Temps de lecture : 7 min
Qui n’a pas envie dans l’absolu de mieux manger ?
Plus sain, plus local, plus éthique, plus équilibré ? Il y a bien des gens que cela indiffère totalement, c’est certain, mais nous sommes de plus en plus nombreux à aspirer à mieux manger que ce soit par volonté ou sous la contrainte des injonctions médiatiques.
Faire appel à des sondages pour répondre à cette question ne sert donc à rien, sauf peut-être à semer le doute.
De toute façon, les sondages commençant par « les Français pensent que… » sont devenus totalement caduques. Ils agglomèrent non seulement une population archipellisée devenue extrêmement hétérogène mais en plus ils sous-estiment le poids de la contrainte économique lors du passage à l’acte.
C’est la fameuse différence entre le désir (le vouloir acheter) et la réalité (le pouvoir d’achat). Et puis, on mélange aussi produits et moments de consommation. On a envie de manger mieux, mais pas toujours et c’est bien cela le fameux paradoxe dont nous somme souvent accusés.
Afin de détendre le débat autour de la question, procédons tout d’abord à quelques précisions :
- Se poser cette question est a priori un « problème de riches » car il est important de rappeler que 800 millions de personnes dans le monde ne mangent toujours pas à leur faim et que l’impact du covid19 sera à ce titre désastreux. Pour certain, l’enjeux est déjà simplement de manger. Mais comme 1 milliard d’individus mangent mal et 1,6 milliard mangent trop, la question reste finalement totalement légitime.
- Le sujet est réellement d’une grande complexité car ce que nous mettons derrière le « bien manger » est non seulement variable d’une culture à une autre mais aussi d’un individu à un autre et enfin d’une époque à une autre. La vérité d’aujourd’hui ne sera certainement pas celle de demain.
- Enfin, nous ne sentons pas obligés de souscrire à une solution unique pour répondre comme par magie au « mieux manger ». En cela, notre époque nous pousse beaucoup trop aux raisonnements radicaux. Bien au contraire, il convient de se méfier de l’illusion de l’avènement d’un système unique qui consisteraient à « ne manger que 100 % local » (sans se soucier ni de l’impact pervers sur le reste de la population mondiale en matière de pénuries et de famines si l’on généralise ce raisonnement), consommer que du fait maison (sans se soucier de la variable temps que nous ne sommes plus franchement prêts à accorder aux fourneaux), consommer que du bio (sans se soucier non seulement de l’impact du prix mais aussi de la capacité de nos terres à y répondre pour nourrir l’ensemble de la population). Nous devons assurément privilégier la notion d’équilibre et reconnaître que ces solutions sont une partie seulement de la réponse et ne s’adaptent pas à tous les individus.
« La bonne bouffe, c’est ce qui est à la fois bon à manger et bon à penser. Il faut du plaisir, c’est évident, mais également de la conscience ».
Emmanuelle Jary dans « C’est meilleur quand c’est bon »
Bien manger recouvre deux dimensions étroitement liées et qui se complètent :
— La qualité du produit et ses bénéfices rationnels (l’alimentation est notre « fuel ») ou émotionnels (le plaisir qui en découle) qui y sont associés.
— La seconde, peut-être moins essentielle pour certaines personnes, ce sont les attributs auxquels nous croyons. On quitte parfois le domaine totalement rationnel pour se positionner dans celui de la croyance et donc le jugement. Hors sujet nutritionnel pur, ce n’est pas par hasard que nous employons les termes de « bien » manger ou, a contrario, de « malbouffe ». On parle alors de consciences alimentaires pour tous les thèmes sur lesquels notre alimentation peut avoir un impact : environnement, bien-être animal, économie, territoire…
Notre alimentation a toujours été sous influence. Comme le précise Bruno Parmentier dans une conférence sur Facebook, à l’origine, c’était plutôt le fonds de commerce des religions qui nous dictaient les interdits alimentaires.
Puis ce fut le tour de la science avec les prescriptions miracles des médecins possédant du savoir (comme par exemple la méthode du professeur Dukan).
Enfin, aujourd’hui, pour une partie des consommateurs, les régimes alimentaires comme par exemple le bio, le veganisme ou la raw food devraient s’imposer sur tous les autres systèmes du fait de leur supériorité supposée. Encore une fois, il est important que chacun pratique son alimentation de façon détendue comme on pratique a priori une religion.
« Ce que tu manges te constitue et ce que tu manges dessine ton monde ».
Arnaud Daguin
Mais regardons du côté du consommateur pour comprendre ce que lui met derrière ces notions en creusant la notion de qualité.
Quand on le questionne (source : Observatoire du Rapport à la qualité et aux Éthiques dans l’Alimentaire de l’Obsoco, 2020), il répond qu’un produit de qualité est un produit :
— Qui a bon goût, agréable à déguster (30 %) ;
— Qui est issu d’une production respectueuse (24 % – le point qui progresse le plus) ;
— Qui est bon pour la santé (21 %) ;
— Sûr, qui ne fait courir aucun risque (20 %).
À l’issue de cette étude, l’Obsoco conclut alors à une segmentation des consommateurs en 3 grandes catégories pouvant elles-mêmes se résumer en deux grands groupes. On le constate, si les adeptes du modèle alimentaire standard restent encore majoritaires, la part des adeptes de nouveaux modèles est tout de même de 41 %. En matière de « mieux manger », les choses évoluent, et plus vite qu’on ne le croit.
Pour faire avancer le débat, il est à mon sens important de parler de « mieux manger » plutôt que de « bien manger ». Cela lance le débat de façon moins morale et surtout cela permet à chacun de se sentir concerné dans une voie de progrès, à son rythme.
