Temps de lecture : 3 min
Dans ce troisième volet de la série « Nous et la viande », j’ai demandé à Bruno Parmentier si la viande était vraiment un marqueur social et de genre. La réponse est sans appel. La consommation de viande est bien en France un marqueur social et ce sont les catégories les plus populaires qui en consomment le plus. La consommation de viande est également un marqueur de genre, principalement pour la viande rouge.
Stéphane Brunerie
La consommation excessive de viande, et l’embonpoint, voire l’obésité, qui y sont souvent associée, concernent de façon de plus en plus récurrente les riches des pays pauvres et les pauvres des pays riches.
La France est un pays riche, où même les personnes à faibles revenus peuvent se payer régulièrement de la viande, et elle n’échappe pas à cette règle. L’obésité y est beaucoup plus fréquente dans le Nord et l’Est du pays, économiquement sinistrés, dans les banlieues qu’en centre-ville, et dans les zones à fort chômage que dans celles à plein d’emploi. Les statistiques de France Agrimer montrent que ce sont plutôt les CSP inférieures qui mangent le plus de produits carnés. C’est d’ailleurs assez typique d’observer que le Parti communiste et le Front national se rejoignent en défendant le droit à manger de la viande rouge et de faire des barbecues.
Le CREDOC estime que, si maintenant tous les Français diminuent régulièrement leur consommation de viande (-12 % entre 2007 et 2016 par exemple), les cadres et les professions intellectuelles supérieures en consomment un tiers de moins que les ouvriers. Le steak et le barbecue sont devenus en quelque sorte des marqueurs sociaux, mais pas dans le sens que l’on imaginait.
D’après l’Anses (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire), les personnes ayant suivi des études supérieures consomment plus de fruits et de légumes, mais également plus de fromage, de yaourt et fromage blanc ou encore de chocolat. Au contraire, les individus qui se sont arrêtés au primaire ou au collège boivent plus de soda et privilégient la viande (hors volaille) et les pommes de terre.
La différence est encore plus forte en ce qui concerne les sexes. À partir du moment où on réalise que l’on est, au sens strict, physique, ce qu’on mange, et que tout ce qu’il y a dans notre corps est entré par notre bouche, la tentation est grande de tenter d’acquérir telle ou telle qualité en ingérant tel ou tel aliment dont on estime qu’il les possède « intrinsèquement ». Aucun scientifique n’a jamais pu isoler la molécule de force dans la viande de bœuf, celle de pureté dans le lait, ni celle de légèreté dans la salade, n’empêche qu’on ne peut pas s’empêcher d’imaginer qu’on deviendra plus fort, plus pur ou plus léger en consommant ces aliments. Et justement beaucoup d’hommes veulent devenir plus forts, tandis que beaucoup de femmes veulent devenir plus légères !
Etude des consommations alimentaires – Anses – 2017
Représentations genrées de la nourriture – Bruno Parmentier
Imaginons un instant qu’au restaurant, un serveur, qui n’est pas celui qui a pris la commande, arrive à une table où on a commandé une salade composée et un steak frites saignant. Dans notre culture il ne demande pas qui a commandé quoi, puisqu’il lui semble évident que c’est l’homme qui a commandé le steak et la femme, la salade !
Sketche Florence Foresti « J’aime pas les garçons »
La nourriture est donc en quelque sorte sexuée, non pas intrinsèquement bien sûr, mais en fonction des projections psychologiques que nous y mettons. Notre inconscient (très culturel) d’homme fort nous fait aimer la viande rouge, les frites, le vin rouge, les alcools et les fromages forts, voire le piquant, pour lequel notre honneur et notre patriotisme sont en jeu, tandis que celui des femmes sont « naturellement » portées par la culture ambiante vers les salades, les viandes blanches, le vin blanc, le doux et le sucré !
Bien entendu, nous sommes évidemment tous libres de nous affranchir de cette culture dominante, surtout dans une période où la notion de genre s’estompe, et tout le monde connaît des femmes qui adorent le steak frites avec le vin rouge, et des hommes qui aiment la salade. Mais les statistiques restent formelles : les Français consomment près de 50 % de plus de viandes rouges que les Françaises soit 43 grammes par jour contre 27 (la consommation de viande est globalement plus importante chez les hommes 138g/jour que chez les femmes 100g/jour – Source CREDOC France Agrimer 2018).
Et malgré les polémiques, la députée verte féministe Sandrine Rousseau n’a donc pas totalement tort lorsqu’elle affirme qu’il « faut changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité ».
Dans ce deuxième volet de la série « Nous et la viande », j'ai demandé à Bruno Parmentier quel était vraiment le lien entre consommation de viande et réchauffement climatique ? Réduire sa consommation de viande et en profiter pour privilégier la qualité comme la propose la filière française semble clairement une bonne option à la fois pour notre porte-monnaie, notre santé et notre impact sur l'environnement.