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Vu dans Le Parisien du lundi 6 février 2023 : « Pour leur santé, il faut que les enfants bougent plus ». Une incitation conjointement formulée par la ministre des sports et le ministre de l’éducation, qui prétendent ainsi lutter efficacement contre le fléau de la sédentarité qui touche notamment les collégiens.
Et si les problèmes causés par la sédentarité chronique et l’augmentation de l’obésité traduisaient autre chose qu’une faible propension à la pratique des activités sportives ?
Dans cet article qui figure dans les pages Médecine du quotidien, on nous signale que selon une étude les capacités physiques des Français se seraient dégradées depuis 1987 et plus particulièrement celles des adolescents. Rappelons que les années de collège en France se déroulent essentiellement en position assise et qu’on ne dispense aucun enseignement spécifique sur la manière de bien vivre sa corporéité tout au long de ce cursus et au-delà. Il s’agit pourtant d’une période de la vie complexe, questionnante et bouleversante à plus d’un titre, que les élèves vivent chacun comme ils le peuvent. Mais voilà que le gouvernement s’en mêle et qu’une injonction à la remise en forme vient secouer ces jeunes paresseux, mollassons et pour ainsi dire maladifs pour une majorité d’entre eux, et pas que pour des raisons liées au surpoids.
Voilà pourquoi il faut bouger amis jeunes ! Et dans l’esprit de nos élites thérapeutes cela suppose de pratiquer chaque jour des activités sportives, et cela si possible avec les encouragements de sportifs émérites tous plus exemplaires les uns que les autres, tous engagés dans cette nouvelle « Equipe de France des 30 minutes ».
En effet, il existe une croyance encore très puissante qui consiste à établir un lien évident entre le sport et la forme physique, synonyme de santé retrouvée pour nos gentils amis conseilleurs et organisateurs.
Il va de soi que ce raisonnement relève du pur fantasme et qu’il convient de faire un distinguo entre les bienfaits de l’activité physique intelligente quotidienne et le sport, même pratiqué fréquemment, qui ne correspond qu’à des codes et ne représente qu’un loisir plus ou moins cohérent et plus ou moins problématique pour la santé et le bien-être des personnes.
Television Brainwashing, Extrait d’Idiocracy
Marcher est devenu un sport
En outre, il conviendrait également de s’interroger sur le modèle ultra sédentarisant de nos sociétés qui n’ont de cesse de proposer aux jeunes et aux moins jeunes des alternatives au mouvement, au déplacement et à l’activité physique quotidienne pour vaquer à leurs occupations toujours plus immobiles. Livraison à domicile, trottinette électrique, jeux vidéo, séries addictives en tous genres, réseaux sociaux abêtissants, et autres services toujours plus idiotisants contribuent à fabriquer des consommateurs alourdis, ahuris, et dépendants. Nous vivons dans une société où la passivité triomphe, où marcher est devenu un sport, se promener une activité de remise en forme, rencontrer des gens dans le réel, une pratique énergisante. Bref, d’un côté on met tout en œuvre pour que la population soit éligible au diabète, à l’obésité, aux douleurs chroniques, etc., et de l’autre on convoque une légion de 150 héros du sport médiatisés pour réveiller la jeunesse dévitalisée qui ferait moins bien que les plus de 65 ans dans une épreuve de course de 20 minutes, selon une étude menée par le professeur François Carré. Des collégiens souffreteux qui selon le même docteur interrogé par Le Parisien seraient déjà en train de « préparer leur infarctus » et représenteraient « une véritable bombe à retardement ».
Fat People, extrait de Wall-e
Un tableau alarmant donc, qui devrait faire réagir les parents et les encourager à vivre autrement. Peut-être en commençant par s’interroger sur leur façon de conscientiser leur existence incarnée, leur rapport à la nature, aux autres, à l’alimentation, et pour tout dire à la pratique de soi. Car non, le sport n’est pas un médicament ou une thérapie et les sportifs aussi valeureux soient-ils ne peuvent plaider que pour leur cause et pas au-delà. Ils ne sont pas des exemples pour la jeunesse mais seulement des références fabriquées par le système. L’extrême sédentarité concerne bien plutôt chaque citoyen du monde qui devrait œuvrer quotidiennement pour sa qualité de présence au monde. La jeunesse n’a de leçon à recevoir de personne pour se bouger, il suffit seulement de lui proposer un cadre sociétal propice au mouvement et de valoriser des pratiques aussi essentielles que la respiration juste, la connaissance de son corps et de son métabolisme, l’expression corporelle intelligente, féconde et joyeuse, et c’est alors que nous découvrirons combien cet alourdissement généralisé peut être inversé pour donner lieu à l’avènement de générations plus alertes et fécondes, et surtout moins influençables.
Des esprits et des citoyens éveillés et physiquement disponibles pour affronter les grandes questions de ce 21ème siècle désolant.