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Bien manger coûte-t-il plus cher ? Chaque parution d’un nouvel épisode de cette saga sur Stripfood éveille ma curiosité et m’évoque cette antique citation reformulée par Molière dans l’Avare « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger ».
Depuis toujours, bien se nourrir est un acte fondateur (« you are what you eat »), fonctionnel (« l’aliment est le premier des médicaments »), mais aussi un acte social, émotionnel, et même sacré. Un engagement qui façonne les civilisations, un ciment des cultures.
Les populations qui ont la plus grande longévité sont souvent frugales et se nourrisent très efficacement, très simplement.
Si toute culture se définit par ses rituels, héros, langages, créations, symboles, et modalités de transmission, c’est vraiment cette question de la transmission qui me semble aujourd’hui être au coeur du réacteur pour étayer l’intuition que, fort heureusement, bien manger ne coûte pas plus cher ! Ainsi, les populations qui ont la plus grande longévité sont souvent frugales et se nourrisent très efficacement, très simplement. Et tout comme l’argent ne fait pas le bonheur, s’il peut être agréable, intéressant et valorisant de s’offrir des expériences culinaires d’exception, il n’est pas nécessaire de dépenser des fortunes ou passer des heures aux fourneaux pour rendre des convives heureux… et les dîners improvisés sont même parfois les plus réussis !
Il est grand temps de recentrer le débat sur l’essentialité de cette notion de « transmission »
Après des décennies de déconstruction des repères traditionnels du « bien manger » (notion ô combien subjective certes, le terme « bien » pouvant induire un rapport qualité-quantité-éthique / prix… la réponse serait peut-être dans la question !) avec l’industrialisation, l’uniformisation de la consommation moderne rapide et pratique, la destructuration des repas, la globalisation, les innovations à tout va, les diktats des gourous qui ont ébranlé la transmission intergénérationnelle d’une culture nourricière de terroir accessible à tous, il est grand temps de recentrer le débat sur l’essentialité de cette notion de « transmission ».
Nourrir c’est aimer, c’est à dire donner, donner du temps, partager un talent.
Au-delà des injonctions moralisatrices, nutritionnelles, environnementales ou sociétales, il ne s’agit pas de culpabiliser ou transmettre aux consommateurs de demain la pression anxiogène et partiale de tel ou tel lobby, mais simplement initier, lier aux racines, cultiver un bout de jardin, apprivoiser le couteau économe, réactiver les émotions et astuces de grand-mère, libérer sa créativité, s’organiser un peu, comme on peut, pour peut-être découvrir le plaisir d’émincer, rissoler, déglacer, mijoter, s’octroyer le temps d’expérimenter, oser partager, évangéliser. Voilà un retour aux sources salvateur qui n’est ni onéreux, ni chronophage, ni ringard : nourrir c’est aimer, c’est à dire donner, donner du temps, partager un talent. Ne serait-il donc pas opportun tout simplement d’apprendre à AIMER cuisiner dès l’enfance ?
Il ne s’agit pas de culpabiliser ou transmettre aux consommateurs de demain la pression anxiogène et partiale de tel ou tel lobby
Pour éveiller, faire grandir et perpétuer ce plaisir de cuisiner généreusement, n’est-il pas de notre responsabilité de transmettre aux jeunes générations nos petites madeleines, gougères et autres trésors gourmands issus de notre culture culinaire familiale, régionale, rapportés de nos voyages ou transmis pas nos amis ? Soyons donc astucieux, créatifs culturels, joyeux contributeurs, libres et décomplexés, moteurs de cette transmission du « bien manger « pas plus cher » !
L’initiation aux arts culinaires constitue une discipline structurante qui mériterait vraiment d’être enseignée à l’école et davantage pratiquée à la maison.
L’essor des émissions culinaires qui dédramatisent les techniques de chefs, la profusion des blogs et groupes amateurs (57500 mères de familles pressées trouvent l’inspiration pour faire plaisir à leur tribu en tenant leur budget sur le groupe facebook « Dis Maman c’est quoi le dîner ? »), les agrégateurs de recettes permettant de créer des merveilles avec un minimum d’ingrédients fonds de placard, le succès des ateliers « repas complet en 30 min chrono » à prix ronds ou prix doux, le succès des food trucks gastronomiques non astronomiques, les Cuistots Migrateurs sont autant d’illustrations de ce besoin criant de transmission, de partage et de formation pour un « bien manger » riche de sens et accessible au plus grand nombre.
L’initiation aux arts culinaires constitue une discipline structurante reliant histoire, géographie, économie, patrimoine et société, qui mériterait vraiment d’être enseignée à l’école et davantage pratiquée à la maison, à tout âge, au même titre que le sport, le dessin ou la lecture !
Un enfant qui lit devient un adulte qui réfléchit. Un enfant initié à la cuisine devient un adulte qui célèbre la poésie du monde.