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« Les industriels sont les pionniers de la malbouffe et l’Etat s’en frotte bien les mains », il n’est pas rare d’entendre ces mots dans la bouche des consommateurs ou résonner sur les réseaux sociaux. Ce discours ne date pas d’aujourd’hui et reflète une grande crainte du consommateur français : la peur de la manipulation ! En effet, on assiste à un réel mouvement de suspicion envers TOUS les acteurs de la chaîne alimentaire, qui alimente l’agribashing et le foodbashing.
Dans ce contexte, il est temps d’écouter d’une oreille attentive ce dont le consommateur a besoin mais également d’apprendre à mieux lui parler.
Un enjeu que les marques ne peuvent plus contourner. Elles doivent désormais « servir » le consomm’acteur en quête de sens (une situation accélérée par la crise sanitaire), et être de vrais leviers pour une meilleure alimentation et une meilleure connaissance de ce qu’est « manger bon & sain ». Sain pour soi, bon pour notre palais… mais aussi pour notre planète.
Sans confiance, nulle perspective de réconciliation entre agriculture/agroalimentaire et société. Pourtant, c’est un passage obligé selon moi pour être au rendez-vous des grands enjeux de demain de la transition alimentaire.
Un sacré défi donc, collectif et passionnant !
Un consommateur difficile à suivre mais une force de frappe sans précédent
On le sait, scandales alimentaires, fraudes, manque de transparence font accroître la méfiance des consommateurs. Alors oui, le consommateur se plaint, réclame, proteste, bien qu’il n’ait pas toujours conscience de son ambivalence.
Sur la question du flexitarisme par exemple, c’est assez visible. Si je me réfère aux travaux menés par Fanny Parise, anthropologue : « en déclaratif, on a des individus qui se présentent comme végétariens ; en pratique ils ont des protéines animales à leur domicile ».
Une manière d’expliquer que tout n’est pas si simple, et que les solutions ne résident pas dans de nouveaux systèmes exclusifs.
Parmi ceux qui nourrissent cette ère du bashing, on retrouve évidemment les médias et réseaux sociaux, et ça plait.
Ils représentent une arme excellente pour répandre toute information, intox ou non, à une vitesse exponentielle. Et pour amplifier le tout, le phénomène de la « chambre d’écho » fait son travail : des études1 démontrent que l’on échange principalement avec des personnes qui partagent nos opinions sur les réseaux sociaux, et ce jusqu’à radicaliser les points de vue.
Enfin, les influenceurs participent également au mouvement. Dans la tendance « sugar-bashing », les #régimesanssucre ou pages « d’information » telle que #sucrezvosfraises sur Instagram fleurissent. Des prises de conscience pour le consommateur oui, mais des façons de communiquer parfois très radicales et pas toujours fiables.
En parallèle, la vision parfois simpliste du consommateur à opposer les « méchants » (« gros industriels ») aux « gentils » (« petites start-ups») renforce le phénomène. Il y encore de la pédagogie à faire pour justifier que chaque acteur peut cohabiter : les plus « petits » pour leur capacité à innover « vite », et les plus « gros » pour leur capacité à faire bouger les choses de façon plus massive.
Les stratégies de réassurance : « serving, not selling »
Bien qu’il n’y ait aucun mal à “vendre”, il y a de nombreux avantages à se concentrer sur l’idée de « servir » le consommateur.
On assiste à une réelle transformation des stratégies marketing qui deviennent plus transparentes, « vraies » et collaboratives. Le rôle se précise pour les acteurs de l’alimentation : devenir une source d’information et de connaissances avant tout (sur l’origine agricole des produits, sur les modes de transformation, sur la nutrition, etc…).
Pour y parvenir,
- nous vivons le grand boom des campagnes de réassuranceavec en tête de peloton les distributeurs, comme Carrefour et sa campagne Act For Food.
- on voit également l’émergence de coopération et de co-création. De brillantes idées exploitées par les marques, comme d’Aucy qui invite ses consommateurs à la conversion au bio. Et, C’est qui le patron ?! qui représente un bel exemple de cet esprit « coopératif ».
- au-delà des coopérations autour des gammes de produits, de simples « consultations » auprès des consommateurs peuvent également être un grand pas en avant pour les rapprocher de l’industriel.
J’en suis convaincu : face à un consommateur douteux et curieux, la plus grande erreur aujourd’hui est de faire l’autruche. Les meilleures stratégies résident dans le « franc-parler » et ceux qui le font, le font généralement bien.
