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Portée par les tensions inédites autour de l’énergie, la sobriété est de plus en plus présente dans les médias. Pour éclairer ce mot que 50% des Français associent au fait de « consommer à la fois moins et mieux » (IFOP, 2022), j’ai échangé avec Brian Jourdan, un jeune Chef tourangeau à la tête du projet B.ees & Birds. À travers l’éducation populaire par l’art et l’alimentation, il invite à l’exploration de sujets complexes pour faire changer le monde en profondeur avec comme mot d’ordre, rendre cette sobriété la plus désirable possible. Une rencontre qui questionne et qui confirme l’incroyable puissance que nous avons à travers nos coups de fourchettes.
À nouveau sauvages – Ramó
Formé à la gastronomie, Brian Jourdan, 26 ans, est le créateur de l’association B.ees & Birds (les abeilles et les oiseaux en français, NDLR). Face au défi climatique qui s’annonce, le jeune homme est convaincu que la sobriété n’est plus une option et qu’il faut désormais s’y préparer positivement. Misant sur les forces collectives autour du partage des connaissances et des savoir-faire, il a choisi de partir en croisade pour rendre cette sobriété désirable et sensibiliser un maximum de personnes autour de lui. Ses armes de construction massive ? L’art et l’alimentation. Ces deux disciplines permettent de développer les connaissances, créer des émotions et rendre ainsi des moments parfaitement mémorables. Elles permettent également de créer de nouveaux récits dont notre époque manque cruellement pour avancer.
L’alimentation, le fil conducteur de sa vie
Sur son profil Facebook, Brian se présente comme « créateur de cultures, initiateur de dialogue, amoureux du monde et de la vie ». Nous nous sommes rencontrés à la Banque Alimentaire de Touraine, où nous étions tous les deux bénévoles. Rapidement, nous nous sommes retrouvés autour d’une passion commune : la bouffe !
Brian a un CAP de cuisine, un diplôme de sommelier et un autre de barman. Il a également effectué une formation sur l’esthétique culinaire à l’École Ferrandi à Paris. Mais il a surtout une très grande culture et une envie pressante de la partager autour de lui.
Après avoir travaillé dans la restauration en France, il s’exile en Angleterre où il fera pendant un temps ses armes chez Gordon Ramsay, avant de revenir à Paris. Il devient alors Chef du restaurant de la librairie anglaise Smith&Son, une institution datant de 1870.
Pour mobiliser face au défi climatique, la sobriété doit être avant tout désirable
Mais le jeune homme a désormais autre chose en tête. Particulièrement traumatisé par la crise climatique et un effondrement qu’il juge désormais inévitable, il souhaite œuvrer pour augmenter la capacité de résilience de ceux qu’il appelle « les sapiens ». À la tête du collectif artistique B.ees & Birds, il veut ainsi contribuer à la création d’expériences et de nouveaux récits qui encourageraient les citoyens à davantage de partage et de sobriété. Sobriété qui ne sera bientôt plus que la seule option possible selon lui. Mais pour convaincre et mobiliser autour de cette idée qui prône avant tout un rééquilibrage de nos comportements, il faut rendre cette sobriété désirable.
Nous devons réintroduire de la diversité dans nos assiettes
Pour lui, le concept de sobriété commence par réfléchir, pour chacun d’entre nous, aux choses qui nous sont vraiment essentielles. Cela concerne à la fois nos déplacements, l’énergie que nous utilisons, notre consommation de biens, d’informations et, bien entendu, notre alimentation. Selon lui, nous devons clairement revoir la façon dont nous nous alimentons en réintroduisant en priorité la diversité dans nos assiettes. Tout cela permet à la fois de limiter son impact sur l’environnement, mais aussi, mécaniquement, de dépenser moins (l’équation « ne pas gaspiller / acheter uniquement de saison / cuisiner un peu plus / rééquilibrer l’apport de protéines végétales et animales est une bonne voie pour réduire le coût de son alimentation NDLR), une action doublement gagnante. Mais la sobriété, c’est aussi la sobriété mentale, autrement dit apprendre à ralentir et à se reconnecter avec la réalité en regardant les choses simplement telles qu’elles sont vraiment.
Face à ce contexte plutôt anxiogène, le jeune homme, extrêmement mature, se montre pourtant étonnamment confiant et évoque la montée d’une solidarité exceptionnelle que nous avons vécue tous ensemble pendant la période de la Covid. Pour lui, c’est certain, l’issue sera positive, car les situations de crise et de grand stress sont toujours extrêmement riches et formatrices.
