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Nous sommes de plus en plus assistés, que ce soit dans nos déplacements, nos communications, nos loisirs, nos activités professionnelles, familiales, nos tâches quotidiennes. Il nous est devenu pénible d’écrire avec un stylo, d’envoyer une lettre, de laver la vaisselle à la main, de cuisiner, de marcher, de nous promener, de jouer avec nos enfants, etc. Et si le moment était venu de proposer aux humains démotivés que nous sommes devenus un projet existentiel davantage en phase avec nos coordonnées historiques plus que jamais en alerte rouge ?
Disons le tout net, le vingt et unième siècle nous ubérise, convoquant systématiquement la facilité et non la simplicité pour faire de chacun d’entre nous un petit roi (ou une petite reine) à divertir sur son trône et nulle part ailleurs. Avez-vous vu ces nouveaux adultes se coltiner la parentalité dans les parcs à la sortie des écoles ? Combien sont-ils à frayer avec les enfants au moment du goûter, à essayer leurs jeux pour partager un peu de leur enthousiasme ? Combien sont-ils à s’essayer aux mouvements joyeux et libérateurs, à esquisser quelques gestes pour se détendre, à s’étirer, à respirer consciemment pour évacuer la fatigue physique et mentale accumulée ? Fort peu en réalité, accaparés qu’ils sont par leurs smartphones, leurs conversations redondantes et le plus souvent caricaturales.
Il semble clair que pour une majorité écrasante, la vie adulte se résume à vivre comme les autres, à ne pas se faire remarquer, à correspondre aux codes en usage, aux pratiques validées par les médias, les réseaux sociaux, les groupes d’appartenances. Si bien que dans le meilleur des cas, on convoque son corps pour pratiquer un sport à la mode, une méthode de remise en forme mise en avant par une influenceuse, une star, un magazine et toujours en tenant compte d’un certain nombre de critères inspirés par notre société tellement fascinée par le spectaculaire, la performance, les records, l’extrême, les conduites héroïques à consommer sous formes de petites vidéos contagieuses via Internet.
Au final, nous coexistons entre humains majoritairement souffreteux et souvent en proie à des comorbidités précoces, ou bien entre « pseudo-guerriers », conquérants de l’inutile, qui ont foi en la sportivité intensive et s’y exposent le plus souvent jusqu’à la blessure, jusqu’au burn-out ou jusqu’à l’abrutissement. Hypertension, troubles musculo-squelettiques, migraines, douleurs chroniques, hyper anxiété, spasmophilie, complexes, crises d’angoisse, obésité, diabète, etc. les maux ne manquent pas pour caractériser le mal être des patients ordinaires que nous sommes devenus dans nos sociétés toujours plus fonctionnelles, sédentarisantes et dématérialisées.
Dans le même temps, les jeunes générations s’imprègnent de ces modèles pour se construire tant bien que mal une image de la vie adulte alors même que les problématiques qui les attendent risquent de les mettre à l’épreuve comme jamais une frange de l’humanité ne l’a été. Ne pourrions-nous pas envisager d’initier les jeunes au bonheur d’être reliés aux phénomènes naturels et d’y trouver leur place ? Ne pourrions-nous pas définir une nouvelle approche pédagogique pour nous acclimater plus intelligemment au réel et ce faisant trouver le moyen de nous délester de tout ce qui nous encombre, de tout ce qui nous alourdit, nous neutralise, et finalement nous enlaidit, voire nous anéantit et réduit nos identités à de simples occurrences standardisées ?
Apprendre à capter son environnement avec le filtre des principes
L’enfance et l’adolescence sont des périodes cruciales durant lesquelles l’identité se construit, se fortifie, se dynamise. Durant cette longue découverte de soi où le pré-adulte apprend à vivre en tant que partie du monde qui compte et donc qui s’ajoute aux autres, il lui faut traverser différentes formes de filtrations et subir une multitude de vaccinations pour être en mesure de s’accommoder et de tolérer les agressions, les influences, les stimulations et autres incitations à être ou à faire du mieux possible.
8000 jours, approximativement, pour envisager la vie adulte avec un équipement suffisamment conscientisé et un niveau d’expérience de soi assez conséquent. Mais que nous enseigne-t-on durant ces milliers d’heures, et en quoi cela nous permet-il de nous exprimer en tant que personnes libres et pas seulement en tant qu’individus juxtaposables ?
Est-il question de la respiration, de ses aspects fortifiants, dynamisants, équilibrants ?
Est-il question du sommeil et de ses dimensions exploratrices, organisatrices, régénératrices ?
Est-il question du temps et de l’espace et de notre manière d’exister, de nous autonomiser, de nous inventer malgré la présence implacable de ces deux arbitres incorruptibles ?
Est-il question de la nature, au sens large et débordant, et de la façon dont il nous faut aujourd’hui plus que jamais apprendre le langage pour nous éviter de sombrer dans la barbarie post-naturante ?
Est-il question des principes et de la manière dont ils nous agissent tous autant que nous sommes et ce quelles que soient nos croyances et nos appartenances idéologiques ?
Est-il question de l’amour et de notre capacité à érotiser le monde à chaque instant pour fraterniser avec les êtres, les choses et les éléments ?
« Influence » : ce court-métrage de Sandy Lobry dénonce les dangers et les dérives des réseaux sociaux sur les adolescents et en particulier le rôle extrêmement néfaste de certaines influenceuses.
Fort peu en vérité, et notamment en raison du fait que notre conception de l’école et de l’instruction des plus jeunes n’est résolument pas tournée vers la compréhension de notre être au monde mais se consacre à notre façon d’agir dans cette société ultra-fonctionnelle.
Il me semble pourtant que nous pourrions imaginer une manière de remettre en cause cette approche « stupidifiante » pour mettre en lumière de nouvelles formes d’intelligences intuitives, créatives et relationnelles. Je pense en effet qu’il existe une boxe de l’éclectisme qui renvoie à l’essentiel : à notre rapport au minéral, au végétal, à l’animalité, à l’eau, à l’air, etc. Bref, à notre façon d’interagir avec les formes primitives (un arbre, le temps et la durée, la terre, le rythme, les saisons et le climat). Il existe une prise de rendez-vous avec soi-même qui favorise la fréquentation des principes et qui, lorsqu’elle est réitérée régulièrement, « réactualise » le sujet en tant que personne de qualité, disponible enthousiaste et exemplaire. Dans la vie de tous les jours, cela permet de capter son environnement avec le filtre des principes : je ne vois plus un plat de la même manière, un artisan qui travaille, un chat qui se déplace, un massif de fleurs rempli d’abeilles ou un arbre de la même façon.
Quand nous marchons, quand nous jouons avec des enfants, quand nous parlons à quelqu’un, quand nous lisons, etc., nous sommes dans cet exercice révélateur du soi. Car seule la triangulation harmonieuse « nature – intelligence – corporéité » peut aboutir à une action efficiente, comme c’est le cas pour un alpiniste, un apnéiste, une danseuse, une pianiste, un chanteur, etc.
Photo Copyright FX D’Hollander.