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1616Entre standardisation à outrance sur fond de guerre des prix d’un côté et réhabilitation de la diversité des variétés de blés anciens, le marché du pain est à l’image de notre société, fragmenté. Pour le mouvement Slow Food, il est temps de partir à la reconquête du pilier de notre patrimoine culinaire en invitant professionnels et consommateurs à se rassembler autour d’un nouveau contrat pour un pain bon, propre et juste. Après Slow Fish, Slow Wine et Slow Cheese, place à Slow Bread.
« Entre néo-méthodes traditionnelles au levain naturel et façonnage inspiré par la grande distribution en périphérie, l’artisan standard de centre-ville a du souci à se faire (…) La segmentation du marché semble être l’avenir le plus probable, avec une disparition progressive de tous ceux qui se situent dans l’entre-deux mal défini qui n’est ni très qualitatif, ni très compétitif » écrivait Jean-Laurent Cassely dans un article pour Slate intitulé « La France du pain est coupée en deux » en 2009.
Ce qui est certain, c’est que dans un contexte d’accroissement de la fracture sociale et alimentaire, cet article n’a pas pris une ride. Le succès des boulangeries de rond-point ne se dément plus et l’enseigne Marie Blachère enregistre plus de 700 points de vente en France et s’est même hissée sur la troisième marche du podium des chaînes de restauration rapide en France, juste derrière McDonald’s et Burger King.
Même si elle a été inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, il y a baguette et baguette.
Si le marché du pain reste dominé par les boulangeries artisanales (indépendants et chaînes) qui représentent 68% du marché en valeur, la grande distribution représente 27% du marché (Xerfi 2021). La baguette y est souvent utilisée comme produit d’appel comme ici chez E.Leclerc avec un prix de 0,29 centimes.
À l’opposé de cette standardisation massive, les artisans qui font le pari de la diversification et du retour des blés anciens sont de plus en plus nombreux même si ils restent ultra minoritaires. Ce double mouvement impose plus que jamais aux artisans indépendants de se positionner pour éviter d’être engloutis, à l’image de ce qui s’est passé dans le secteur du textile avec la disparition des enseignes occupant le créneau devenu ultra risqué du « milieu de gamme ».
Pain aux blés anciens chez Zielinska dans le Vieux Nice. Ici, c’est « Ni baguette, ni croissant car vous méritez mieux ». En revanche, des prix qui peuvent atteindre les 17 euros le Kg.
L’association internationale Slow Food contribue depuis des décennies à construire un système alimentaire où chacun aurait accès à une nourriture bonne pour le consommateur, pour le producteur et pour la planète. Tous les jours, le réseau international de communautés locales de Slow Food s’engage et promeut des systèmes résilients pour une alimentation saine et durable.
Guidée par ces valeurs, Slow Food lance aujourd’hui Slow Bread, un manifeste pour un pain bon, propre et juste.
Le pain, l’un des piliers de l’alimentation occidentale, est aujourd’hui considéré comme l’un des fleurons de la gastronomie française. Pourtant, l’association pointe un certain nombre d’enjeux à adresser et dont nous n’avons pas toujours vraiment conscience :
- Manque de transparence sur la liste des ingrédients du pain et sur l’origine des céréales, ses méthodes de culture et de stockage.
- Perte de la biodiversité céréalière, mais aussi dans les produits transformés (variétés de pain).
- Appauvrissement des farines et de leurs qualités nutritionnelles, standardisation des farines et utilisation récurrente de produits correcteurs (additifs, auxiliaires technologiques, adjuvants).
- Industrialisation des pratiques boulangères, perte du savoir-faire boulanger artisanal et standardisation du goût.
Le manifeste Slow Bread vise ainsi à valoriser les formes, les méthodes et les procédés issus des traditions et des terroirs. La recherche de la qualité concerne le choix des matières premières (approche de culture des champs avec moins d’intrants et plus de place à la biodiversité) et les procédés de fabrication afin de garantir ce lien entre plaisir et santé.
Le projet vise à la fois à générer une prise de conscience chez les consommateurs et à éduquer ce grand public à la dégustation du pain en créant des opportunités de dialogues et d’échanges entre les parties prenantes. Mais le projet vise également à fédérer les professionnels et encourager le réseautage entre les producteurs, meuniers et boulangers dont les pratiques reflètent les valeurs de Slow Food.
Thibaud Férard est compagnon boulanger. Installé à Langeais, en Touraine, il cultive une collection de différents blés anciens, dont il utilise les farines. Il est présent tous les vendredis avec son triporteur en gare de Tours avec une offre d’une très grande qualité et un vrai sens du commerce. La grande baguette de tradition de 500g y est vendue 3 euros.
Pour en savoir plus et adhérer (que vous soyez un professionnel ou un citoyen), c’est par ici : slowbread.fr.