Une ambition matérialisée par l’art et la cuisine
Cet artiste (musicien et compositeur, il vient de signer son tout premier clip) à l’imagination débordante a donc identifié un certain nombre d’activités pour rendre vraiment concrète son ambition, devenue sa « mission de vie ».
« There’s Plenty of Fish In The Ocean », le premier clip de B.ees & birds
Ses moyens seront l’éducation populaire et participative par l’art et l’alimentation, deux leviers pour faire changer le monde en profondeur. Si le rôle de l’art est de rendre des moments mémorables en créant des émotions, l’alimentation est un incroyable outil pour créer du lien, initier les échanges et mettre les gens autour d’un récit commun. Tout commence en effet par un repas partagé autour de la table.
Parmi les actions qu’il a imaginées, il y a des ateliers autour de la cuisine qu’il dispense déjà. Ces ateliers ont pour ambition d’approcher la sobriété par l’expérience mais aussi, bien entendu, d’encourager le lien social. Il y enseigne entre autres des recettes antigaspi, mais également d’autres sans grammages, une façon moins contraignante d’embarquer des publics très différents, qui sont parfois bien loin d’être des experts. Pour lui, il faut absolument lutter contre l’élitisme de la cuisine et la rendre accessible au plus grand nombre. Le fait de préparer et de déguster ensemble est également un beau moment de partage, toujours riche en émotions et en partage de connaissances.
Un exemple d’atelier de cuisine à Tours
Brian travaille également (seul ou en collectif) sur toute une série de ce qu’il nomme OCI (Objets Culturels Inspirants) et HCI (Hybrides Culturels Inspirants). Ces projets, qui peuvent se matérialiser sous forme de films, de livres ou d’écrits sont destinés à rassasier (l’estomac tout comme l’esprit), faire réfléchir, rêver et rendre la sobriété désirable.
À titre d’exemple, il y a entre autres le projet d’écriture d’un livre intitulé provisoirement Post Trinity, en clin d’œil à la Sainte Trinité. Dans cette dernière, si le Père pense aux générations futures et le fils pense à ses proches, le Saint-Esprit a une fonction de passeur. Dans son récit, Brian imagine donc une société où la religion consumériste serait remplacée par un projet centré autour de la nécessaire transmission et du partage entre les individus pour éviter la déchéance et l’isolement.
Et parce qu’il croit à la puissance du collectif pour se stimuler et avancer, il a imaginé également des opérations artistiques « avec les moyens du bord » misant sur la participation et l’action du public. Pour lui, le rôle de l’art est avant tout de rendre des moments mémorables et de participer ainsi à diverses prises de conscience pour marquer vraiment les esprits.
Enfin, car il est important d’avoir un lieu pour agréger les différents contenus produits, les savoirs et retours d’expériences, Brian va mettre en place un écosystème digital dédié à ces partages si précieux.
Cette idée que l’on pourrait – à un moment donné – se contenter de ce qu’on a obtenu, le regarder, le soupeser, le savourer et se dire en conscience, qu’on n’a pas besoin d’en avoir plus, dessine un chemin de progrès qui fait écho à la plupart des défis qui se dressent devant nous en tant que civilisation. Xavier Alberti
« Bread is gold » (le pain, c’est de l’or) : la délicieuse recette antigaspi pour recycler son pain rassis par B.ees & birds
Pendant que nous parlons, Brian me cuisine un plat. Fidèle à sa logique de fonctionner avec « les moyens du bord », il commence par ouvrir son frigidaire pour identifier les denrées périssables à travailler en priorité. Il découpe ensuite des oignons qu’il fait revenir dans une cocotte avec de la sauce soja. Il choisit ensuite « la base » de sa recette avec un mélange de légumineuses (pois cassés et lentilles corail) qu’il agrémente d’une sélection d’épices. Pas de proportions précises mais un contrôle régulier des équilibres entre le goût et la texture. À la fin, il choisit de rajouter un peu de sauce harissa pour relever le tout. Brian n’est pas végétarien mais il n’a pas utilisé de viande dans sa recette. Il me confie qu’il aime souvent ajouter des anchois comme source de protéines et pour relever les saveurs. En revanche, il découpe quelques petites tranches de fromage de Sainte-Maure-de-Touraine qu’il laisse fondre sur sa préparation pour encore plus de gourmandise. Pour jouer avec les textures, il saupoudre à la fin quelques amandes écrasées avant de servir.
Le plat que l’on a partagé était vraiment délicieux et le moment passé à échanger avec lui tout autant.
Pour en savoir plus, suivre et rejoindre son projet : https://linktr.ee/beesandbirds
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