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Comme tous les ans à la même époque, les incontournables et interminables dîners de réveillon se profilent, avec un redoutable doublé Noël / Nouvel An qui laisse souvent peu de répit aux corps repus. Sources de réjouissances pour les uns, d’angoisses pour les autres (l’un n’excluant pas forcément l’autre), ces moments passés ensemble à table sont aussi d’excellentes occasions de se mettre sur la gueule lors de débats tendus qui permettront de confronter les opinions aussi divergentes que tranchées de vos commensaux.
Bien sûr, la politique est un terrain de choix, et le tout récent vote de la nouvelle loi sur l’immigration vient à point pour fournir un tremplin idéal à vos pugilats. De même, l’écologie est une autre valeur sûre ; heureusement, d’autres ont pensé à vous pour vous fournir quelques armes.
Aussi, concentrons-nous ici sur ce qui anime ce média, à savoir l’alimentation, en commençant par une mauvaise nouvelle que le réalisme nous impose : que vous choisissiez la tradition ou la rupture, vous n’échapperez pas aux ronchons, qui sont aujourd’hui légion.
Dans la première option, l’incontournable foie gras, d’oie ou de canard, déclenchera immanquablement le « et si c’était des chatons mignons que l’on gavait, tu en mangerais aussi ? » [réponse : non, notre alimentation étant fortement culturelle]. Le homard ne fera pas mieux. Et à ce stade, vous sentez bien, au moment d’apporter le filet de biche, que ce n’est pas la peine d’essayer de lutter côté argumentation, l’enjeu étant simplement de faire en sorte que tout le monde reste à table. Et si vous pensiez être sorti d’affaire au moment du dessert, que vous imaginiez naïvement être plus rassembleur, la désillusion ne tarde pas, cruelle : « quoi ? Un gâteau aux framboises ?? Non mais c’est PAS la saison ! Tu ne vas pas me dire qu’il n’y avait plus de bûches au chocolat chez ton pâtissier !?» [réponse : alors, tu vas te calmer avec tes indignations à deux balles et rester un peu pragmatique et quantitatif dans tes combats, parce que les framboises, même cultivées sous serre chauffée, ont une empreinte carbone d’environ la moitié de celle du chocolat -7kg contre 14kg eqCO2/kg-, sans compter les grammages qui n’ont rien à voir]. Ceci étant, par soucis d’honnêteté intellectuelle, il ne s’agit pas de convaincre que la framboise en hiver est une bonne idée, mais plus simplement qu’il ne faut pas pointer du doigt la paille quand on a des poutres à côté.
Maintenant, on peut aussi choisir de laisser tomber la tradition et tenter d’innover pour trouver l’apaisement à travers un menu végétalien censé être plus inclusif. Bien sûr, vous sentez déjà les regards mi goguenards / mi révoltés des hôtes qui n’aiment pas être bousculés, surtout en cette période « sacrée » de l’année. Et pourtant, là encore par soucis d’honnêteté intellectuelle, force est d’admettre qu’avec un peu de travail et d’imagination, on peut réaliser un excellent dîner végétalien (si, si). Pourquoi ne pas opter par exemple pour un velouté de butternut du plus bel effet, légèrement relevé d’une touche de vanille et quelques brisures de châtaignes, suivi d’un risotto bien crémeux agrémenté de quelques gros champignons dont la saveur umami vous fera (presque) oublier l’absence de viande, et pour finir, un bel agrumier (c’est-à-dire comme un fraisier… mais avec des agrumes, beaucoup plus de saison).
Après, n’oublions pas que la cuisine, ce n’est pas que des calories et des gaz à effet de serre, c’est aussi du plaisir, du partage, de la culture, et qu’on a bien le droit une fois dans l’année de vouloir se retrouver autour d’une table quelque peu excessive, ni frugale ni durable mais rassurante car familière, quitte à faire en sorte que chacun puisse remplir différemment ses assiettes. Peut-être est-ce d’ailleurs l’occasion de remettre le service à la française au goût du jour, en proposant plusieurs options dans lesquels chacun piochera selon son degré de fantaisie… et d’orthorexie ? Et c’est peut-être aussi l’occasion d’enfin donner au flexitarisme une définition valable, à savoir non pas celle d’un « omnivorisme responsable », qui ne veut pas dire grand-chose, mais plutôt celle d’un végétarisme ou végétalisme assumé qui n’exclut pas pour autant de la société. Ainsi, le vrai flexitarien, c’est celui qui ne mange pas de chair animale (végétarien) ou de produits issus d’animaux (végétalien) quand il est à la manœuvre, mais qui est encore capable d’en manger quand sa grand-mère lui a préparé (avec amour, ça va de soi) sa fameuse poularde ou sa meilleure omelette aux truffes. Et c’est alors que le monde sera réellement inclusif. Et surtout, que la fête sera au rendez-vous!