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Cet article a été publié par The Conversation France par :
Marielle Salvador, INSEEC School of Business & Economics; Isabelle Frochot, Université Savoie Mont Blanc et Mariem El Euch Maalej, INSEEC School of Business & Economics
Près de 56 % des Français déclarent acheter régulièrement des produits alimentaires localisés. Ces produits localisés, comme les produits locaux, se distinguent par un lieu de production et de consommation proches (entre 80 et 100 km), et portent une référence explicite à un territoire de type Appellation d’origine protégée (AOP) ou Appellation d’origine contrôlée (AOC). Ces produits peuvent aussi être commercialisés sous des marques collectives comme la Marque Savoie ou les Produits de Bretagne que les produits locaux ne portent pas forcément.
Cet engouement envers ces produits a incité certaines marques industrielles et des grandes surfaces alimentaires à développer des alliances locales avec les producteurs afin de se différencier de leurs concurrents, et d’afficher une proximité avec le territoire. Néanmoins, même si de plus en plus de consommateurs se tournent vers ce type de produits alimentaires localisés, ils souffrent encore d’un manque de visibilité.
Des chefs étoilés qui s’engagent
Au-delà de la médiatisation récente de certains chefs étoilés, la restauration gastronomique peut jouer un rôle dans la communication et la valorisation des produits alimentaires localisés. Déjà, les associations régionales regroupant des chefs étoilés (par exemple, Les Toques Blanches Lyonnaises et d’Auvergne) promeuvent les gastronomies et les productions locales en fédérant les parties prenantes (chefs, producteurs, médias). Mais les chefs étoilés ont également engagé des stratégies de rapprochement avec les produits et producteurs localisés, analysées dans cet article.
L’étude réalisée a combiné des observations de sites d’établissements étoilés, des entretiens avec des chefs étoilés et des interviews de clients de ces établissements gastronomiques pour mettre en lumière la manière dont le restaurant gastronomique participe à la communication des produits localisés, et dans quelle mesure ces derniers contribuent à l’ancrage territorial de l’établissement. Les chefs, grâce à leur aura, leur notoriété, leur expertise et leur renommée, apporteraient une réassurance vis-à-vis de ces produits. En retour, les produits localisés seraient susceptibles d’apporter de l’authenticité au menu des chefs et de les ancrer davantage dans leur territoire.
Fertilisation croisée
L’étude met en relief le fait que pour les clients, tout comme pour les chefs, les produits localisés ancrent un établissement gastronomique dans son territoire tout en ajoutant une dimension d’authenticité et, par là même, de qualité. Le chef est perçu par les clients comme un leader d’opinion qui acte comme un « label » des producteurs ressources, dans la mesure où il les a choisis et qu’il a les compétences nécessaires pour en faire la sélection. Ceci va contribuer en conséquence à valoriser les produits localisés et, entre autres, leurs producteurs, tout en mettant en évidence le caractère authentique et distinctif de ces produits.
La valorisation par les chefs se matérialise en premier lieu par les échanges avec le personnel en salle qui va dérouler un récit autour du produit, rendu possible par les liens qui se créent entre le producteur et le chef étoilé. Ensuite, la valorisation passe par la carte et la mise en avant du producteur par son nom ou parfois même par son prénom (comme les volailles d’Alice, marque du Cantal, au Suquet, l’établissement trois étoiles de Michel et Sébastien Bras à Laguiole dans l’Aveyron), créant ainsi une proximité aux yeux des clients.
La mention du circuit de distribution de proximité et du savoir-faire de l’artisan dans le choix du produit (« agneau sélectionné par notre boucher »), apportent également une dimension de consommation responsable au choix du produit par la volonté du chef de favoriser les petits commerces. Enfin, cette valorisation passe parfois par une communication digitale. Ainsi, certains sites d’établissements étoilés n’hésitent pas à communiquer l’adresse de leurs producteurs. Cette démarche peut favoriser, lors d’une expérience gastronomique, les échanges avec le personnel en salle et/ou le chef, ce qui viendra accroître l’intensité de la relation entre les parties.
Pour les chefs interviewés, proposer un menu à la fois spécifique à la région, et donc différenciant, revêt surtout un aspect symbolique souvent rattaché à une histoire régionale que le chef souhaite partager avec ses convives. C’est ce qui lui permet de susciter une émotion de nostalgie, ou encore de partage d’un savoir-faire : « on a une histoire, c’est la cuisine que l’on aime et que l’on sait faire. Nous ne faisons que réadapter des plats qui existaient déjà, des recettes basiques et qui deviennent une vraie signature pour nous », explique notamment les chefs René et Maxime Meilleur, du restaurant trois étoiles La Bouitte en Savoie.
Du côté des clients, la carte invitera le client à se renseigner auprès du personnel en salle ou auprès du chef pour mieux s’informer sur les ingrédients du mets : « si sur une carte c’est marqué que c’est un bœuf du Cantal, je vais poser la question sur la région, sur le producteur », dit par exemple un client. Ce genre d’initiative « rajoute une touche d’authenticité au plat, en plus de ce que tu as écrit sur le menu », complète un autre.
Les clients attendent qu’on leur raconte une histoire sur le produit car elle vient alimenter l’expérience gastronomique. D’une manière générale, l’étude souligne la manière dont le chef étoilé est perçu : un expert en qui on peut avoir confiance dans le choix des produits. Cette valorisation hisse alors le chef au rang d’authentificateur. Ce processus se révèle être à double sens : le produit local, valorisé par la sublimation qu’en fait le chef, donnera un ancrage territorial à l’établissement et lui ajoutera une dimension authentique aux yeux des clients. Le produit local devient ainsi un élément de différenciation pour les établissements étoilés.
Aller plus loin
En conclusion, quelques recommandations pourraient être faites aux chefs étoilés sur la manière dont ils peuvent valoriser les produits localisés encore davantage :
- poursuivre leur communication auprès de leurs clients qui sont friands de ce type d’informations sur le produit qu’ils dégustent.
- développer les formes de collaboration qui existent entre les producteurs et les chefs, à l’instar de la Maison Loiseau qui s’est associée il y a quelques années avec une productrice de cassis en Bourgogne pour créer un poivre de cassis.
- développer des espaces de vente dédiés aux produits locaux au sein de l’établissement, ou au sein d’un établissement complémentaire, à l’instar du concept d’épicerie de la Mère Brazier à Lyon. Et même si certains chefs jugent cette formule trop « marketing », cette innovation pourrait séduire notamment la clientèle étrangère, pour laquelle la barrière de la langue et le manque de temps peuvent être des freins à des achats de produits locaux après une découverte chez un étoilé.
Enfin, des visites de producteurs pour le personnel en salle doivent être plus souvent initiées afin que ce dernier se forme et puisse transmettre plus d’émotions devant le client. Les offices de tourisme pourraient notamment avoir un rôle à jouer en mettant en contact ce personnel avec des touristes ayant vécu une expérience gastronomique avec ces produits localisés.
Marielle Salvador, Enseignant chercheur, comportement du consommateur, marketing de l’alimentation, INSEEC School of Business & Economics; Isabelle Frochot, Maître de Conférences HDR – Comportement du Consommateur, Université Savoie Mont Blanc et Mariem El Euch Maalej, Enseignante chercheuse en marketing, INSEEC School of Business & Economics
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Photo de couverture : Restaurant « La Bouitte » en Savoie. Relire l’article de StripFood : » La Bouitte : la « petite maison » dans la vallée «