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Dans un contexte où les consommateurs sont à la fois mieux informés et plus exigeants, certaines marques adoptent une stratégie pour le moins paradoxale : elles choisissent d’effacer des mots-clés censés valoriser leurs produits. « Bio », « végétal », « vegan » et autres termes différenciants disparaissent ou se font plus discrets de certains packagings et devantures. Des mots-valises devenus flous, encombrants, voire de véritables freins à l’achat. Et si la fragmentation de la consommation devait imposer aux marques de faire des choix beaucoup plus affirmés ?
Des mots qui divisent et font écran
À travers des échanges avec des acteurs de l’agroalimentaire et de nombreuses observations, je constate depuis quelques temps, que certaines marques et entreprises prennent leurs distances avec des termes devenus tantôt trop « mainstream », tantôt trop segmentant et parfois vidés de leur sens initial.
Prenons l’exemple de Juste Bio, leader français du vrac bio, qui annonce devenir Juste pour asseoir sa notoriété en grande distribution. « Nous voulions montrer que nous étions avant tout engagés pour une alimentation responsable, mais pas uniquement définis par un label », explique Franck Bonfils, président d’Un Air D’ici dans une interview pour le magasine Plan Bio. Sur le nouveau packaging, le logo AB reste visible, mais discret.

De son côté, la marque Funky Veggie est depuis quelques mois devenu Funky. « En 2016, ‘veggie’ était synonyme de produits sains. Mais aujourd’hui, il est source de confusion. Certains consommateurs associent ‘veggie’ aux steaks végétaux et se sentent exclus. Le terme ne nous ressemblait plus et il est même devenu un frein », explique sa cofondatrice Camille Azoulay sur son compte Linkedin.

Contrairement au label AB, le terme « veggie » n’est pas encadré. Pour la marque, plus question de s’associer à un mot devenu beaucoup trop flou.

Le « veggie » s’affiche partout.
Quand le label peut devenir un fardeau
Certains termes, au lieu d’attirer, freinent l’expansion des marques au-delà d’un cercle restreint de convaincus. Un produit avec le label ou le terme « Bio » est automatiquement perçu comme plus cher et peut parfois même être associé à une qualité gustative inférieure. « Vegan », quant à lui, peut être jugé radical, effrayant les consommateurs traditionnels.
Même des figures engagées comme Rodolphe Landemaine, fondateur des boulangeries Land & Monkeys, dans une interview pour The Guardian déclare éviter le terme « vegan » au profit de « végétal », et encore, en petits caractères. « Végan, j’aime pas, mais vous, oui ! » plaisante-t-il sur les réactions de ses clients.

Rodolphe Landemaine, fondateur des boulangeries Land & Monkeys, dans une interview pour The Guardian déclare éviter le terme « vegan » au profit de « végétal ».
Amanda Yahia, la fondatrice de La Fourchette Paysanne à Tours, a fait le choix de ne pas afficher le logo AB. « Il y a une méfiance croissante envers le label bio, alimentée par des rumeurs sur les réseaux sociaux et la multiplication de labels flous comme le HVE (Haute Valeur Environnementale) ou l’‘agriculture raisonnée’. Pourtant, il n’y a aucune raison de s’en méfier. La bio a un cahier des charges très exigeant et ultra contrôlé en France, et il est donc difficile de frauder ce label ». Elle préfère donc miser sur la communication d’engagements concrets via des affiches pédagogiques.

La Fourchette Paysanne a fait le choix de communiquer sur les engagements de la Bio plutôt que d’afficher le logo AB. Pour sa fondatrice, pour promouvoir le bio, il y a un vrai travail d’éducation en profondeur à faire et cela ne peut passer par les techniques marketing classiques. En devenant de plus en plus « mass market », le label AB utilise, selon elle, des arguments de communication beaucoup trop généralistes.
Les chiffres confirment cette défiance : 62 % des Français estiment que le bio est surtout du marketing, et un sur deux exprime des doutes sur sa véracité (Obsoco pour Agence Bio, 2024). Il faut dire que le label AB, pourtant le label le plus exigeant et le plus contrôlé, est utilisé à la fois par des marques pionnières ultra engagées et d’autres, beaucoup plus opportunistes. Au delà, la multiplication des labels et signes de qualité en tout genre génère de la confusion.

Amanda Yahia déplore la communication qui instaure la défiance envers l’agriculture bio. Prenons l’exemple de ce post de Mac Lesgy sur le réseau X au lendemain d’un reportage de M6 sur les polluants éternels dans lequel cette agriculture était plutôt valorisée. Au milieu de cette cacophonie, les consommateurs ont de quoi être franchement perdus.
Un repositionnement pour toucher un public plus large
En effaçant des mots potentiellement clivants, les marques cherchent avant tout à élargir leur audience. Certaines estiment aussi que leur engagement dépasse le simple cadre des labels. C’est le cas de nombreuses marques de la Bio au cahier des charges beaucoup plus exigeant que le simple logo AB que ce soit sur les ingrédients, les emballages ou encore les aspects de justice sociale.
Vers une nouvelle communication alimentaire ?
Cette tendance à la discrétion interroge :
Quel place doivent occuper les engagements dans la communication des marques ?
Les labels et dénominations traditionnelles sont-ils devenus obsolètes ? Si les marques les masquent, c’est peut-être parce que les consommateurs n’ont pas toujours confiance, alors qu’ils sont pourtant de véritables tiers de confiance pour des consommateurs à la recherche de repères et de preuves.
Peut-on vraiment réunir sous une même bannière de labels des offres aussi différentes ?

Céréales bio Grillon d’Or chez Biocoop (avec un logo AB discret) Vs Céréales bio Nestlé Chocapic en GMS (avec un bio fanfaronnant) : 2 salles, 2 ambiances.
En se massifiant, le bio adopte un marketing de masse. Ne risque t-il pas d’être perçu comme trop généraliste et manquant de spécificités aux yeux des consommateurs et notamment de le frange des plus engagés ?
Ce mouvement peut-il initier une redéfinition des codes du marketing alimentaire ? Un retour à l’essentiel, où les actes comptent plus que les mots.
La fragmentation de la consommation va certainement à l’avenir imposer aux marques de devoir faire des choix plus affirmés. Cela peut mettre en péril les labels pas assez distinctifs, ainsi que les mots valises et termes galvaudés mélangeant désormais des choux et des carottes.
