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Arnaud Daguin est né dans le Gers, dans une famille de cuisiniers restaurateurs. Son père André y possédait un restaurant deux étoiles à Auch. Après avoir lui-même exercé ce métier, celui qui se présente comme un « cuisinier-agitateur » se consacre aujourd’hui à des projets visant à transformer le système agricole et alimentaire. Il est à ce titre porte-parole et vice-président de l’association « Pour une agriculture du vivant ». Sa conviction ? « C’est par le sol, et ceux qui s’en occupent, que viendra cette grande transition alimentaire et sociétale dont nous avons besoin, si cruciale pour notre avenir commun. » Arnaud Daguin est également chroniqueur sur France Inter dans une délicieuse rubrique cuisinée saignante et aux petits oignons, « Le coup de lame » .
Au cours de cet entretien, nous échangeons sur le contexte actuel de crise, mais aussi sur sa vision de l’agriculture et de l’alimentation. Celui qui a déclaré, il y a peu de temps, que « le corona est une bonne branlée et c’est pas la dernière », livre une vision de l’agriculture et de l’alimentation positive et œcuménique. Il en appelle au développement de la prise de conscience mais n’attend pas pour autant le grand soir. Une de ses convictions, que je partage totalement, est l’importance de militer pour la propagation de la culture alimentaire, une arme redoutable pour reprendre conscience progressivement de la valeur de notre alimentation.
StripFood : J’ai l’impression que sur les sujets relatifs à l’agriculture et à l’alimentation, chacun est un peu trop expert dans son coin. Alors, comment avance-t-on ?
Arnaud Daguin : Il faut faire monter très vite et très fort le niveau culturel général concernant l’agriculture et l’alimentation en remettant ces sujets sur la table. C’est en faisant progresser le niveau de conscience que l’on va progressivement permettre de mieux reconnaître et rémunérer les valeurs qui en découlent.
Quel est le principal enjeu pour notre agriculture ?
Depuis qu’homo-sapiens a été acculé à la production et qu’il est passé de ceuilleur à producteur, au début du néolithique, il y a une constance dans la production agricole qui est de fabriquer du désert. De cette façon, on profite des sols que nous donnent les forêts primaires, qui sont des sols extrêmement riches, on les défriche et les utilise au maximum. La monoculture épuise le sol nourricier au lieu de l’aider à se nourrir et favorise ainsi l’érosion.
Pour stopper cette démarche létale de désertification, l’enjeu n’est pas pour autant de revenir en arrière car il n’y a jamais eu vraiment de bonne agriculture. Aujourd’hui, il faut que nous ayons un véritable moment civilisationnel un peu lourd et que, de façon collective, nous décidions que notre agriculture doit se faire avec le vivant et non pas en lui foutant sur la gueule dessus tout le temps.
De quoi souffre vraiment notre agriculture aujourd’hui ?
Je connais très peu d’agriculteurs qui n’aient pas de problème. Dans un monde idéal, l’agriculture est une production de biomasse permettant à la fois de nourrir les sols, les bêtes et les hommes mais également de faire du matériau et de l’énergie. Pour arriver à cet idéal et que ce soit vraiment durable, nous avons alors cinq azimuts à avoir en ligne de mire en permanence. L’enjeu est de tendre vers eux cinq en même temps.
- Le carbone : nous avons trop de carbone dans l’atmosphère. Nous avons besoin d’une agriculture qui puisse le capturer en masse et le fixer dans nos sols.
- L’eau : nous avons besoin d’une agriculture qui fasse des sols poreux, structurés et perméables qui infiltrent, filtrent et stockent un maximum d’eau.
- La biodiversité : comme le dit Konrad Schreiber, « en agriculture, la biodiversité ça ne se protège pas. Ca se produit ou ça se détruit ». Nous avons besoin d’une agriculture qui produise de la biodiversité à partir du sol.
- La qualité nutritionnelle des aliments que l’on consomme.
- L’indice de bonheur intérieur brut à la ferme : c’est avoir des paysans contents qui se lèvent le matin en sachant pourquoi et avec le sentiment de rendre service à la communauté en la nourrissant de façon correcte et durable au service de la vitalité des territoires.
Maintenant, pour y arriver, ce qui est important, c’est de ne pas mettre les « chapelles » dos à dos mais côte à côte car entre les petits et les gros, les bio et les pas bio… il y a de la place pour tout le monde.
Mais alors comment fait-on pour ne pas revenir en arrière ?
Effectivement, cette bonne branlée ne sera pas la dernière. Elle ne suffira pas à nous faire prendre conscience de tous ces enjeux. Mais dans une phase de transition, si nous sommes suffisamment nombreux à être conscients de tout cela, alors on peut tendre vers ce mieux, par étapes, en prenant des marches. Je reste optimiste et je suis vraiment curieux d’y assister.
Mon amie Carole Delga (présidente de la Région Occitanie, ndlr) affirme que « quand on prend son alimentation en main, on prend sa vie en main ». Moi, j’ai une autre phrase de mémé : « Ce que tu manges te constitue et ce que tu manges dessine ton monde ». Quand tu as compris ça, il n’y a plus qu’à s’y mettre.
Encore une fois, nous avons face à nous un véritable défi collectif civilisationnel. C’est celui de nous réconcilier avec notre milieu naturel. Je trouve cela juste incroyable. Nous devons le faire pour les futures générations.
Je suis persuadé que l’on peut faire bouger les choses si on n’oublie pas d’associer l’alimentation à la notion de plaisir et pas uniquement à celle de contrainte. Or notre époque ne vit-elle pas sous le joug d’une forme de dictature du bien manger propulsée par certains outils qui distribue des notes ou des couleurs ?
On n’a pas besoin de directeurs de consciences. Je supporte vraiment très mal que l’on fasse la confusion entre l’alimentation et le code de la route. On fabrique des zombies avec ça. De notre côté, avec Ver de Terre production, nous travaillons sur une plateforme open source de l’agro, un projet passionnant qui englobe l’ensemble des dimensions de l’agro.
On dit que mieux manger coûte plus cher, mais pas forcément si l’on accepte d’y accorder plus de temps ?
Il manque le partage et on y est. Il faut retrouver de l’intimité avec notre alimentation et le faire avec bienveillance et sous le signe du plaisir car bien manger c’est très bon, simplement. C’est une culture qu’il faut que l’on reprenne et redistribue. Regardez en ce moment tous les chefs qui aident les hôpitaux pendant la crise du covid-19 : ils réalisent que même la cuisine collective est quelque chose de noble qui mérite qu’on y prête une véritable attention.
En +
> Bien manger en restauration collective, c’est possible ! La preuve avec le collège de Bléré en Indre-et-Loire, lors d’un reportage de Périco Légasse pour l’émission « Manger c’est voter » sur Public Sénat (à partir de 8’50).
> Le coup de lame d’Arnaud Daguin sur France Inter (les épisodes précédents)
Crédit photo : Pauline Daniellou
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