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Dans nos sociétés hyper-modernes, prospère aujourd’hui une posture communicante qui consiste à utiliser de façon combative et militante des arguments résolument éthiques pour dénoncer et sidérer les « agents du mal ». Ce faisant, il ne s’agit plus d’avoir raison, mais bien plutôt de paralyser l’autre et d’anéantir sa volonté de contre-argumenter, à l’exemple des campagnes de communication lancées par L214, association vegan dégainant ses vidéos-chocs d’animaux en élevage intensif ou d’abattoirs défaillants.
Cette stratégie du dévoilement consiste à mettre en évidence un contraste entre ceux qui savent raison garder, quoi qu’il en coûte, et ceux qui ne peuvent être désignés et dénoncés que comme des criminels, des fautifs, des agents du chaos. Ces coupables que la morale réprouve sont dans le collimateur des snipers éthiques qui, sans faire de nuance et sans relativiser, tirent à boulets rouges sur les ennemis du bien universel.
Une argumentation éthique implacable donc, qui au lieu d’instaurer un dialogue, de proposer une invitation amicale à l’échange sur un sujet sérieux pour ensuite en tirer les enseignements entre parties engagées, décrète au contraire que rien n’est négociable avec le diable et ses sbires. Une certitude proclamée d’emblée qui conduit invariablement à la dénonciation systématique d’un comportement délictuel, comme le fait de manger de la viande par exemple.
Justification n’est pas raison !
Dès lors, peut-on considérer la communication de crise comme une parade à cette mise en cause ? Il me semble que non, car les fameux outils et stratégies déployés par les experts du secteur appelés en renfort trouvent vite leurs limites face à ce mur de certitudes stigmatisantes. Existe-t-il alors une tactique communicante qui permettrait de sortir de cet accablement, de se soustraire à cette condamnation ? Oui, si l’on adopte à son tour une posture communicante contre-éthique qui consiste à dire et formuler que l’éthique n’est pas un monolithe, que différentes considérations peuvent s’agencer. Cela revient à considérer l’argumentation comme un prisme aux entrées multiples et néanmoins convergentes. Et dans ces conditions, à ne pas se laisser enfermer dans une fausse discussion dont le seul élément référent conduit immanquablement à néantiser l’autre et son éventuelle posture défensive ou contre-argumentative. Bref, il s’agit de se prémunir contre les effets destructeurs d’une obsession monoéthique érigée comme l’absolue vérité au point de l’ériger en totem.
Ces stratégies qui font table rase du passé, dénoncent et font culpabiliser l’autre avec ses habitudes, ses traditions, ses penchants, sa culture, pour mieux renverser l’ordre des choses en produisant des preuves spectaculaires et révoltantes qui n’incitent le public qu’à une seule réaction : l’indignation. Car les images atroces d’un abattoir aux comportements condamnables ne peuvent être analysées, mais seulement ressenties comme une percussion émotionnelle relative à la souffrance des animaux, pour ne prendre que cet exemple. Soit un culte de l’émotion démultiplié par les réseaux sociaux et par les médias qui se délectent des effets contaminants de la posture éthique et de sa popularité au moment il devient si difficile de capter un public. Avec de tels arguments ainsi orchestrés, il devient impossible de faire amende honorable.
Tous responsables mais pas coupables !
Or ce qui peut à mon sens restaurer les conditions d’un dialogue amical et constructif s’apparente à une forme de communication contre-éthique qui reprend point par point la condamnation et la relativise en insistant sur le dosage, la compréhension, le sens. Une stratégie qui critiquerait l’argumentation unique et convoquerait la science du dosage, l’évaluation des risques. En adoptant une telle posture, on revaloriserait le dialogue, on réaffirmerait le fait qu’il existe une éthique modérée, un réel que l’on peut réexaminer ensemble. Car l’histoire nous enseigne que l’humanité n’avance véritablement que par des prises de conscience et des évolutions progressives et concertées.
Il n’y a pas d’un côté les innocents responsables et les coupables assassins. Tandis que la communication éthique ne désigne que des fautifs et des coupables, la communication contre-éthique ne crée qu’un seul camp : celui de la concertation. Dans la phrase « j’ai un problème avec l’autre », la communication contre-éthique essaie de sauver le « avec l’autre », elle vient proposer de penser intelligemment à une solution médiante, qui veut ménager « la chèvre et le chou », en impliquant tout le monde et de concert.
Quel que soit le sujet dont on parle, il serait plus que temps au 21e siècle d’entrer dans une nouvelle ère de la tolérance restaurée d’où pourrait enfin naître un changement durable des comportements de tous et de chacun.