Revenons par exemple sur la campagne lancée fin 2019 par Fleury Michon et la couleur du jambon. « Le rose n’est pas obligatoire ni pour les princesses ni pour le jambon » : une campagne pour mettre en avant la particularité du jambon zéro nitrite. Interrogé à cette époque, David Garbous, alors directeur marketing et stratégie de Fleury Michon, affirmait l’importance de « poursuivre les efforts de pédagogie pour que les consommateurs sachent que le rose pâle est la couleur naturelle de la viande de porc cuite et qu’ils soient encore plus nombreux à découvrir notre offre ».
L’idée est « tout simplement » de combiner avec la réalité, mais aussi de ne pas tomber dans des approches extrémistes. Manger trop de produits gras, sucrés, salés est mauvais pour la santé, mais ne veut pas dire pour autant les bannir de son alimentation.
Les acteurs qui fabriquent ces produits davantage associés au plaisir, devaient jusqu’alors se défendre face au bashing. Désormais, voyons-les comme les plus concernés pour sensibiliser le consommateur et l’aider à manger mieux tout en conservant le plaisir.
- C’est ce que fait parfaitement bien Interbev en fédérant autour du flexitarisme pour revaloriser la filière viande et bétail avec sa campagne « Naturellement flexitariens ».
- Face au « sugar-bashing » cette fois, les industriels l’ont compris, la tendance est aux nouvelles recettes « moins de sucre » ou à base d’alternatives au sucre. Le CEDUS a pris la parole avec des vidéos percutantes, sincères et aux messages forts : « Nous, on encourage une consommation raisonnée », « ce sont les excès qu’il faut combattre, pas l’ingrédient lui-même»2.
Aujourd’hui ce sont principalement les filières, les coopératives qui véhiculent ces messages, mais les industriels doivent davantage s’y coller. C’est efficace, et le lien de confiance n’en sera que renforcé avec les consommateurs. Finalement, ne faudrait-il pas travailler « pour la catégorie » plus que pour ses produits ?
Quoi qu’il en soit, il existe des initiatives qui méritent d’être plus connues du grand public, et qui sont encore trop peu nombreuses. Par exemple, l’ANIA, Association Nationale des Industries Alimentaires, a développé un site web pour lutter contre la désinformation sur notre alimentation, alimentation-info-intox.fr.
Et StripFood, media avec qui je suis fier de collaborer, qui est un très bel exemple de ce que doit être la communication de demain autour de notre alimentation : un format ludique et collaboratif, cautionné d’une information juste et sincère.
Du sérieux évidemment, mais aussi de l’émotion et de la sincérité !
Être une marque « aimée et aimante » est aujourd’hui la clé de la réussite. L’émotion prend tout son sens pour marquer les esprits, inspirer confiance, et créer une relation. Cependant, si l’émotion est un puissant levier, son utilisation n’est pas évidente car sans la sincérité, l’émotion n’est rien.
Parler vrai et agir en conséquence. Les mouvements de défiance qui traversent la société amènent les communicants à retravailler leur métier en faisant la place à des compétences de responsabilité et d’engagement.
Prenons l’exemple de Lactel, habitué aux spots publicitaires authentiques. Sa dernière communication est une web-série qui met en scène Baptiste, un petit garçon curieux et attachant qui enquête sur les coulisses du lait. Grâce à une communication ludique et proche du consommateur, la marque met l’accent sur sa capacité à innover en matière d’échanges avec la société.
Je mentionnerais également Intermarché avec ses spots télé, chargés d’émotion. Notamment celui de la soupe autour du bien manger, intitulé « je t’aime trop ».
Enfin plus dernièrement, on peut citer Leclerc avec sa semaine des repas équilibrés (21 repas pour 21 euros, soit 1 euro par repas) : une initiative qui illustre très bien ce glissement vers toujours plus de responsabilité et d’engagement.
Nous l’aurons compris, qu’il s’agisse de production, de fabrication ou de consommation, nous passons d’un modèle du « toujours plus » au « moins mais mieux ». Et c’est une excellente nouvelle. Cependant, le consommateur n’en est pas moins méfiant.
Je conclurais donc avec ce qui me parait être l’un des plus gros enjeux. Ce n’est pas de comprendre le consommateur sous tous ses angles, de distinguer chacun des profils pour pouvoir ensuite le « cibler » et « sur-cibler ». Pourquoi ? Parce que lui-même présente des comportements ambivalents qui amènent parfois les industriels à faire des choix qui se couronnent par des flops.
L’enjeu réside selon moi dans le partage d’une information intelligente entre les différentes forces vives et donc dans la nécessaire co-construction entre consommateurs, agriculteurs, industriels et distributeurs.
Ecouter le consommateur n’est qu’un pas en avant… Seules les marques attentives à mieux lui parler s’en sortiront.
- Pablo Barbera, John T. Jost, Jonathan Nagler et al.; Tweeting from left to right: is online political communication more than an echo chamber?; Psychological Science, August 2015
- Site web du Cedus, Et si on parlait du sucre
Précédemment dans StripFood :