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Il y a plusieurs mois, j’ai réalisé un article sur « Marmite et Mon Couteau », un compte Instagram devenu site internet mais aussi webzine consacré au décodage des produits alimentaires de grande consommation achetés en supermarché.
A l’heure où le sujet de l’alimentation n’a jamais été aussi complexe à appréhender, la tentation d’en simplifier la lecture n’a jamais été aussi forte. Ainsi, à coups de petites notes ou de couleurs binaires (vert ou rouge), le consommateur est censé savoir si un produit est bon ou mauvais ! Ce serait si beau si c’était si simple.
L’ approche de « Marmite et Mon Couteau » prend, je le confesse, un peu plus de temps qu’un petit coup de scan via une appli mais le contenu est vraiment d’une grande qualité, toujours bien sourcé, avec une approche holistique de l’alimentation et extrêmement pédagogique et simple d’accès. Je vous le recommande sincèrement.
Mais la limite de cet outils de transparence était pour moi, justement, le manque de transparence sur son auteur. Alors je l’ai contacté et de façon très sympathique, il a accepté de répondre à mes questions. Je vous propose de découvrir le contenu de cette interview.
StripFood : Mais qui êtes-vous vraiment Marmite ?
Marmite : J’ai 31 ans, je suis originaire d’un petit village près de Saint-Étienne dans la Loire où j’ai grandi, ensuite j’ai fait mes études à Nantes et finalement j’ai atterri à Paris pour travailler. Après avoir travaillé dans des agences de publicité pendant quelques années, je me suis progressivement rapproché de ma passion (la cuisine et la nourriture, bien sûr) dans des start-up de la foodtech. Finalement, j’ai réalisé que j’étais plutôt fait pour un statut d’indépendant et j’ai commencé à créer mon propre projet. Ça a donné Marmite et Mon Couteau que j’ai lancé l’an dernier, d’abord comme un simple compte Instagram, puis progressivement comme un média à part entière. Mon objectif est d’aider les gens à mieux manger, ce qui est un vaste sujet.
StripFood : Quelles sont vos sources (a priori très bien documentées) pour évaluer ainsi les produits ?
Marmite : Comme c’est un sujet compliqué, j’essaie d’avoir une approche assez simple et compréhensible par tout le monde : pour bien manger, privilégier les aliments les plus simples et éviter les aliments sur-transformés industriels.
Ça paraît un peu bateau, mais en réalité cette vision de l’alimentation est fondée sur des études scientifiques très sérieuses. J’ai notamment été beaucoup inspiré par le travail du docteur Anthony Fardet et son livre Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai !, qui dénonce ces « faux aliments » comme étant les principaux responsables des problèmes de santé actuels (surpoids, obésité, diabète de type 2, maladies chroniques…).
Il s’oppose à l’approche « comptable » (ou réductionniste) qui considère les aliments comme une somme de nutriments (glucides, lipides, protéines, vitamines, etc.). Selon lui ce n’est pas la bonne méthode car elle ne s’attaque pas au vrai problème. Alors qu’elle est en vigueur depuis plus de 50 ans (c’est celle qu’on apprend dans les écoles de nutrition et de diététique) elle n’a réglé aucun problème de santé (au contraire, les maladies liées à l’alimentation augmentent).
Anthony Fardet promeut une approche plus simple et plus « holistique », une alimentation à base d’aliments naturels et entiers, avec une règle simple : « les 3 V » (manger Vrai, Varié, Végétal). Ça me paraît effectivement être la meilleure manière de bien manger, et c’est surtout beaucoup plus facile à comprendre pour la majorité des gens.
Cette approche ne demande pas de compétence technique particulière (ce que je n’ai pas) mais plutôt du bon sens. Les sources que j’utilise concernent principalement les additifs, pour lesquels des études sérieuses sont nécessaires. Je me sers de deux livres de référence : Le nouveau guide des additifs, d’Anne-Laure Denans (2017) et Additifs alimentaires, danger, de Corinne Gouget (2017).
Ceci dit, je passe beaucoup de temps à lire sur la nutrition pour confronter les idées et développer mon esprit critique.
StripFood : Que pensez-vous de Yuka ?
Marmite : Je suis assez mitigé. Yuka a enfoncé une porte qui était fermée depuis trop longtemps et a forcé tous les industriels à améliorer leurs produits pour ne pas voir fuir les consommateurs. Je trouve ça très bien car ça leur a redonné le pouvoir d’influer ce que qu’ils veulent voir en rayon.
Mais il y a quand même des défauts dans cette application. Yuka a justement cette approche « comptable » dont je parlais à l’instant. L’algorithme mélange tout un ensemble de critères chiffrés (taux de protéines, de lipides, de fibres, nombre d’additifs, etc.) pour en faire une note globale très catégorique. Qui plus est sur une base de 100 g, ce qui n’a parfois aucun sens. J’ai notamment vu une moutarde notée médiocre (45 / 100) car « trop salée », du chocolat noir 70 % noté mauvais (32 / 100) car « trop gras », ou une huile d’olive vierge extra notée seulement 67 / 100 car « trop calorique »…
Le problème, c’est que la plupart des gens ne savent pas juger si ces mentions sont pertinentes ou pas, ils font confiance à l’appli et regardent uniquement la note : si c’est rouge ils reposent immédiatement le produit en se disant « c’est mauvais pour la santé ». C’est vraiment dommage car aucun de ces produits n’est mauvais en quantité raisonnable. À l’inverse, de nombreux produits sont bien notés sur Yuka alors qu’ils sont sur-transformés et n’ont rien de bon pour la santé.
On voit ici toute la limite de l’approche « comptable » : elle complexifie tellement l’information que les gens ne comprennent plus ce qu’ils mangent et ont besoin d’une application pour leur « traduire » le résultat.
Ce que j’invite les gens à faire, c’est de laisser tomber ces applis et se poser de simples questions de bon sens : est-ce que je comprends ce qu’il y a dedans ? Est-ce que je pourrais avoir ces ingrédients dans mon placard ? Est-ce que ça ressemble à du fait maison ? Est-ce que ma grand-mère (ou une autre grand-mère dans le monde) aurait pu manger ce produit ?
Si la réponse est non, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un bon produit et je n’ai pas besoin de Yuka pour me le dire.
Au final j’ai quand même envie de croire que Yuka est mieux que rien. Avant, les gens achetaient des produits sans se poser de questions et faisaient sûrement des choix encore pires, guidés par le marketing des marques et les croyances populaires. Yuka permet aux gens d’éviter le pire même s’il y a quelques erreurs au passage. J’espère surtout que cette porte ouverte vers plus de transparence fera prendre conscience aux gens que la meilleure solution est souvent le produit le plus simple et le plus brut.