Temps de lecture : 7 min
Le marketing est au cœur de notre alimentation. Plus ou moins visible, il nous influence. Alors il est de bon ton de le conspuer, surtout quand il se fait irritant – quitte à se tromper de sujet. Ce qui est certain, c’est que la vision fantasmée de l’agro-alimentaire (et de l’agriculture) nourrit directement le « food bashing » ambiant.
Cette réflexion sera suivie dans quelques jours d’une interview de David Garbous, fondateur de « Réussir avec un marketing responsable » et qui en appelle à la formation urgente des équipes marketing en entreprise.
Stéphane BRUNERIE.
Il ne se passe pas une journée sans que j’entende l’expression « non mais ça, c’est du marketing ». Comprenez : une arnaque, un mensonge, une manipulation insidieuse. Alors, après avoir passé plus de vingt ans de ma vie à faire du marketing, je me pose naturellement les questions suivantes : le marketing ne serait-il pas un des pires maux dont souffre notre société ? ; doit-t-on vraiment crucifier le marketing ? ; Mon job est-il amoral, voire dangereux ? ; le marketing a-t-il encore du sens et de la valeur dans notre société ? ; et puis au final, les approches anti-marketing n’incarnent-elles pas le stade ultime du marketing ?
Pour m’aider à cadrer ma réflexion, j’ai décidé d’appréhender le sujet au travers de la marque, clef de voûte de la démarche marketing.
Le marketing, qu’est-ce que c’est ?
Selon le site e-marketing, le marketing peut être défini comme « l’analyse des besoins des consommateurs et l’ensemble des moyens d’action utilisés par les organisations pour influencer leur comportement. Il crée de la valeur perçue par les clients et adapte l’offre commerciale de l’entreprise aux désirs des consommateurs ».
Alors soyons clairs : la démarche est clairement destinée à vendre (des produits, mais aussi des services ou encore des idées, voire des personnes) en utilisant l’influence comme moteur de persuasion. Mais on le voit également, c’est une démarche qui s’appuie sur l’analyse et la compréhension des besoins des consommateurs.
Pendant longtemps, on a considéré le produit comme un des éléments du marketing traditionnel dit des « 4 P ». On verra que la place du produit est certainement beaucoup plus forte que celle qu’on lui a conféré pendant des années et que c’est entre autres à ce niveau que le marketing doit évoluer.
Clef de voûte de la démarche dite de marketing, la marque est, comme le disait Michel Serres dans la Revue des Marques, « le plus vieux métier du monde ».
« Les putains laissaient leurs initiales sur le sable de la plage. Leurs clients éventuels pouvaient les suivre à la trace, car elles se chaussaient de sandales dont la semelle, imprimée, portait en relief la marque de leur petite entreprise. Cela se passait jadis sur les rives méditerranéennes d’Alexandrie, à la fin de l’Antiquité. »
Michel Serres
La marque est un lien, un vecteur de sens bien pratique pour se repérer. C’est l’expression-même de la stratégie marketing.
Le marketing, un levier puissant pour créer du sens et donc de la valeur
Dans la démarche commerciale globale, le produit et les émotions qui s’en dégagent (gustatives en premier lieu, bien entendu) sont certainement l’aspect le plus important. Mais un produit doit également se raconter et se valoriser. Pourquoi ? Ne dit-on pas à juste titre parfois que tel produit ou telle démarche mériterait d’être connue ? Car un bon produit doit être reconnu pour se différencier et c’est le rôle de la marque qui va l’envelopper.
À l’origine, les marques de distributeurs – voire même les hard-discounters – promettaient le meilleur du produit sans les coûts associés au marketing. Mais ce temps semble être derrière nous. Preuve en est avec les publicités Intermarché, une enseigne qui se rêve de devenir une marque émotionnelle à grands coups de campagnes nous parlant carrément d’amour.
En effet, notre façon de consommer n’est pas totalement rationnelle. La preuve, nous mangerions certainement tous du Feed. Non, notre façon de consommer intègre aussi des aspects émotionnels et nous recherchons entre autres à travers l’acte de consommation alimentaire du plaisir.
Cette création de valeur basée sur l’émotion des histoires, des signes, des mots ou encore des expériences donne de la valeur au produit, que l’on ne consomme pas de la même façon. Nous y associons tous des choses différentes, que ce soit un simple souvenir ou même parfois une émotion. Les marques – dont les marques alimentaires – sont des repères générationnels auxquels on se réfère encore. Témoins d’une époque, elles véhiculent parfois une partie de notre histoire.
Le marketing permet donc de faire connaître des produits en les mettant en valeur. Cette valeur représente un des principaux actifs de l’entreprise à travers sa réputation. Selon Digimind, la réputation d’une entreprise représenterait un quart de sa valeur. Dans la réalité, c’est sûrement beaucoup plus. Et puis la démarche marketing est partout et nous faisons nous-mêmes du marketing de soi. Mais ce petit « supplément d’âme » vaut-il vraiment son prix ?
Pour répondre à cette question, cela dépend en effet du « produit » concerné mais aussi de la façon dont on utilise le marketing.
Des prises de consciences aux nouvelles exigences
Nous avons vécu des années de grande consommation où nous n’avions pas vraiment conscience de tout ce que l’on peut aujourd’hui connaître. Le contexte était aussi bien différent et l’on prenait les questions autour de l’environnement et du développement durable clairement moins au sérieux qu’aujourd’hui. Dans cette ère, certaines marques ont eu ainsi tendance à plus investir en storytelling qu’en qualité.
