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Le NutriScore réussit à simplifier des données nutritionnelles qui jusqu’ici ne pouvaient être décryptées que par des experts. Mais il ne permet pas d’en déduire une notion de qualité plus globale, car le sujet est beaucoup plus complexe. En effet, il n’intègre pas la nature des ingrédients, leurs origines ou encore la façon dont ils sont produits . C’est donc un repère, parmi tant d’autres. Alors qu’il n’est toujours pas obligatoire à date, un premier rapport sur les évolutions potentielles du Nutri-Score par le comité scientifique européen est attendu d’ici l’été 2022. Ce qui explique qu’il s’agisse d’un sujet particulièrement sous influences.
On trouve une définition assez claire du Nutriscore sur le site de Santé Publique France :
- Le Nutriscore est un logo apposé en face avant des emballages qui informe sur la qualité nutritionnelle des produits sous une forme simplifiée et complémentaire à la déclaration nutritionnelle obligatoire (fixée par la réglementation européenne)
- Basé sur une échelle de 5 couleurs : du vert foncé au orange foncé
- Associé à des lettres allant de A à E pour optimiser son accessibilité et sa compréhension par le consommateur.
Le logo est attribué sur la base d’un score prenant en compte pour 100 gr ou 100 mL de produit, la teneur :
- en nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coques, huile de colza, de noix et d’olive),
- et en nutriments à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel).
Après calcul, le score obtenu par un produit permet de lui attribuer une lettre et une couleur.
Parmi les nombreux labels en présence, seul le Nutriscore arrive clairement à se démarquer comme en témoigne cette étude réalisée par Appinio pour LSA et publiée en avril 2022 :
Quand on compare (source ScanUP) la classification des innovations lancées en 2021 par rapport à l’ensemble des produits de la catégorie épicerie (sucrée et salée soit une centaine de catégories de produits), on observe une part plus importante de produits classés en Nutriscore E et une part plus faible de ceux en Nutriscore A.
Le Nutriscore n’aurait à priori, sur cette catégorie en tout cas, pas eu vraiment d’impact sur la reformulation des recettes. Pourtant, selon le panéliste IRI dans LSA d’avril 2022, les mauvaises notes auraient clairement tendance à faire baisser les ventes (sur 37 catégories de produits dont nous n’avons pas le détail) :
Depuis quelques mois, on assiste à une bataille entre défenseurs et opposants de cet étiquetage.
Cela n’est pas tout à fait nouveau comme l’indique ce tweet relayant un article du Canard Enchainé (friand de cette thématique) et relayant les nombreuses luttes d’influences sur le sujet :
Dans une époque où le principe de transparence est de mise, Leclerc reprend habilement le sujet en posant la question :
Et bien parmi les opposants au Nutriscore, aux côtés de certains industriels (500 entreprises ont décidé en revanche de l’apposer sur leurs produits), on retrouve des influenceurs au coeur du terroir avec comme fer de lance, la défense des bons produits de tradition. Parmi eux, de grands restaurateurs comme le Chef Sébastien Bras, certaines collectives professionnelles comme celle du Roquefort AOP ou encore certaines figures médiatiques comme Eric Morain. L’avocat et chroniqueur chez François-Régis Gaudry sur France Inter, tente de lui donner un véritable coup de grâce dans une chronique intitulée « Nutri-score : Adieu AOP et tous vos efforts ».
Ces acteurs lui reprochent tout particulièrement de stigmatiser certains produits et de privilégier les aliments ultra transformés (dont certains peuvent être ajoutés pour améliorer la note) au détriment de produits bruts ou artisanaux qui peuvent se faire torpiller pour être par exemple trop gras comme le Roquefort (ce n’est pas vraiment une surprise) ou trop sucré comme le chocolat (pas une surprise également).
Pas simple de s’y retrouver pour les acteurs politiques qui doivent légiférer au coeur de toutes ces influences comme en témoigne le député du Loiret Richard Ramos :
« Afin de contrer ces allégations, l’UFC-Que choisir Lyon Métropole et Rhône a lancé une étude sur 51 produits, « représentant 41 aliments typiques de l’ex-région Rhône-Alpes, afin d’en calculer le Nutri-score », indique l’association dans un communiqué » peut-on lire dans « Le Progrès » du 3 mai 2022. « Les résultats montrent que loin d’être systématiquement mal notés, ces produits traditionnels se répartissent, au contraire, sur toutes les classes du Nutri-Score » poursuit l’association.
Toujours selon « Le Progrès », « Il apparaît que la majorité des aliments, soit 23 références, appartiennent aux catégories A, B et C.
En font notamment partie : les cardons lyonnais et les châtaignes d’Ardèche AOP, indiqués comme sources de fibres, de minéraux et de vitamines ; et les poulets de l’Ain, de l’Ardèche, de la Drôme et du Forez IGP, qui « constituent de très bonnes sources de protéines ».
En D ou E, sont classés certains fromages et certaines charcuteries bien sûr, contenant de fortes proportions de matières grasses et de sel ou encore de sucre pour les desserts, comme la pogne de Romans ».
Pour répondre à ces attaques en rafale, le Nutriscore répond quand à lui par la pédagogie en appelant à ne pas mélanger les choux et les carottes ou plutôt les huiles avec les céréales du petit déjeuner.
On comprend alors (retour au point de départ) que ce Nutriscore ne renseigne pas dans l’absolu de la valeur santé de l’aliment mais qu’il permet d’arbitrer une note au sein d’une même catégorie. En clair, il servirait à faire vraiment la différence entre des offres identiques… ou proches.
En effet, quand on regarde bien le document ci-dessous, on prend aussi conscience de la géométrie variable des catégories. Dans l’exemple, le beurre est intégré aux huiles pour créer certainement une catégorie de corps gras potentiellement interchangeables. Ce regroupement ne passe pas inaperçu pour Siga, qui interpelle sur le fait que le Nutriscore recommande des aliments ultra-transformés :
Mais ce que n’évoquent pas complètement ces débats, c’est le périmètre étudié par ledit Nutriscore. En effet, le label prend en compte la composition nutritionnelle du produit mais en revanche ne prend pas en compte un certain nombre d’autres critères comme :
- la nature des ingrédients ;
- leurs origines ;
- la présence d’additifs et le degré de transformation ;
- les méthodes culturales ;
- l’impact sur le bilan carbone ;
- la répartition de la valeur.
Ces critères sont tout aussi importants comme en témoigne ce récent sondage Appinio publié dans LSA en avril 2022 :
Le Nutriscore doit être pris pour ce qu’il est, c’est-à-dire un outil d’évaluation nutritionnelle. Il participe à guider le consommateur en donnant une transparence rapide sur une partie du produit, mais il ne permet pas de déterminer le fait qu’il s’agisse d’une meilleure alimentation dans l’absolu. Le sujet est bien plus global et surtout bien plus complexe. Tous les ingrédients ne se valent absolument pas sans parler aussi de l’importance de la diversité alimentaire et de la notion de portions.
Dans tous les cas, la pédagogie est essentielle pour accompagner ce type d’outils afin d’éviter le contresens total comme le rappelle Christophe Cisowski dans « KFC adopte le Nutriscore. « Sans pédagogie, on risque le contresens total ». C’est à cette condition que nous passerons de « consommateur averti » à « consommateur éveillé » comme le rappelle Claude Boiocchi dans cette tribune sur StripFood.