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Dans ce quatrième volet de la série « Nous et la viande », j’ai demandé à Bruno Parmentier quel était le potentiel des alternatives à la viande. L’offre de simili-viande serait une réponse de transition pour faciliter les évolutions de comportements vers une consommation de protéines végétales brutes. Selon lui, « il ne suffit pas qu’un aliment existe, il faut aussi pouvoir le penser avant d’accepter de le manger ». C’est la raison pour laquelle (chez nous en tout cas) la consommation d’insectes sera davantage à destination des animaux et la viande in vivo n’est pas vraiment près d’être adoptée.
Stéphane Brunerie
Si l’on admet que, pour toutes sortes de raisons explicitées ci-dessus, il serait éminemment souhaitable d’accélérer la décroissance naturelle de la consommation de viande et de lait dans nos pays riches, il importe néanmoins de ne pas y perdre en matière de santé. Or, pour être en bonne santé, nous avons besoin d’ingérer très régulièrement des protéines. Mais rien, absolument rien, ne dit que toutes ces protéines doivent être d’origines animales. Il y a énormément de protéines dans les légumineuses (pois, haricots, lentilles, soja, etc.). Ce fut d’ailleurs, pendant des millénaires, la source principale de l’alimentation protéinée des différents peuples (pendant que les aristocrates partaient à la chasse pour se servir directement en protéines animales !). La nourriture de toutes les grandes civilisations, celles qui ont gagné des guerres parce que finalement leurs peuples étaient plus forts, plus intelligents, et donc mieux nourris, était toujours à la base d’un mélange de céréales et de légumineuses : riz-soja en Chine, couscous-pois chiche au Moyen-Orient, maïs-haricots en Amérique, etc.
Les vraies alternatives au steak, ce sont donc le soja, le fayot, la lentille, le pois ! En direct bien entendu, mais éventuellement, tout du moins pendant une période de transition, transformés pour qu’ils ressemblent le plus possible à la viande pour ceux qui en sont vraiment accros. Ceux qui ne peuvent vraiment pas se passer de hamburger vont commencer par prendre des hamburgers végétariens, avec de la viande texturée à base de soja, et du faux sang à base de jus de betterave, le tout ressemblant le plus possible à leur drogue favorite ! L’agro-industrie a bien compris l’air du temps, et nos contradictions, et rivalise de créativité pour nous vendre toutes sortes de substituts végétaux protéinés les plus savoureux possibles. Ce secteur est en plein essor et cela n’est pas prêt de s’arrêter.
Cela étant, si le soja, le pois, la lentille, le haricot, existaient à l’état naturel sous forme de steak haché bien saignant, ça se saurait ! Un steak haché végétal est donc forcément ultra transformé, et, pour qu’il ressemble vraiment à un steak de bœuf, on y met forcément des additifs. Souvent, les fabricants font attention de ne mettre que des produits bios, pour respecter l’idéologie de leurs consommateurs, mais, bien évidemment, ce n’est pas toujours le cas. On peut donc trouver dans des steaks de soja des protéines de pois purifiées, des huiles de noix de coco et de canola, des protéines de riz, de l’amidon de pomme de terre, de l’extrait de jus de betterave pour la coloration, de la méthylcellulose (un dérivé végétal couramment utilisé dans les sauces et la crème glacée, comme liant)… et beaucoup de sel !
La composition d’un produit intitulé « Mc Plant » aux Etats-Unis interroge. La composition de la viande produite par Beyond Meat (en gras) apparaît particulièrement ultra transformée. Le produit vient d’être arrêté par McDonalds.
Ces faux hamburgers ne sont en fait que des « aliments de transition » pour les gens qui essaient d’adopter des régimes plus sains, mais peinent à changer radicalement leurs habitudes alimentaires. Dans les pays où on a continué à manger beaucoup de soja, on n’a pas besoin de passer par le simili steak de bœuf à base de soja : on le consomme directement sous forme de tofu (lui-même rôti, grillé, frit ou cru, entier, en purée, en cubes, etc.), lait, yogourt, fromage, crème, noix, tempeh (fèves de soja entières et cuites, amalgamées en un gâteau), farine, semoule, céréale, sauce, etc.
Une autre piste consiste à passer aux protéines animales à base d’animaux à sang-froid. En particulier les insectes, qui se reproduisent à une vitesse considérable, et qui ne gâchent pas bêtement la nourriture pour se chauffer et fabriquer massivement des os, des poils ou des plumes ; alors que pour les meilleurs animaux à sang chaud comme le poulet, il faut compter environ 4 kilos végétaux pour un kilo de viande consommable, ce rapport est de 2 pour un pour les sauterelles, scarabées ou les vers de farine. Mais on se heurte là à la permanence des habitudes alimentaires qu’il est très difficile de changer. Il se trouve que les Français admettent de manger des escargots, mais ne souhaitent pas manger de sauterelles et de scarabée, et ça ne changera pas du jour au lendemain.
Qu’à cela ne tienne, on leur en fournira quand même, et massivement, mais de façon indirecte. On les élèvera pour nourrir des poulets et des truites savoureuses, ou fabriquer des barres chocolatées hyper protéinées… Il est à parier qu’en Bretagne, il y aura des élevages d’insectes à côté de chaque poulailler ou chaque élevage de poisson dans les décennies qui viennent. En revanche, dans les pays asiatiques, où ça ne choque pas de manger des insectes, on passera bien évidemment de la cueillette au filet à papillon à l’élevage industriel de produits directement consommables par les consommateurs.
Une autre découverte absolument ébouriffante consiste à fabriquer de la viande d’animal sans animal. Le hamburger présenté par Mark Post en 2013 est issu d’un processus ultra artificiel évidemment : « Composé de 30 milliards de cellules,
ce hamburger a nécessité 30 boîtes de culture de la taille d’un carton à chaussures, les services d’un grand incubateur semblable à un réfrigérateur à l’américaine durant neuf semaines, mais aussi l’utilisation d’antibiotiques, de fongicides, de sérum bovin… et la bagatelle de 250 000 euros ! »
Le chercheur Mark Post, de l’université de Maastricht aux Pays-Bas fait déguster en 2013 devant des caméras le premier hamburger de synthèse, in vitro, garanti sans animal, de l’histoire de l’humanité
Il ne suffit pas qu’un aliment existe, il faut aussi pouvoir le penser avant d’accepter de le manger. Sinon nous mangerions tous des chiens et des chats, animaux qui, comme chacun sait, sont parfaitement comestibles, et qui ont d’ailleurs été mangés souvent dans des situations extrêmes de famine. Dans un pays comme la France, où pratiquement personne ne veut manger en direct des produits OGM (alors que, rappelons-le, les OGM sont consommés massivement dans le monde et, jusqu’à maintenant, n’ont fait aucun mort), on ne voit pas très bien émerger une demande massive en produits ultra industriels de ce type, tant qu’on aura encore des boucheries qui vendront du steak bien, de chez nous, issu de la Bourgogne ou du Massif central. Et l’idée de mieux nourrir l’humanité en proposant massivement aux Africains ce type d’aliments est quand même une vue de l’esprit.
Dans ce deuxième volet de la série « Nous et la viande », j'ai demandé à Bruno Parmentier quel était vraiment le lien entre consommation de viande et réchauffement climatique ? Réduire sa consommation de viande et en profiter pour privilégier la qualité comme la propose la filière française semble clairement une bonne option à la fois pour notre porte-monnaie, notre santé et notre impact sur l'environnement.