La notion de qualité produit était alors beaucoup moins approfondie qu’aujourd’hui et il suffisait pour animer les marques de parler de plaisir ou de convoquer l’imaginaire pour vendre des produits dont la qualité se standardisait massivement.
Finalement, certaines marques nous vendaient plus un idéal de vie ou des valeurs qu’elles ne nous parlaient réellement du contenu de leur produit kit, même parfois (pour certaines) en en profitant pour raboter un peu la qualité au passage.
De « Martine à la ferme » à « Tricatel », le désenchantement
Et puis, le marketing est certainement allé trop loin dans l’idéalisation. Des décennies durant, la communication a précipité parfois un imaginaire de production proche de « Martine à la ferme » que le consommateur d’aujourd’hui positionnerai (tout aussi abusivement) plutôt volontiers du côté de Tricatel.
On a même certainement raconté beaucoup trop de salades comme par exemple avec le terme contemporain de « detox », certainement le concept le plus creux qu’ait put enfanter le marketing moderne. C’est le désenchantement que nous vivons depuis quelque temps qui aboutit à une énorme crise de confiance envers les marques et leur marketing.
Pourtant nous n’avons jamais été bien dupes, comme en témoignait déjà les sketches des Nuls à leur époque, mais aussi plus récemment la parodie de la publicité de la Laitière par Florence Foresti dans le Palmashow.
Alors oui, la réalité est souvent beaucoup plus fade que dans les histoires marketing. Le marketing sublime mais jusqu’où ? C’est la question sous-jacente de cet épisode de Cyprien.
Mais le marketing touche aussi ses limites quand il s’agit de discours ambigu comme dans le cas de la communication des allégations « sans ». Induisant de façon indirecte une notion de qualité plus globale, elle peuvent dissimuler bien d’autres choses. C’est le sujet que j’abordais dans l’article La lecture au pied de la lettre de notre alimentation a t-elle un sens ?
Quel avenir pour les marques et le marketing ?
Les marques ont encore un bel avenir mais elles doivent se réinventer.
La confiance envers elles n’a jamais été aussi basse et, dans ce contexte, des démarches innovantes – comme « C’est qui le Patron » qui co-développe des produits avec les consommateurs citoyens – tentent une véritable démarche d’ubérisation des marques. Les consommateurs sociétaires fixent eux-même le prix de leurs produits et ont ainsi la garantie de ne payer que pour du marketing. Pour autant, cette démarche ultra-vertueuse est actuellement reprise par des marques nationales qui l’intègrent à leur discours comme par exemple les laitiers responsables de Candia. Signe de la revanche de la marque à grande échelle ?
Le défi de la confiance
Oui, la marque a encore de très beaux jours devant elle en alimentaire. Notre charge mentale ne noue permet clairement pas d’assimiler la prolifération des labels, démarches responsables, équitables ou autre informations nutritionnelles. Dans ce contexte, la marque a peut être cet ultime pouvoir de synthétiser tout cela mais en plaçant haut la barre en matière de responsabilité. Le challenge de la marque pour demain reste donc la confiance. Il faut réinventer ce contrat qui unit l’entreprise avec les consommateurs pour que la marque soit un outil de repère et de sens. Il est par conséquent capital de repenser la façon dont nous faisons le marketing.
Plusieurs pistes de réflexions à prendre en considération pour y travailler :
- Repositionner le produit au cœur de la démarche de l’entreprise et donc au cœur du marketing en faisant évoluer les offres,
- Adopter une posture de transparence et de pédagogie pour en expliquer les évolutions et parfois même les choix contraints car le « food-bashing » est souvent lié à un manque de connaissance et donc une vision fantasmée de la réalité,
- Repenser ce contrat de confiance qu’est la marque en y intégrant la dimension sociétale et environnementale mais en veillant à rendre ces engagements concrets,
- Eviter la tentation des allégations « paravent » au profil d’un discours plus global autour de la qualité de l’alimentation,
- Regagner en humanité en visant l’humilité et en assumant ses imperfections (malgré les tentations un peu trop faciles de « name & shame ») plutôt que de s’imposer comme un donneur de leçon à l’ambition de changer le monde,
- Rester à l’écoute de son époque et de ce que souhaite le consommateur mais également savoir faire le tri au milieu d’injonctions parfois contradictoires et de « fausses bonnes idées » et ainsi éviter de sombrer dans le « populisme alimentaire » et l’uniformisation des discours,
- Rester positif en évitant notamment de surexploiter les angoisses du consommateur.
Le marketing doit être au service du produit
Enfin, il faut que les marques et le marketing s’intègrent à la vie des consommateurs et citoyens comme ils s’intègrent aux particularités des réseaux sociaux, c’est-à-dire en acceptant de ne pas être le sujet principal de l’histoire mais bien un fragment de notre culture au service de la valorisation du produit qui est en train de signer quant à lui, son grand retour.
Pour aller plus loin :
- « Prémium médiocre, l’illusion du luxe » par Delphine Le Goff dans Stratégies
- « No Fake » de Jean-Laurent Cassely
- « Quand toutes les marques disent et font la même chose » de Gilles Fraysse dans Les Echos
- « Influence : si les activistes font le plus de bruit, ce sont les « engageants » qui peuvent faire changer les choses » par Henry Peyret dans StripFood
- « Avons-nous vraiment conscience des implications de nos revendications alimentaires ? » sur StripFood