Mais il convient aussi de redéfinir le mieux manger par un socle collectif complété par des choix plus personnels.
Le socle de base peut être redéfini autour de principes clés :
- Sécurité alimentaire :la crainte de se faire empoisonner est vieille comme le monde mais elle resurgit fortement. Pourtant, le niveau de sécurité n’a jamais été aussi bon, en France tout du moins. La crise de la Covid-19 repositionne néanmoins cet impératif au cœur de la consommation.
- Le goût :véritable clé de voûte de l’alimentation à la française, il est associé au plaisir de bien manger. Pendant longtemps, il fallait se faire du mal pour se faire du bien. Certains produits dits diététiques ou bio tiraient alors leur crédibilité de leur appétence et expérience gustative austère. Aujourd’hui, le consommateur souhaite globalement concilier « santé » et plaisir.
- La santé : derrière ce thème on en trouve différents autres comme l’équilibre nutritionnel mais aussi la qualité des ingrédients, la limitation des additifs, la notion d’ultra-transformation…
Mais il faut également intégrer d’autres notions gravitant autour du repas, qui en font un acte culturel essentiel :
- Respecter les temps de repas et manger à heure fixe si possible autour d’une table (la commensalité) et en pleine conscience.
- Équilibrer alimentation industrielle et aliments bruts non transformés. Opter pour une alimentation 100 % maison me semble assez utopique dans nos sociétés mais renouer avec le plaisir de cuisiner est déjà un grand pas. En revanche, avoir l’œil au sein de son supermarché pour choisir les meilleurs produits (lire à ce sujet les travaux de Marmite et mon couteau) me semble être une bonne option.
- Adopter une alimentation variée car on peut manger de tout mais en ne pratiquant pas d’excès au quotidien. En revanche, craquer est possible et surement recommandé pour le moral mais pratiquer le snacking toute la journée pose évidement des problèmes. Si la part des protéines animales doit être revue au profit des protéines végétales, c’est l’opportunité de préférer par exemple des viandes françaises. Si l’on élargit un peu plus la question, il est évident que la pratique d’une activité sportive est recommandée, là encore dans une vision équilibrée de la pratique alimentaire globale.
- Privilégier les circuits d’approvisionnements courts pour les produits bruts. Même si cette recommandation est mise en difficulté par certains au titre de l’impact carbone, il est important de regarder les autres bénéfices associés (fraîcheur des produits, impact sur l’économie de son territoire ou encore capacité à nourrir le lien social avec son territoire proche).
- Respecter le cycle des saisons, ce qui permet de consommer souvent des aliments meilleurs en matières de goût et de qualité mais aussi moins chers. En cela, chaque mois, un certain nombre de sites publient la liste des fruits et légumes à consommer mais la saisonnalité existe également sur d’autres produits comme les poissons par exemple.
- Lutter contre le gaspillage en veillant à acheter et consommer ce dont on a besoin.
Pour le reste, c’est une affaire de conscience. Commerce équitable, environnement, bien-être animal, patriotisme économique… Les causes sont nombreuses et surtout restent très personnelles. Aucune d’entre elles n’a vraiment vocation à s’imposer mais il faut plutôt chercher à répondre à des groupes de consommateurs intéressés par tels ou tels engagements.
Ce que disent les experts :
- Côté PNNS, on peut lire qu’il « n’existe pas de recette ni de régime alimentaire miracle pour bien manger. Avant tout, cela revient à adopter une alimentation variée et équilibrée. En résumé, on peut manger de tout, mais en quantités adaptées, en privilégiant les aliments bénéfiques à notre santé (fruits, légumes, féculents, poisson…) et en limitant la consommation de produits sucrés (confiseries, boissons sucrées…), salés (gâteaux apéritifs, chips…) et gras (charcuterie, beurre, crème…) ».
- Pour Bruno Parmentier, économiste et spécialiste des questions autour de l’agriculture et de l’alimentation « bien manger en France, c’est d’abord manger comme un Français ».
- Pour le Think Tank Agridées, « bien manger cela s’apprend et prend du temps ».
- Anthony Fardet, docteur et chercheur en nutrition préventive, a mis en place la règle des 3 V. Selon lui, pour mieux manger, il faut suivre une règle simple :
— Végétal ;
— Vrais aliments ;
— Varié, si possible Bio, Local et de Saison.
- Arnaud Daguin, porte-parole et vice-président de l’association « Pour une agriculture du vivant » qui répondait à une interview pour StripFood « Bien manger : une culture à réapprendre et à redistribuer ».
-
- Christophe Lavelle, chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. « Bien manger : oui, mais comment ? »
- Sandrine Doppler, consultante et experte des sujets autour de la transition alimentaire : Une alimentation saine, kézako ?
En conclusion, mieux manger est avant tout une affaire de bon sens et d’équilibre mais aussi une démarche qui nous engage dans la durée. Un équilibre entre une base commune à tous (qui doit servir de repère) mais aussi des spécificités plus personnelles car en fin de compte l’enjeu le plus important est de se sentir bien. Un équilibre à trouver (et donc des choix à faire) entre plaisir et qualité, mais aussi plus que jamais accessibilité pour éviter de réserver le « mieux manger » à une élite qui pourrait accéder seule à une alimentation prétendue parfaite. Et pour vous ?!
Mieux manger doit se faire le plus souvent par conviction (‘‘consommer autrement’’), parfois par incitation et le plus rarement possible par obligation. Et sans laisser de côté ceux qui ne pourront suivre financièrement.
Yves Puget dans LSA