendre un peu de distance avec ces schémas de pensée.
Le challenge des « petits », une fois qu’ils ont réussi, est de ne pas abandonner leur fameuse posture de challengers et d’agitateurs. Bref, de ne pas perdre leur mission et valeurs des origines dans leur phase de développement.
Les « gros » sont eux condamnés à se réformer mais cela reste plus compliqué pour eux car il doivent non seulement changer de posture mais aussi souvent repenser leur modèle économique et de production pour s’adapter aux nouvelles demandes. Leur challenge est de réussir à préserver la chaîne de valeurs car ce à quoi nous aspirons a un prix et le plus complexe reste de maintenir cette qualité dans des marchés de masse. C’est par exemple aujourd’hui la question de démocratisation du bio et la difficulté à ne pas détruire cette valeur par un nivellement vers le bas par les prix.
Moins mais mieux
Finalement, entre les deux, et si la posture la plus vertueuse était de maîtriser son développement, alors même que l’on rencontre un franc succès, pour préserver l’esprit des origines ? Une posture en ce sens est totalement possible même si elle reste un brin audacieuse.