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Pourquoi le café, le bistrot, le comptoir, le restaurant ou encore la cave, manquent-ils tellement aux Français depuis le début de ce confinement ?
Au-delà d’y boire et d’y manger, ces lieux de vivre-ensemble sont, avant tout, des espaces publics où se bâtit une forme de pensée collective, par les débats qui s’y diffusent et qui touchent la personnalité de chaque individu. Ce sont donc ces lieux de mise en scène du lien social – à dominante conviviale – qui nous manquent en cette ère de crise coronavirusienne.
Quand on est assigné à domicile, le repas du dimanche ressemble à ceux de la semaine.
Autour de nous, des carences en tout genre, en promenades essentielles comme en plaisirs nécessaires, viennent s’asseoir à côté des mauvaises habitudes de sédentarité et excès de grignotage, voire de dégustations. Une situation qui vient brouiller la temporalité : quand on est assigné à domicile, le repas du dimanche ressemble à ceux de la semaine.
Ce déjeuner quotidien, habituellement partagé à la cantine, redevient, en famille, un vecteur important dans la transition allagmatique d’une génération à l’autre. Les échanges aux cours du repas, habituellement intersociétaux, deviennent intergénérationnels et donnent plus de place à la ritualisation de ce moment. Le rôle du rituel dans les interactions ordinaires semble inévitable pour vivre ensemble et communiquer avec autrui. C’est ainsi, à l’occasion de ce type de période exceptionnelle, et à l’intérieur de lieux de la vie ordinaire, que se fait l’acquisition de valeur la plus importante : vivre ensemble. La table est le lieu privilégié pour l’observer.
Les repas confinés restent malgré tout partagé entre des « mêmes ».
Idéalisé, ce paradigme d’un bonheur épicurien partagé, appelé pour l’époque #convinement ou #repasconfinés, reste malgré tout partagé foncièrement entre des « mêmes », des gens pensant à l’identique l’intérêt de cet acte mis en commun. Jamais les dégustations n’ont été aussi simples à organiser, sans souci d’agenda, sans souci de donner ses clefs de voiture pour le retour à la maison. Tous les amis sont disponibles, et la maison est déjà à nous. Chacun invite sans s’inquiéter de la charge d’une telle invitation ou du fait de travailler le lendemain. La communication prend un autre sens. Chacun se soucie de l’état de santé de l’autre, plutôt que de s’enquérir de son actualité sociale. L’altruisme gagne des points sur le paraître, dans cet espace-temps de convivialité.
L’image commensale du repas serait-elle alors en train de s’éloigner de la symbolique du « partage » ?
Toutefois, loin des imaginaires usuels où l’amphitryon est au centre d’une grande table et tend ses bras pour passer à ses nombreux voisins le pain qu’il vient de rompre et la bouteille qu’il vient de déboucher, le repas reste aujourd’hui, et deviendra encore plus demain, un moment où l’on fait tous attention à ne pas trop « toucher » les emballages comme les aliments, par risque de contamination. L’image commensale du repas serait-elle alors en train de s’éloigner de la symbolique du « partage » et de se limiter à la simple notion de « nécessité essentielle » ?
L’image de La Belle et le Clochard partageant un même spaghetti appartient-elle au passé ? Les amoureux pourront-ils demain partager la même assiette ? Dans cet esprit de puritanisme, le partage d’un verre, d’une bouteille, d’un plat, serait-il déjà un souvenir proustien ? D’ailleurs, nous pouvons observer que nous ne portons plus, aux lèvres de nos hôtes, le même verre commun comme gage de camaraderie, de célébration, de convivialité, d’amitié, de bonté, d’amour de notre prochain, comme on partageait le hanap au Moyen Age ou comme le pratiquent encore les prêtres, popes ou rabbins avec le ciboire durant l’office religieux. Notre situation bactériologique et les contraintes sanitaires ne nous le permettent plus. Cela nous sera-t-il à nouveau permis un jour prochain ? Les religieux changeront-ils définitivement les pratiques de la communion ? Cela peut être soit à espérer soit à craindre, en fonction des points de vue.
Allant plus loin dans cette expectative, il nous faut réfléchir maintenant à comment et sous quelle forme se dérouleront le repas et le partage d’un verre de demain.